L’INFORTUNE DES PREMIERS MINISTRES
FRANÇAIS
Par Jacques BENILLOUCHE
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Pompidou- de Gaulle |
L’origine du malaise remonte au général de Gaulle
qui avait commandé une constitution taillée à sa mesure. Le duo
président-premier ministre fonctionnait alors parfaitement en phase. En effet,
Georges Pompidou était à ses côtés depuis 1944 et il l’avait ensuite suivi dans
sa traversée du désert comme collaborateur puis, comme directeur de cabinet dès
son retour au pouvoir en 1958. Leur longue relation, basée sur la confiance et
le respect, avait perduré tant que les deux personnages acceptaient leur rôle
respectif. Mais l’entente cessa en avril 1962, lorsque Pompidou, nommé premier
ministre, commença à vouloir exister. Dès lors, les divergences s’accumulèrent
et les tensions conduisirent le Général à se séparer de lui en 1968 pour
ensuite refuser d’appuyer sa candidature à l’élection présidentielle. De Gaulle n’acceptait aucune concurrence.
La cohabitation ne
peut résister au temps qu’à condition que le premier ministre ne fasse jamais
preuve d’une velléité à être calife à la place du calife. Le chef de l’État
supporte mal que son vassal le dépasse dans les sondages ou pire, songe un
instant à le remplacer. Pierre Mauroy a été le seul premier ministre à s'être
effacé derrière son président, se cachant derrière la personnalité envahissante
de François Mitterrand. Il n'a d'ailleurs jamais cherché à poser sa candidature
à la présidence de la République.
Pierre Mauroy et Mitterrand |
Georges Pompidou
avait écrit au Général, comme pour s’excuser d’envisager de s’asseoir à son
fauteuil : «Que puis-je vous dire, mon Général, qui m’avez tout appris,
sinon que votre image ne cessera de grandir, que rien, et surtout pas
l’ingratitude, ne peut lui nuire, et que celui qui sera peut-être appelé à vous
succéder officiellement ne pourra qu’essayer de n’être pas trop indigne ?». Le
général voulait que Pompidou reste, de son vivant, à une place subalterne.
La Constitution,
lacune extrême, empêche le numéro deux d’exister parce qu’il tient sa
nomination et son avenir, non pas de l'Assemblée nationale mais du président qui peut le renvoyer à tout moment. Alors
que Jean Castex estime que sa mission n’est pas terminée, le président prend la
décision de mettre fin à ses fonctions. Edouard Philippe le savait puisqu’il
avait protégé ses arrières en se représentant à la mairie du Havre où il
pouvait se réfugier après Matignon. Il a été un des rares à tenir tête au
président. Cette crise d’identité a toujours été flagrante comme l’avouait
Pompidou : «je tiens le rôle du chef de l’État pour essentiel, mais, par
contre je ne saurais continuer ma tâche, ni porter mes responsabilités
qu’autant que je suis ou que je serai pleinement d’accord sur tous les aspects
de la politique».
Edouard Philippe et Macron |
Le clash est souvent à
l’initiative du président qui a tendance à s’arroger les pouvoirs de son
premier ministre, ce qui amène invariablement des binômes parfaitement solides au
départ à se combattre puis à se détester. Les rivalités personnelles éclipsent
souvent l’amitié et prennent le pas sur les enjeux et les intérêts politiques.
Pourtant, souvent, les duos se préparent et s’organisent longtemps avant
l’élection pour donner au peuple une image rassurante même si parfois la
trahison peut servir à atteindre le sommet.
Jacques Chirac avait
comploté contre le chef de son parti, Chaban-Delmas, pour s’associer avec celui
du Centre afin d’obtenir la place de chef du gouvernement. Mais la gangrène
sévissait à la racine. On l’a vu s’ébaucher entre Pompidou et Chaban-Delmas,
atteindre la virulence entre Giscard d’Estaing et Chirac, se jouer à fleuret
moucheté entre Mitterrand et Rocard, s’envenimer entre Chirac et Sarkozy,
s’afficher entre Sarkozy et Fillon puis se révéler entre Macron et Philippe.
Giscard-Chirac |
Fort de la légitimité
du suffrage universel, le président confisque tous les pouvoirs, presque
féodaux quand on les compare aux pouvoirs anglo-saxons, parce qu’il est
inamovible tandis que le premier ministre, nommé par le président, est à la merci
du fait du Prince ou d’une motion de censure du Parlement. La deuxième
hypothèse ne peut pas être prise au sérieux face à un parlement toujours aux
ordres et godillot.
L’omnipuissance de
l’Élysée tend à écraser les personnalités et, pour peu que le second prenne le
risque de décider au lieu d’exécuter, le conflit devient ouvert. Les relations
peuvent se dégrader vite entre les deux têtes exécutives s’il y a un risque que
le premier ministre entre en compétition ouverte. Rabaissé par Nicolas Sarkozy
au rang de «collaborateur», François Fillon avait décidé à jouer sa
carte pour 2017 : «Moi, je trace mon chemin après avoir été parfaitement
loyal pendant cinq ans». Il savait bien sûr que Sarkozy était au sommet du
pouvoir mais il avait tenu à se poser en acteur de la République. Il avait
cherché en fait à apporter ses propres inflexions tout en mettant mal à l’aise
son suzerain. D'ailleurs Sarkozy ne lui a jamais pardonné de l'avoir battu aux primaires.
rocard-mitterrand |
La rivalité qui se
fait jour aussi vite provient certainement aussi de la personnalité
envahissante d’un président voulant user de tous les rôles en laissant derrière
lui des cadavres. Michel Rocard et François Mitterrand, qui se sont toujours
détestés, ont tenu trois ans ensemble et le cessez-le-feu établi entre eux
avait permis des avancées politiques et sociales. Rocard avait pu organiser son
mouvement de croissance en créant le RMI et la CSG pour couvrir ses dépenses.
Seul le machiavélisme de Mitterrand avait eu raison de la forte tête du PS.
Alors que son premier
ministre ramait, Sarkozy l’avait souvent flingué puisqu’il se permettait en
privé d’user d’un langage imagé. Fillon a eu le tort de vouloir dire la vérité,
qualité qui ne se justifie pas en politique puisque seule la langue de bois
peut endormir les électeurs déçus. Le premier ministre croyait ouvrir une ère
politique moderne, fondée sur la vérité et le pragmatisme, mais il avait reçu
en plein visage la hargne d’un président n’acceptant pas qu’une tête dépasse
dans l’aréopage de ses courtisans : «Fillon déconne complètement. Il veut
exister mais il me fait chier. Je vais le dégager».
Hollande-Ayrault |
Le duo
Hollande-Ayrault a parfaitement fonctionné parce que le premier ministre avait
accepté de s'effacer. Rien ne laissait présager un conflit entre les deux têtes
de l'exécutif. L'évolution de la politique est telle que les prévisions sont
toujours fausses. Mais selon Jean-Marie Colombani de Slate : «tout laisse à
penser que Pierre Mauroy ne pouvait être qu'en adhésion avec la politique
conduite par François Hollande et Jean-Marc Ayrault. Et si Jean-Marc Ayrault
est devenu premier ministre, c'est entre autres parce que François Hollande
considérait qu'il avait des qualités proches de celles que Pierre Mauroy avait
mise au service de François Mitterrand et de la France».
Mais la situation
économique, sanitaire et internationale actuelle de la France ne pourra pas
permettre une dualité aussi tendue entre les gouvernants. Elle altère
l’efficacité de l’exécutif en tendant à faire des Français des victimes car ils
subissent, les premiers, les conséquences néfastes d’une guerre stérile. Les
faillites d’entreprises, la baisse de la croissance, l’inflation avec le risque
d’augmentation du chômage restent une préoccupation majeure.
L’avenir n’augure
rien de bon pour la majorité des Français. Les chiffres prévisionnels sont loin
de présager une amélioration de la situation économique et pour l’instant,
l’omnipuissance d’Emmanuel Macron ne porte pas ses fruits au point que la
désillusion atteint la majorité du pays. La droite républicaine,
si elle avait eu un candidat de consensus et charismatique, aurait pu avoir un
boulevard devant elle. Mais elle s’est embourbée dans une erreur de casting.
Cazeneuve-Valls |
Les Socialistes sont au cimetière
des éléphants. Seuls Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et Julien Draï ont décidé de refaire
une apparition politique car ils ont beaucoup d'ambition et ils surfent sur des
sondages qui les mettent au firmament des opinions de droite comme de gauche. Ils
ne supportent pas l’effondrement du parti socialiste. Ils savent que le chemin
de l'Élysée passe par celui de Matignon. Ils ne cachent pas leur volonté de
revenir au-devant de la scène en composant avec Emmanuel Macron ou dans une structure indépendante du parti socialiste parce qu’ils
ont des tempéraments différents de ceux du président et qu'ils se complètent. S'ils
échouent, ils seront irrémédiablement emportés vers l'oubli, dans le cimetière
des prétendants sauf si la malédiction des premiers ministres cesse de conduire
à un malheur inéluctable. On se demande si cette malédiction ne cesserait pas avec un changement constitutionnel appliquant à la France un régime purement présidentiel et une Assemblée nationale disposant de plus de pouvoirs réels.
Le regime presidentiiel est, en France, l'anti-chambre de la dictature. Or De Gaulle, en ecrivant la Constitution de la 5e Republique en avait parfaitement conscience.
RépondreSupprimerLe regime presidentiel americain repose sur un equilibre des pouvoirs applique a la lettre. Il y eut, de nombreuses fois ou l'aimant du regime dictatorial apparaissa aux USA, mais n'arriva jamais a sa realisation. La Constitution francaise n'a pas ces equilibres, et pour que ce regime presidentiel s'instaure, il faudra re-ecrire une Constitution. Le probleme, c'est que l'Histoire de France montre que les Francais sont assez sceptiques de ce genre de gouvernanace.