RAPPROCHEMENT SYRO-JORDANIEN
Par Jacques BENILLOUCHE
Abdallah de Jordanie |
La Jordanie et la Syrie ont décidé
de renouer leurs relations diplomatiques après plus de dix années d’hostilité
en raison du soutien jordanien donné aux rebelles qui ont combattu le président
Assad. Le roi de Jordanie Abdallah II a reçu un appel téléphonique du président
syrien Bachar el-Assad qui entérinait ainsi la normalisation des liens rompus après que la Jordanie ait suivi la stratégie de l’Occident qui voulait se débarrasser
du président syrien. Le roi a confirmé à Assad que son pays soutenait
l'intégrité territoriale de la Syrie et les efforts pour préserver sa «stabilité
et sa souveraineté».
La
communication téléphonique avait été précédée, deux semaines auparavant, par une
intervention du ministre syrien de la Défense chargé de coordonner la sécurité
transfrontalière. Le roi Abdallah II faisait pression depuis quelques mois sur
les Américains pour qu’ils discutent avec la Russie au sujet de la Syrie. Il
fallait suggérer à Vladimir Poutine d’interdire, sinon de réduire, la présence
croissante de milices pro-iraniennes le long de la frontière syrienne avec la
Jordanie. Le Roi a convaincu Joe Biden que l'idée de changer de régime n'est
plus d’actualité à présent que les autorités syriennes ont étendu leur
souveraineté sur tout leur pays. Il avait fait pression sur Biden pour alléger
la pression sur Damas ce qui mettait fin à l’accueil par la Jordanie de
rebelles syriens armés par les États-Unis. La Jordanie, qui accueille 1,3
million de réfugiés syriens, souffre économiquement de la fermeture des
frontières qui a entrainé une chute de la balance commerciale de la Jordanie
avec la Syrie de 615 millions$ en 2010 à 94 millions$ en 2020.
La reprise des relations se traduira par l’ouverture totale des frontières et
la reprise des vols commerciaux entre Amman et Damas ainsi que par la
coopération en matière de sécurité et d’eau. Les deux pays étaient conscients
de leur interdépendance historique. Ils ont choisi le pragmatisme après une
période d’inimitié liée à la politique mondiale. Mais la
Jordanie avait maintenu une politique prudente envers la guerre civile syrienne,
en évitant largement la violence qui s'était propagée aux États voisins, dans
le cadre d’une stratégie qui a porté ses fruits. Elle a joué un rôle
plus intelligent que la plupart des voisins de la Syrie pour se protéger des
retombées du conflit de six ans. Les quatre États voisins aux frontières
ouvertes avant la guerre - la Turquie, la Jordanie, l'Irak et le Liban - ont
tous accueilli un grand nombre de réfugiés et vu leur commerce s'effondrer,
mais la violence s'est également propagée.
Reprise des liens entre la Jordanie et la Syrie |
Contrairement
à de nombreux dirigeants arabes, Abdallah II n'a jamais fermé son ambassade à
Damas, bien que les effectifs aient été réduits. La Jordanie abritait le Centre
d'opérations militaires, qui facilitait l'entraînement et l'armement des
rebelles modérés anti-Assad, mais elle contrôlait soigneusement sa frontière et
n'autorisait pas les rebelles à circuler à leur guise, contrairement à la
Turquie au nord de la Syrie. Cela avait d’ailleurs contribué à la faiblesse
relative des rebelles du sud. Assad avait lui aussi adopté une position modérée
vis-à-vis de la Jordanie en ménageant son hostilité. L’interdépendance est
évidente puisque la Syrie fournit à la Jordanie un accès à la Méditerranée et aux
routes terrestres vers l'Europe, tandis que la Jordanie offre à la Syrie un
accès à la mer Rouge et aux routes terrestres vers le Golfe.
Avec le retrait des États-Unis de la région, la Jordanie a dû trouver d'autres moyens pour assurer
la paix et la stabilité chez elle. Israël ne voit pas dans la reprise de ces
relations un quelconque danger, au contraire il soutient toute relation
pacifique. La Jordanie pourrait exercer une certaine influence sur Damas pour
réduire la présence de troupes iraniennes à sa frontière et à celle d'Israël
afin d’éviter un conflit indésirable. Le président Bachar el-Assad
y trouve aussi son intérêt car malgré sa large victoire sur la rébellion contre
son régime, son économie est en train de s'effondrer. La récente crise
économique et politique au Liban voisin, ainsi que l'impact de neuf années de
guerre civile, les sanctions occidentales et la corruption systématique du
gouvernement, ont déjà provoqué des pénuries, un chômage généralisé et le
quasi-effondrement de la livre syrienne. La reprise des relations avec la
Jordanie offre d’une part un contournement des sanctions américaines mais d’autre
part un répit à l'économie syrienne en déclin sans compter les gains
géopolitiques. Assad peut se targuer de n’avoir fait aucune concession pour ce
rapprochement qui sert à légitimer sa cause.
La
Jordanie n’est pas seule à normaliser ses relations avec la Syrie. L’Égypte et
les Émirats arabes unis mènent une campagne pour ramener Damas dans le giron
arabe. Il peut s’agir d’une réconciliation avec l'ensemble du Moyen-Orient,
Israël compris, qui peut permettre à la Syrie d’obtenir des fonds pour
reconstruire son pays détruit et surtout récupérer ses réfugiés dispersés dans
le monde. Il n’y aura jamais de grand amour entre la Jordanie et la Syrie en
raison des différences idéologiques entre les régimes et des raisons
structurelles mais au moins, les hostilités finiront par s’apaiser pour laisser
la place à un nouveau cycle de coopération. Israël suit avec intérêt ces
réconciliations dans la région qui pourraient inclure de nouveaux pays arabes
dans les Accords d’Abraham.
C’est
dans cet esprit que s’insère l’initiative de l’ambassadeur libanais à Paris qui
a réuni tous ses Juifs nationaux en exil à Paris pour leur demander
d’intervenir pour sauver le Liban de la banqueroute [*]. Il s’agit peut-être d’un
moyen détourné pour le Liban, vassal de la Syrie, de profiter de toute avancée
syrienne pour influer dans le sens d’une paix nouvelle avec Israël sous réserve
que le Hezbollah soit enfin neutralisé par les autorités légales du pays. Le
Liban ne peut pas rester à l’écart des initiatives de paix.
Les Juifs du Liban à l'Ambassade à Paris |
Tout
ce qui se passe en Syrie concerne directement Israël. Se considérant
réciproquement comme le diable (le régime syrien accusant Israël d’aider les
insurgés, qui eux, proclament qu’Israël soutient Bachar el-Assad), Israël a
pourtant fait preuve de retenue et d’un silence pragmatique sur la question
syrienne, même s’il reste à ce jour le seul pays du camp occidental à avoir
frappé le territoire syrien avec des bombardements de convois et de sites
d’armes destinées au Hezbollah. Israël ne s’est jamais immiscé dans la
politique intérieure syrienne, n’est jamais intervenu entre le régime et les
insurgés et n’a jamais touché frontalement l’armée syrienne.
Des
raisons économiques, politiques et sociales ont déclenché en Syrie le «printemps
syrien». Face à une modernisation économique mitigée et confisquée, aux
expropriations, à la corruption, à l’oppression, à la peur, à la torture, à la
répression, il n’était ainsi pas étonnant qu’à partir de mars 2011, la vague de
protestations populaires dans le monde arabe atteigne une Syrie dirigée avec
une poigne de fer depuis 1970. Mais le régime tient bon malgré la fin du
partenariat turc, les condamnations internationales quasi unanimes, la
suspension de la Ligue arabe, les sanctions commerciales très lourdes qu’elle
subit, la présence de zones entières aux mains des insurgés, la mort d’un
ministre de la Défense, la défection d’un Premier ministre, d’une quarantaine
de généraux, de centaines d’officiers et de plusieurs ambassadeurs,
l’effondrement des investissements et du tourisme et, bien sûr, des dégâts
considérables dans presque tout le pays dont l’économie est en ruine.
Le
silence israélien et sa passivité à l’égard d’Assad a fait croire qu’Israël
était le «partenaire invisible de la crise». Israël n’avait aucune
raison de prendre position, même si les premières déclarations officielles des
dirigeants israéliens (Shimon Peres et Benjamin Netanyahou en juin 2012) en
faveur de la chute du régime et qui ont condamné la «répression» du
régime d’Assad ne sont apparues qu’en juin 2012, elles n’étaient que des effets
d’annonce. En réalité, le principal souci de l’État hébreu était d’éviter que
la guerre civile syrienne ne déborde sur ses frontières. Assad, quant à lui, a
pris grand soin de ne jamais donner aucun prétexte à son puissant voisin pour
intervenir. La seule priorité permanente pour les dirigeants israéliens est
d’empêcher que l’arsenal syrien d’armes chimiques ou de missiles ne tombe entre
les mains des milices islamistes et du Hezbollah. Tant que l’armée syrienne n’est
pas touchée, Assad et Poutine observent en silence la neutralisation des
milices chiites islamistes.
[*] https://benillouche.blogspot.com/2021/11/reunions-de-familles-juives-paris-et.html
Ce rapprochement syro-jordaniens traduit ouvertement la defiance de la Jordanie envers Israel.
RépondreSupprimerOr la Jordanie est prise en tenailles entre les imperialismes turc, russe et saoudienne et la Jordanie doute de l'efficacice et surtout de la volonte d'Israel de les aider au moment decisif. N'oublions pas que la presente opposition parlementaire israelienne est tres largemnt anti-jordanienne, a cause de l'opposition de ce pays a toute extension de la colonisation des Territoires Occupes par Israel.
Très bon panorama de la situation. Celà démontre bien que rien n'est jamais tout à fait clair dans le comportement oriental. Il y a des amis hostiles et des ennemis amicaux. Les ennemis des ennemis deviennent des amis. Il y a des ennemis qui sont plus ennemis que d'autres, etc...
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