RÉPONSE DE LA RUSSIE AUX MENACES OCCIDENTALES
Par Francis MORITZ
Poutine super
Tsar trace sa route. L'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 était une
démonstration de ce que le stratège militaire chinois Sun Tzu appelait le
sommet de l'habilité : «maîtriser l'ennemi sans combattre». En voici un
nouvel épisode. Les Occidentaux agitent de nouvelles menaces, ajoutent des
sanctions aux sanctions, ce qui n’impressionne pas la Russie qui poursuit
irrésistiblement sa montée en puissance à la frontière-Est de l’Ukraine. L’Otan
qui dispose de tous les moyens satellitaires de surveillance, constate une
augmentation de 17% des structures militaires utilisées pour le stockage et le
cantonnement de troupes proche de la ville russe de Yelnia, ainsi qu’un flux
permanent de matériels et de personnel d’une division habituellement stationnée
en Sibérie.
Base russe proche de la ville de Yelna |
Les Occidentaux
pensent toujours que les menaces feront plier le Kremlin. C’est sous-estimer la
détermination du Tsar russe qui entretien le foyer allumé dans le Donbass
depuis des années. Il en est de même dans la crise des migrants où la Russie
téléguide son vassal Loukachenko qui a
déclenché une crise politique et humanitaire aux frontières de l’UE, qui là
encore n’a pas vu venir le problème - malgré diverses alertes – provoquant la déstabilisation de l’UE qui
avait déjà fort à faire avec la Pologne et la Hongrie. La Commission (les États)
croyait qu’en finançant des camps de rétention en Turquie et en Libye on
pouvait mettre la question migratoire entre parenthèses. La difficulté n’a fait que s’amplifier faute
de l’affronter depuis des années. Elle a voulu la sous-traiter, en fermant les
yeux sur les multiples exactions et atteintes aux droits de l’homme.
Le 15 novembre le
secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg a «exhorté la Russie à ne pas prendre de mesures agressives» en Ukraine. Exhorter : c’est
tenter d'amener
quelqu'un à quelque chose par des encouragements, par la persuasion, les
prières, etc…On mesure l’abime qui sépare la
compréhension occidentale et celle de la Russie, qui puise ses racines dans
celle de l’empire tsariste d’avant-hier et soviétique d’hier. Poutine est très
clair quand il déclare : «Il est impératif de faire pression pour de
sérieuses garanties à long terme qui assurent la sécurité de la Russie dans ce
domaine, car la Russie ne peut pas constamment penser à ce qui pourrait se
passer là-bas demain», la concentration de 100.000 soldats russes sur la frontière, qui n’est pas liée à un
exercice militaire «suscite des inquiétudes à Washington et dans certaines
capitales européennes» c’est la formule habituellement employée, pour
indiquer qu’on est bien au courant – tout le monde est au courant de tout, ou
presque – mais qu’on ne sait quoi faire. C’est pourquoi on insiste sur les
détails, mais ça ne change rien à l’affaire.
Jens Stoltenberg secretaire general de l’Otan |
Les États-Unis
prennent la menace au sérieux, le président Joseph Biden a dépêché son
directeur de la CIA, Bill Burns, à Moscou pour avertir que Washington surveille
attentivement ses actions. On imagine en effet que la Russie privée de cette
information, ignorait totalement que l’Otan, qui l’entoure, observait ses
mouvements de troupes. La présence de la Russie, comprend désormais toute la gamme d'armes offensives,
à une distance de frappe de l'Ukraine. Le ministre de la Défense
britannique, Ben Wallace, s’est rendu à Kiev et son homologue ukrainien
Oleksii Reznikov s’est rendu à Washington pour rencontrer
le secrétaire américain de la Défense, Lloyd Austin. Même les
ministres des Affaires étrangères français et allemand se sont sentis obligés
de publier une déclaration commune «ferme» pour informer
la Russie de «conséquences graves» si Moscou choisit d'intensifier son
intervention en Ukraine.
Rencontre entre Lloyd Austin Sevretaire et O. reznikov ministre de la defense de l’Ukraine |
Cependant il n'est pas clair si la Russie, qui pratique largement la déstabilisation et la guerre psychologique, les opérations spéciales ainsi que les cyber attaques, se prépare à une opération éclair dans un avenir proche. Depuis sept ans les forces spéciales Spetsnaz fournissent des armes, de l'argent et d'autres aides aux rebelles du Donbass. La subversion en Ukraine se poursuit. En outre, le président russe Vladimir Poutine a déclaré depuis longtemps qu'il considérait l'Ukraine comme indissociable de la Russie. Les États-Unis et leurs partenaires européens doivent prendre Poutine au sérieux, car les forces russes surpasseraient probablement les forces ukrainiennes et pourraient envahir Kiev en quelques heures. De plus, il est peu probable que les États-Unis et d'autres États européens confrontent directement la Russie à propos de l'Ukraine ; mourir pour Danzig est loin de nous.
Les actions de
Moscou sont probablement motivées par au moins deux facteurs. Une réaction au
partenariat stratégique américain et occidental avec l'Ukraine. Le 10 novembre,
le Secrétaire d'État américain Antony Blinken et le ministre ukrainien des
Affaires étrangères Dmitrov Kuleba ont annoncé à Washington une charte de
partenariat stratégique. La charte réaffirme l'engagement des États-Unis envers
la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine, y compris la Crimée, «face
à l'agression russe en cours». Dans ce cadre, les États-Unis ont déjà vendu
à l'Ukraine des missiles antichars et des lanceurs Javeline. La Turquie a
fourni à l’Ukraine des drones de combat. L'OTAN a également renforcé sa
présence et mené des exercices maritimes avec l'armée ukrainienne.
Deuxièmement,
Moscou estime qu'il y n’y a pas de volonté américaine ou européenne d’aider
l'Ukraine dans une guerre vu le contexte d'autres crises en cours. Le gazoduc
Nord Stream 2 (NS2) est terminé, créant une vulnérabilité énergétique majeure
en Europe alors que la Russie gagne en influence économique et politique sur
l'Allemagne. C’est une arme économique de plus pour Poutine. Ces éléments
suggèrent que Moscou continuera à utiliser l'Ukraine comme monnaie d'échange.
Depuis 2014, la Russie entretien à son avantage la tension, en envoyant un
message aux États-Unis et à l'UE pour qu'ils cessent d'intervenir dans une
région qu’elle considère être dans sa sphère d’influence.
Les forces russes
pourraient envahir Kiev en quelques heures. L’objectif de Washington pourrait
être de dissuader les Russes par des sanctions, or l'OTAN ne dispose pas de
moyens déployés en Ukraine. Les pays européens manquent des capacités adéquates
pour un conflit. De plus, le statut de l'Ukraine en tant que
non-membre de l'OTAN la priverait du dispositif de défense de l'alliance. En
bref, les forces de l'OTAN ne pourraient pas empêcher un fait accompli
russe.
En fait on ne
croit plus vraiment aux sanctions qui ont fait long feu, pendant que l’annexion
rampante de l’Est de l’Ukraine est en cours, selon un scénario proche de celui
de la Crimée qui a fait ses preuves. Tous feignent d’oublier que la Russie a
déjà envahi l'Ukraine et consolide progressivement son emprise sur des régions
entières du pays depuis 2014. Au cours des sept dernières années, l'invasion
russe de l'Ukraine a plongé le monde dans une nouvelle guerre froide qui
représente un défi grave à l’ordre international.
Plus important encore, le 15 novembre, Poutine a publié un décret
supprimant les barrières commerciales entre les régions occupées et la
Russie. Cette décision majeure et explicite a été saluée, par les
séparatistes, d’étape sérieuse vers l'intégration
avec la Russie. Cette évolution n'a semble-t-il pas attiré l’attention des
médias occidentaux. L'Ukraine a condamné le décret comme une «ingérence
flagrante» dans ses affaires intérieures. Dans un communiqué, le
ministère ukrainien des Affaires étrangères a affirmé que cette mesure «démontre
clairement la politique volontariste de la Russie visant à attirer les
territoires temporairement occupés de notre État dans son espace économique,
politique, électoral et d'information». Malheureusement pour Kiev, le
monde semble incapable ou peu disposé à reconnaître les implications
inquiétantes des efforts de la Russie pour intégrer l'est de l'Ukraine. Une
fois de plus se vérifie l’adage, les pays n’ont pas d’amis, ils n’ont que des
intérêts.
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