IL ÉTAIT UNE
FOIS LA RÉVOLUTION TUNISIENNE, UN RÉFÉRENDUM CRUCIAL
Chronique d’un papy flingueur Albert NACCACHE
Le président Kaïs Saïed |
9,3 millions
d’électeurs sont appelés aux urnes pour remplacer la Constitution de 2014, source
de conflits récurrents entre l’exécutif et le législatif. Le président tunisien
Kais Saïed a défendu son projet de Constitution qui accorde de vastes pouvoirs
au président. Selon le président, le nouveau texte constitutionnel représente «la
volonté du peuple tunisien incarnée dans le mouvement du 25 juillet 2021». Le
pays est fracturé entre partisans et adversaires de la nouvelle Loi
fondamentale.
un soutien sans faille |
De nombreux Tunisiens affichent un soutien
sans faille au président, qui incarne le rejet du système parlementaire né de
la Révolution, corrompu et à l’origine des maux socio-économiques du pays. Mais
les mesures prises après la dissolution du Parlement :
- la fermeture de l’Instance
nationale indépendante de lutte contre la corruption
- la mise sur la touche de
l’Instance supérieure indépendante pour les élections.
- la dissolution du Conseil
supérieur de la magistrature
- l’octroi du contrôle de la sélection et de la promotion des juges a développé les oppositions politiques.
Bras-de-fer entre le Président et les institutions judiciaires |
Pour Marwane Ben Yahmed, directeur de Jeune Afrique, Kaïs
Saïed a pris en otage la démocratie : «Obsédé par l’instauration d’un
improbable système de démocratie directe, le président tunisien en est arrivé à
fouler aux pieds les principes élémentaires de l’État de droit». [1]
La Campagne nationale contre le référendum
Ce mouvement, rassemblant
cinq petites formations politiques et plusieurs organisations de la société
civile, refuse d'être associé au parti Ennahda. Le Front de salut national
(FSN), comprenant plusieurs partis dont Ennahda, des petites formations
politiques, des associations, une trentaine d’ONG dont le syndicat des
journalistes tunisiens SNJT, la Ligue tunisienne des droits de l’homme ainsi
que des personnalités politiques indépendantes, appelle au boycott du
référendum. «Nous appelons les Tunisiens à boycotter un processus illégal,
anticonstitutionnel qui vise à légitimer un coup d’État», a déclaré Ahmed
Nejib Chebbi, fondateur et président du FSN. Figure politique de gauche, Awhar
Ben Mbarek, leader du mouvement «Citoyens contre le coup d’État», et
membre du FSN, a appelé lui aussi «les Tunisiens à rejeter massivement ce
référendum», en le boycottant.
Ahmed Nejib Chebbi, leader du Front de salut national |
L’AFP ne cache pas sa sympathie pour Ennahda qui est nommé «parti
d’inspiration islamiste ou parti islamo-conservateur» : «Nous
appelons au boycott du référendum qui n’est pas dans l’intérêt des Tunisiens»,
a déclaré le porte-parole du mouvement Ennahda, Imed Khemeri, lors d’une
conférence de presse à Tunis. À ses yeux, le projet de réforme de la
Constitution «légitime la construction d’un régime autoritaire et tyrannique».
Il a dénoncé aussi un document «fait sur mesure qui ne provient pas du
peuple ni n’est le fruit d’une concertation nationale».
Ennahdha appelle au boycott |
Le Parti destourien libre, (PDL) mouvement anti-islamiste de la passionaria
tunisienne Abir Moussi appelle aussi au boycott.
Manif du PDL contre le président |
Le parti Afek Tounes, se distingue en appelant à voter contre la
nouvelle Constitution.
Les principaux articles de la constitution
- Le président exerce le pouvoir exécutif,
avec l’aide d’un chef de gouvernement qu’il désigne, sans nécessité d’obtenir
la confiance du Parlement.
- Le président est chef suprême des armées,
définit la politique du pays, entérine les lois et peut aussi soumettre
directement des textes législatifs au Parlement.
- La nouvelle Constitution prévoit une
forte réduction du rôle du Parlement et la mise en place d’une deuxième chambre
baptisée «Conseil national régional et territorial» devant représenter
les régions par le biais de représentants élus par les collectivités locales.
- Les
députés ne disposent plus d’immunité judiciaire, et peuvent se voir congédiés à
tout moment par vote du peuple en raison du «mandat impératif».
- L’article cinq est celui qui a le plus cristallisé les tensions, en faisant
de l’État le garant de l’application des préceptes de l’islam. Une formule
surprenante, surtout de la part d’un Président qui s’oppose à Ennahda et qui avait
annoncé que la Constitution ne mentionnerait pas l’islam comme religion
officielle de l’État.
Yosra Frawes |
L'avocate et militante des droits des femmes Yosra Frawes, a joué
un rôle clé dans la mise en œuvre de lois pro-femmes telles que l'égalité des
sexes dans la constitution tunisienne de 2014 et la loi de 2017 pour protéger
les femmes contre la violence. Elle a été présidente de l'Association
Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD). En 2022, elle a reçu le prix Anne
Klein de la Fondation Heinrich Böll à Berlin en reconnaissance de son travail. Yosra
Frawes craint que le référendum ne facilite un retour à la dictature. Cela
mettrait également en danger les progrès réalisés en matière de droits des
femmes depuis 2011.
Mme
Frawes, quelle est votre évaluation de la situation avant le référendum du 25
juillet ?
Yosra
Frawes : La situation est très préoccupante pour tous les Tunisiens qui
espéraient un changement politique, économique et social dans leur pays et qui
ont progressivement réalisé que depuis le 25 juillet 2021, la politique n'a
plus œuvré à la réalisation de ces attentes. La nouvelle constitution est dangereuse
car elle présente la possibilité d'un retour à la dictature. La constitution de
2014 a ancré un large éventail de droits civils libéraux ainsi que des
garanties pour leur respect. Maintenant, tout cela est menacé parce que la
nouvelle constitution a été rédigée unilatéralement par le président.
Qu'est-ce qui rend la nouvelle
constitution dangereuse, exactement ?
Frawes
: Par exemple, un passage de l'article 5 qui dit que l'État est tenu de
réaliser les objectifs de l'islam est particulièrement préoccupant. Cela
pourrait être interprété comme signifiant que les libertés et droits civils
universels – y compris les droits des femmes – doivent être restreints. Cette
section de la Constitution permettrait de réévaluer les lois et de les réécrire
selon les nouvelles stipulations. De plus, la nouvelle constitution ouvre la
porte à un retour à la situation d'avant 2011, à un régime présidentiel. Les
institutions – en premier lieu le parlement et le pouvoir judiciaire – seraient
affaiblies et le président élevé au rang de pouvoir national suprême qui n'est
plus responsable devant l'électorat ; il serait au-dessus de toute forme de
responsabilité. ... Le projet ouvre la voie à une islamisation de la société et
de l'État tunisien ; ce serait un pas en arrière vers une époque antérieure à
toutes les réalisations accomplies par le peuple tunisien depuis
l'indépendance. Et cela ouvrirait aussi la porte à une nouvelle dictature. Les
femmes sont plus durement touchées par la crise que les hommes ; les taux de
chômage et d'analphabétisme sont plus élevés chez les femmes ; dans certaines
régions de Tunisie, jusqu'à 40 % des femmes ne savent ni lire ni écrire. Si les
femmes veulent créer leur propre entreprise, il leur est plus difficile
d'obtenir des prêts bancaires. De nombreuses femmes vivent dans une situation
de grande précarité. Ils n'ont pas de contrat de travail régulier, leurs
conditions de travail sont dangereuses – en particulier dans les zones rurales
– et ils n'ont aucune sécurité sociale. Elles gagnent nettement moins que leurs
homologues masculins, que ce soit dans la fonction publique, les entreprises
privées ou l'économie informelle. Une ouvrière agricole gagne 10 dinars par
jour (environ 10 euros), alors qu'un homme en gagne 15. C'est une inégalité
flagrante. Les femmes ont également beaucoup moins accès à la terre et aux
droits de propriété. En fait, seulement 14 % des terres agricoles appartiennent
à des femmes, ce qui signifie que c'est encore largement un privilège masculin
et qu'elles sont synonymes de pauvreté pour de nombreuses femmes, voire
d'extrême pauvreté. Le taux de pauvreté a encore augmenté dans la crise
actuelle. Des études prédisent qu'environ la moitié de la population tunisienne
vivra bientôt dans la pauvreté. Et que la pauvreté est avant tout féminine.
Quelle est votre relation avec les
femmes du parti Ennahda ?
Frawes
: Au début de la Révolution en 2011, les femmes d'Ennahda étaient très
critiques à l'égard des organisations féminines laïques parce qu'elles disaient
que nous n'en faisions pas assez pour elles lorsqu'elles étaient torturées et
détenues sous Ben Ali. Mais leur critique cache un fait historique : nous
étions tous dans le même bateau ; nous avons également été persécutées et
harcelées, même si les femmes issues du spectre de l'islam politique ont été
plus durement touchées que nous. Mais après, on a appris à se parler. Le fait
que nous ayons organisé une réunion de tous les candidats à l'Assemblée
nationale constituante en 2011 a innové. Apprendre à se connaître
personnellement, s'écouter – même si parfois on s'engueulait – était un premier
pas sur la route pour dire que nous les femmes ont quelque chose en commun,
nous souffrons toutes sous le patriarcat, dans tous les partis.
Comment les choses ont-elles évolué
ensuite ?
Frawes
: Après cela, les femmes d'Ennahda ont d'abord été prises dans les affaires de
discipline de parti. Lors de la constitution de 2014, Ennahda n'a pas voulu
consacrer l'égalité des sexes, mais la "complémentarité" de l'homme
et de la femme, qui n'est qu'une manière de justifier les discriminations.
Cela, bien sûr, a conduit à d'autres conflits. À la suite d’une importante
mobilisation des forces progressistes, le concept d'égalité des sexes a été
inscrit dans la Constitution. La situation s'est à nouveau apaisée par la
suite, notamment parce que l'islam politique s'était affaibli dans l'ensemble
de la région. Une fois la constitution de 2014 adoptée, Ennahda a subi une
réorganisation. On dit que le parti s'est "tunisifié" et a décidé
d'arrêter de remettre en cause les droits des femmes. Cela signifiait que nous
pouvions retravailler ensemble, en premier lieu sur la loi 58 pour la
protection des femmes contre les violences. …Aujourd'hui, les femmes d'Ennahda
luttent également contre les tendances autoritaires sous Kaïs Saïed. Nous, dans
le camp progressiste-démocrate, marchons peut-être séparément d'eux, mais ensemble,
nous voulons que le pays retrouve le chemin de la démocratie et de l'État de
droit. [2]
Sophie Bessis et Hella Lahbib |
Êtes-vous inquiète quant à l’avenir de la
Tunisie ?
Je suis peut-être inquiète à court terme et
moins inquiète à long terme. Inquiète à court terme, parce que nous sommes dans
une impasse politique et que l’environnement régional est extrêmement
dangereux, volatil, incendiaire et peut avoir des impacts négatifs sur l’avenir
proche du pays. Sur le long terme, je ne suis pas inquiète. Partout où vous
allez, il y a des gens formidables. On rencontre partout des associations qui
font du très bon travail et pallient les carences de l’État, à beaucoup
d’égards. Il y a de l’imagination, une vie culturelle extrêmement riche avec
peu de moyens et très peu d’aides. Ce bouillonnement culturel et associatif,
cette prise en compte de problèmes comme la question environnementale que l’État
ne prend absolument pas en compte, tout cela, heureusement, me permet de ne pas
être uniquement inquiète pour ce pays.[3]
[1] 27 juin 2022
[2] Entretien réalisé
par Claudia Mende. © Qantara.de 20 juillet 2022
Sophie Bessis et Hella Lahbib
[3] Entretien avec Hella Lahbib Tribune Juive 20 juillet 2022
Quel meli mélo !
RépondreSupprimerأولا أريد أن أشكر الكاتب الصحفي " ألبرت نقاش " على كتابة المقال و الإهتمام بالأوضاع في تونس ـ والشىء من مأتاه لا يستغرب ـ .. خاصة في الفترة الأخيرة.. فترة كانت صعبة على جميع التونسيين. وقد أصبحنا جميعا نعيش الخوف من المستقبل.. أصبحنا ؟.. نعم أصبحنا نخاف على مصير تونس الذي تلاعبت به الأحزاب والرؤساء أكثر من عشر سنوات.. مما جعل الرئيس قيس سعيد يختار نهج "الإستفتاء الحاسم"كما جاء في عنوان المقال.. إستفتاء بالنسبة لشعب أصبح يعيش التهميش و الفقر أمام أحزاب تدعي القوة و السلطة و تنهب أموال الدولة و تتلاعب بالمؤسسات وتستهين بالشعب الذي بات أغلبه يعيش الفقر.. في هذا الجو السياسي المشحون بالتوتر.. كنت خائفة مثل غيري من الإستفتاء.. خائفة أن يخذل الشعب نفسه قبل أن يخذل الرئيس قيس سعيد.. مثل غيري انتظرت خائفة.. و عندما تحصل الرئيس على نسبة 92 بالمائة في الإستفتاء ..إستعدت ثقتي في الشعب والتاريخ أيضا.. التاريخ الذي لم تخذلنا أحداثه التداخلة .. عندها عدت إلى قراءة المقال .. مقال الصحفي الكاتب ألبرت نقاش" بحزم وثقة في النفس بعد ان شعرت بالإطئنان و قد كانت كتابة الكاتب الصحفي ككل مرة أنيقة وواضحة .قبل يوم واحد من الإستفناء اطـّـلعت على المقال و كان بُشرى خير.. شكرا للكاتب الصحفي ألبرت نقاش مرة أخرى .. شكرا لكل التونسيين و التونسيات الذين لم يخذلوا الرئيس قيس سعيد.. فقط لا ندري ما قد تأتي به الأيام .....الوضعية في تونس مازالت شائكة وصعبة
RépondreSupprimerTraduction de NAZIHA TABAINIA a dit… Tout d'abord, je tiens à remercier le journaliste Albert Naccache d'avoir écrit l'article et d'avoir prêté attention à la situation en Tunisie - et ce n'est pas surprenant - surtout dans la période récente... une période qui a été difficile pour tous les Tunisiens.
RépondreSupprimerNous vivons tous dans la peur de l’avenir... n'est-ce pas ? oui nous avons eu peur pour le sort de la Tunisie, qui a été manipulée par les partis et les présidents pendant plus de dix ans. Ce qui a poussé le président Kais Saied à choisir l'approche du « référendum crucial » comme indiqué dans le titre de l'article.
Beaucoup de Tunisiens vivent dans la pauvreté, dans cette atmosphère politique chargée de tension. J'avais peur, comme d'autres, du rejet de la nouvelle constitution. Et j’attendais avec fébrilité les résultats de la consultation.,, Et quand le président a obtenu 92% des suffrages pour le référendum, j'ai retrouvé ma confiance dans le peuple et dans l’histoire de mon pays malgré tous ces événements qui se chevauchent.
Je remercie l’auteur pour la clarté de son article. Je remercie tous les Tunisiens et Tunisiennes qui n'ont pas abandonné le président Kais Saied… Mais nous ne savons tout simplement pas ce qui pourrait arriver les jours prochains, la situation en Tunisie est encore épineuse et difficile.
L’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) annonçait qu’au moins 2,46 millions d’électeurs, soit 27,54 % des 9,3 millions d’inscrits, avaient participé à la consultation, précisant qu’il s’agissait là de chiffres provisoires. Le « oui » aurait recueilli entre 92 et 93 %, selon un sondage sorti des urnes réalisé par l’institut Sigma Conseil.
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