Manifestation à Tel-Aviv |
Pour Israël, déjà plusieurs enseignements peuvent
être tirés du conflit. C’est sans doute la première fois que Jérusalem se
trouve impliqué dans un conflit militaire qui oppose deux grandes puissances
avec lesquelles Israël entretient des relations très importantes : la
Russie, belligérant direct, et les États Unis cobelligérant par son mandataire
l’Ukraine, sans parler de l’Europe. Washington a des liens de toutes natures,
importants et majeurs, pour l’État hébreu tandis que Moscou reste un partenaire
passif mais déterminant à son tour, pour les actions de Tsahal en Syrie. Pour
les décideurs politiques du Moyen-Orient «l'Amérique fera toujours ce
qu'il faut, mais seulement après avoir épuisé toutes les alternatives».
Cette
formulation existe depuis longtemps à Washington, notamment en direction des
partenaires et alliés étrangers. Ces derniers ont été souvent frustrés par les
incohérences qui ont trop souvent caractérisé la politique américaine au fil
des décennies. On n’a pas oublié le fameux fil rouge d’Obama. Plus récemment,
les dirigeants des Émirats arabes unis ont publiquement exprimé leur déception
que l'administration Biden n'ait pas réagi assez rapidement aux attaques des
rebelles houthis contre l'aéroport d'Abu Dhabi en janvier. De même, les Saoudiens
ont été consternés lorsque l'administration Trump n'a pas réagi après l’attaque
iranienne de son infrastructure énergétique en 2019. Le départ
d’Afghanistan a été une autre déception.
A
l’inverse, la réaction sans nuance de l’administration Biden à l’invasion de
l’Ukraine, démontre que, sous certaines conditions, on peut aussi lui faire
confiance, en particulier s’il s’agit d’une crise de magnitude internationale
qui rend le leadership américain indispensable. La leçon a été entendue tant à
Taipeh qu’à Pékin ainsi que par les dirigeants au Moyen Orient qui doutaient de
la détermination américaine. Ils doivent reconnaitre que Washington a pris des
décisions énergiques et économiquement difficiles pour soutenir la souveraineté
ukrainienne, surtout à la veille des élections de mi-mandat et avec une
inflation qui heurte beaucoup d’Américains.
Elle l’avait déjà fait pour soutenir le Kuwait lors de son invasion.
Dans
les deux cas il n’existe pas de traité liant Washington. Les accords d’Abraham
s’inscrivent dans cette perspective particulièrement à la veille de savoir si
finalement l’accord avec l’Iran verra le jour ou pas. On connaît la position
officielle d’Israël et de ses organismes de sécurité, qui semblent marquer
quelques différences. Israël dans ce contexte se trouve idéalement placé pour
être à la tête de cette coalition qui ne dit pas son nom mais qui tisse sa
toile face à l’empire persan. Plutôt que de rechercher des accords papier, les
pays membres des accords doivent s’impliquer concrètement par la mise en place
d’une alliance dissuasive qui démontrera son efficacité, ici et maintenant.
Cette démarche doit tenir compte de la leçon suivante.
La politique d'aide des États-Unis : investir en masse dans des partenaires résilients clés. Même si Washington envoie des milliards de dollars d'armes à l'Ukraine, il devrait également planifier une aide à la sécurité à long terme pour ce pays. L'objectif doit être d'assurer la capacité de l'Ukraine à dissuader une future agression (et à la repousser si elle se produit). Ce sera une entreprise énorme ; mais comme pour toute assurance, les coûts sont dérisoires comparés à ceux d'un autre cycle de guerre.
Aide militaire à l'Ukraine |
Le
président Zelensky voit «son pays devenir un grand Israël», selon le
modèle d'aide américaine à Israël. Les partenaires des Américains qui sont
en première ligne de la compétition et sur le front, avec la Russie et la Chine,
ont besoin de capacités militaires adéquates, de défenses antimissiles et des
armes antichars au renseignement et au contre-espionnage, qui leur permettent
d'absorber et de survivre aux frappes des adversaires. Ils doivent
également avoir la capacité d'imposer des coûts insupportables à l'agresseur.
Dans
l'après-guerre, il sera essentiel de construire une armée de l'air ukrainienne,
un corps de missiles et des forces spéciales capables de frapper défensivement
derrière les lignes russes. Les crédits annuels, les articles de défense
excédentaires et les stocks américains prépositionnés pour une utilisation
d'urgence sont autant d'outils qui peuvent être utilisés à cette
fin. Soutenir la croissance d'une industrie nationale, qui développe et
produit des solutions ukrainiennes innovantes aux vulnérabilités ukrainiennes,
sera également essentiel. Cette approche renforce une exigence qui doit
accompagner une telle assistance : la volonté et la capacité de l'Ukraine à se
défendre seule, ce que ses citoyens ont déjà largement démontré. Cela
signifie également que, in extremis, l'interopérabilité des États-Unis avec un
partenaire clé sera assurée. On peut ajouter qu’Israël, grâce à ses propres
technologies de pointe est très largement au-delà de cette description. Cela le
qualifie de loin au sein des accords d’Abraham, dans la conduite d’un arc de dissuasion
défensif et réactif face à l’Iran.
Sur le plan de la politique étrangère
américaine, les États-Unis ne peuvent plus utiliser l'ambiguïté stratégique. Lorsqu'un
État possède nettement plus de moyens que ses adversaires, une politique
d'ambiguïté stratégique peut susciter chez l’adversaire une réserve à prendre
des mesures susceptibles de provoquer des représailles, en particulier si la
nation la plus puissante a la réputation de réagir de manière imprévisible ou
disproportionnée. Mais lorsque la puissance relative d'un État est perçue
comme étant en déclin, une politique d'ambiguïté stratégique peut, à l'inverse,
inspirer l'aventurisme chez un adversaire, surtout si la puissance en déclin
est perçue comme se retirant, ou apparaît autrement faible ou distraite. Le
président Biden avait d’emblée affirmé que son pays n’interviendrait pas.
La-ville-d-Irpin-reprise-l-Ukraine-gagne-du-terrain-face-a-la-Russie |
La
longue période de puissance relative forte des États-Unis a permis aux Américains
d'adopter une politique de l’ambiguïté stratégique. Mais ce temps est
révolu. La démonstration est faite lorsque la Russie envahit l’Ukraine, en
dépit des signaux américains, sciemment ambigus quant à leur engagement direct.
Le retrait d’Afghanistan a été un autre signe de faiblesse, comme le dysfonctionnement
de sa politique intérieure. Il s’agit d’une leçon importante pour les
décideurs américains qui pourraient préférer s'accrocher à l'ambiguïté
stratégique lorsqu'ils cherchent à dissuader une invasion chinoise de Taiwan,
par exemple, ou une agression iranienne dans le Golfe. Aujourd'hui, des
déclarations plus explicites sur les lignes rouges américaines s’imposent, sauf
à laisser croire à l’adversaire que les clignotants sont au vert pour lui.
La diplomatie
mondiale : le régime de Poutine n'est pas digne de confiance et doit être
vaincu. Six mois de guerre génocidaire de la Russie contre l'Ukraine,
ainsi que des années d'invasions des États voisins par le Kremlin et une guerre
hybride plus récente contre l'Occident, ont clairement montré que tout accord
avec le régime de Poutine n'est tout simplement pas viable et souvent
contre-productif. La Russie a envahi l'Ukraine en 2014 après s'être
engagée à garantir sa souveraineté et son intégrité territoriale dans le cadre
du Mémorandum de Budapest. Le Kremlin s'est emparé d'un cinquième du
territoire ukrainien après des années de négociations sur le conflit dans le
cadre du format Normandie et des accords de Minsk, commettant des crimes de
guerre et des crimes contre l'humanité, en violant le principe fondamental de
la liberté de navigation, en militarisant les approvisionnements alimentaires
et les réfugiés et en se livrant au chantage énergétique et nucléaire. Le
régime de Poutine a posé des menaces existentielles non seulement pour l'avenir
de la nation ukrainienne, mais aussi à un ordre mondial fondé sur des
règles. . La Russie avance quand elle sent la faiblesse et temporise
quand elle rencontre la force.
Si le monde veut une paix durable dans la région - plutôt qu'une
pause tactique - l'Occident doit apprendre le langage de la force, qui est le
seul que Poutine comprend. Israël connaît bien la Russie, un de ses voisins à
70 km de sa frontière coté syrien. Donc sa diplomatie doit prendre en compte ce
comportement. Le feuilleton en cours de l’interdiction de l’agence Juive en dit
suffisamment pour que désormais la diplomatie israélienne agisse dans la discrétion
plutôt qu’à travers des déclarations qui irritent le Kremlin au plus haut point
alors qu’il piétine en Ukraine. La Turquie membre de l’Otan, alliée des États-Unis,
donne un exemple dont Jérusalem peut s’inspirer. La Maison Blanche n’a pas
forcé Ankara a condamner Moscou. On peut être allié et pour autant déjeuner
avec le diable, pourvu que la cuillère soit assez longue.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire