2022 sera l’année de la présidentielle
française «où les thèmes de l’immigration et de l’identité se sont imposés»,
et celle du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Deux
événements aux enjeux mémoriels et migratoires intimement liés pour Paris comme
pour Alger.
Aujourd’hui, «le
torchon brûle entre Alger et Paris», la «boîte
à chagrins» reste grand ouverte, «la fracture se creuse entre Paris et
Alger» ... Pourtant le candidat à la présidence Emmanuel Macron avait déclaré le
15 février 2017 : «La colonisation fait partie de l’histoire
française. C’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie.
Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant
nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces
gestes». Il doit bien regretter aujourd’hui cette déclaration.
Benjamin Stora remet son rapport à Emmanuel Macron |
Le rapport Stora
Une fois élu, Emmanuel Macron commanda à Bernard Stora un rapport sur l’état des conflits mémoriels entre la France et L’Algérie avec comme objectif de «réconcilier le peuple algérien et le peuple français». Vaste programme. Benjamin Stora a remis le 20 janvier 2021 à Emmanuel Macron son rapport où il préconise une commission «Mémoire et vérité» pour impulser des initiatives mémorielles de part et d'autre de la Méditerranée tout en déconseillant au président Macron des excuses officielles.
Abdelmadjid Chikhi, directeur des Archives nationales et de la mémoire
auprès de la présidence algérienne, a été désigné par le Président Tebboune comme
l’alter ego de Stora «pour une écriture commune d’une histoire
entre l’Algérie et la France». Mais Chikhi estima que «cette écriture
mémorielle» n’est ni souhaitable, ni possible ».
Abdelmadjid Chikhi |
Pour le ministre de la Communication Ammar Belhimer,
le travail de l’historien français «occulte les revendications légitimes de
l’Algérie, en particulier la reconnaissance officielle par la France des crimes
de guerre et des crimes contre l’humanité, perpétrés durant les 130 années de
l’occupation de l’Algérie». Le ministre du Travail algérien, Hachemi
Djaâboub, a qualifié publiquement, jeudi 8 avril 2021, la France comme «un
ennemi traditionnel et éternel» de l’Algérie.
L’annonce de la réduction des visas
L’annonce
par Paris de la réduction des visas (50%) octroyés aux Algériens a mis le feu
aux poudres. C’est une mesure de rétorsion face au refus d’Alger de délivrer
les laissez-passer consulaires permettant d’expulser les clandestins et autres
radicalisés sous le coup d’une obligation à quitter le territoire (OQTF) vers
l’Algérie. D’après les chiffres du
gouvernement français, Alger n’a délivré, entre janvier et juillet 2021,
que 31 laisser-passer consulaires – dont seulement 22 ont
été exécutés – sur un total de 7.731 obligations de quitter le territoire.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a accusé
dimanche 10 octobre le ministre de l’Intérieur français d’avoir proféré un «gros
mensonge» quant au nombre d’immigrés clandestins algériens à refouler
depuis la France. «Moussa Darmanin a bâti un gros mensonge».
Moussa est le deuxième prénom donné en hommage à son grand-père, un tirailleur
algérien ayant combattu lors de la Seconde Guerre mondiale. Gérald Darmanin
campe sur ses positions et confirme ses chiffres : 7.731 obligations de
quitter le territoire français (OQTF) ont bien été prononcées depuis janvier
contre des ressortissants algériens. Si de nombreuses associations maghrébines
s’opposent évidemment à cette mesure, on trouve aussi côté français : CEDETIM, LDH, MRAP
ainsi que EELV, NPA, PCF.
Macron rencontre 18 jeunes
Les choses auraient probablement pu en rester là, mais Emmanuel Macron a
enfoncé le clou par ses déclarations du 30 septembre lors d’une rencontre avec 18
jeunes franco-algériens et français ayant un lien avec la guerre d’Algérie. Le
président français estime qu'après son indépendance en 1962, l'Algérie s'est
construite sur «une rente mémorielle», entretenue par «le système
politico-militaire». Il a également affirmé que «la construction
de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une
nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question». Il
traite le régime algérien de «régime fatigué» et dénonce le discours
des autorités algériennes qui «repose sur la haine de la France».
Sur le fond, Emmanuel Macron n’a pas tort dans les reproches qu’il adresse
à l’Algérie, mais est-ce le rôle du président de la République de se lancer
dans des interrogations historiques ? Ces déclarations
ont provoqué le courroux de la présidence algérienne : «L’Algérie exprime
son rejet catégorique de l’ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures».
L’organisation des Moudjahidines,
représentant les anciens combattants de la guerre d'indépendance en Algérie, a
appelé le 4 octobre à «revoir» les relations avec la France et à «réfléchir
sérieusement à une évaluation de tous les aspects». Pour Abderrezak Makri, président
du MSP, (proche des Frères musulmans et allié au pouvoir) les propos du
président français sont une «déclaration de guerre contre l’Algérie,
peuple et État».
En réaction :
L’ambassadeur
de France à Alger, François Gouyette, a été convoqué ; Alger a rappelé Mohamed Antar Daoud, son
ambassadeur à Paris. Et l’Algérie a interdit le survol de son territoire
aux avions militaires français, qui empruntent son espace aérien pour rejoindre
ou quitter la bande sahélo-saharienne où sont déployées les troupes de
l’opération Barkhane. Cette interdiction n’a même pas été signifiée
préalablement à l’armée française ; ce n’est qu’en vol que les pilotes de
l’armée de l’air ont découvert la situation. Au moins quatre avions ont dû
rebrousser chemin le 2 octobre.
L’Algérie a interdit le survol de son territoire aux avions militaires français |
le président Tebboune |
Lamamra et Chengriha pompiers ou pyromanes ?
Le président Tebboune est fortement soutenu dans sa démarche par son ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra et par le chef d’État-major de l’armée algérienne Saïd Chengriha.
Ramtane Lamamra, ministre algérien des Affaires étrangères
Ramtane Lamamra met en
place tambours battants la nouvelle politique étrangère algérienne. Depuis le
Mali, il a le 5 octobre, fustigé une «faillite mémorielle» de la France.
«Nos partenaires étrangers ont besoin de décoloniser leur propre
histoire …Ils ont besoin de se libérer de certaines attitudes, de certains
comportements, de certaines visions qui sont intrinsèquement liées à la logique
incohérente portée par la prétendue mission civilisatrice de l’Occident, qui a
été la couverture idéologique utilisée pour essayer de faire passer le crime
contre l’humanité qu’a été la colonisation de l’Algérie, la colonisation du
Mali et la colonisation de tant de peuples africains».
Le ministre algérien a décrit cette décolonisation
comme une «priorité» pour que la «faillite mémorielle»,
manifestée, selon lui, par les récents propos français envers l’Algérie et le
Mali, puisse «s’assainir par un respect mutuel inconditionnel, respect de
notre souveraineté, respect de notre indépendance de décision». Il n’a
toutefois pas cité nommément M. Macron mais a parlé d’une «faillite
mémorielle, qui est malheureusement intergénérationnelle chez un certain nombre
d’acteurs de la vie politique française, parfois aux niveaux les plus
élevés et qui pousse les relations de la France officielle avec
certains de nos pays dans des situations de crise malencontreuse».
Saïd-Chengriha |
Selon Jeune Afrique du 15 juin 2021, le patron de l’armée algérienne s’est discrètement rendu dans la capitale française en «mission secrète» pour discuter de la nouvelle donne sécuritaire au Sahel, après l’annonce de la fin de l’opération Barkhane. Mais le chef d’État-major algérien Saïd Chengriha est aussi à la manœuvre pour diriger les représailles contre Paris. Considéré comme un faucon en matière de politique étrangère, il dénonçait en août les complots visant l’Algérie «que l’armée saura contrecarrer». Il s’est imposé comme le nouvel homme fort du pays. Cette diminution de l’engagement de ces deux acteurs majeurs (la France et le Tchad) en matière de sécurité régionale pourrait amener l’Algérie à jouer un rôle plus actif dans la crise sahélienne, alors qu’elle conserve une forte influence dans le nord malien.
La révision constitutionnelle de novembre 2020 établit
les conditions d’une intervention extérieure de l’Armée Nationale Populaire. L’armée
est autorisée à intervenir hors des frontières du pays rompant avec une
tradition de non-ingérence. Un changement qui traduit la volonté de l’Algérie de
revenir au premier plan diplomatique. Ainsi le 24 août 2021, le ministre des Affaires
étrangères algérien, Ramtane Lamamra, annonçait la rupture des relations
diplomatiques et les prémices d’un conflit ouvert avec le royaume du Maroc.
Pour le président Tebboune la solution malienne était «à 90 % algérienne» et que son pays se tenait prêt à «aider Bamako». L’Algérie s’apprête vraisemblablement à jouer un rôle accru au Mali au moment où la France amorce un retrait. L’Algérie considère qu’elle a une carte à jouer et qu’elle pourrait faire d’une pierre deux coups en remisant le Hirak aux oubliettes. Forte de ses relations économiques avec la Chine, de son partenariat militaire avec la Russie, elle considère qu’elle est bien placée pour devenir un élément central, «voire le pivot» de l’ensemble régional qui se dessine.
Drapeaux algériens sur les Champs-Élysées |
L’Algérie rêve-t-elle d’une France aux couleurs
algériennes ?
RépondreSupprimerMonsieur Naccache,
Lorsque vous écrivez : « La guerre d’Algérie a toujours lieu », vous ne croyez pas si bien dire, et l’écrivain algérien Boualem Sansal offre un contrepoint intéressant à ce que vous écrivez.
Dans l’entretien qu’il accorde à V.A. à la suite de la publication de son dernier livre : « Lettres d’amitié, de respect et de mise en garde aux peuples et aux nations de la terre » chez Gallimard, il note :
« Le même jour de l’indépendance, l’armée du FLN dirigée par le colonel Boumedienne, dont Bouteflika était le lieutenant, a pris le pouvoir et a aussitôt mis le pays sous tutelle idéologique de l’Égypte nassérienne, chef de file du panarabisme, sous celle militaire de l’URSS et celle religieuse de l'Arabie saoudite.. En peu de temps l’Algérie s’est mise à ressembler à ces trois pays, ravagés par la folie du pouvoir absolu. La politique d’arabisation menée au pas de charge contre un peuple majoritairement berbère et la politique de réislamisation ont fini de détourner l’Algérie de son identité, de son histoire et de son ancrage méditerranéen, et de l’articuler au Moyen-Orient, dont les Algériens ne savaient rien. C’est bien une colonisation. On comprend mieux l’évolution dramatique qu’a connue ce pays, dont le point culminant a été la guerre civile des années 1990. »
A la question de savoir si le décès du président Bouteflika va changer les choses, il répond :
« …Le nouveau président Tebboune, sera sans doute pire parce que le pays est ruiné, il n’a plus la manne pétrolière qui avait permis aux dictateurs précédents d’acheter la paix sociale… D’où viendrait le changement dont les Algériens rêvent ? Le mouvement populaire appelé Hirak… a été un immense espoir, mais le pouvoir est arrivé à le briser. Va-t-il reprendre ? Je ne crois pas, les gens sont fatigués… ils savent qu’une nouvelle guerre civile est possible, probable. Les jeunes ont fait leur choix : l’émigration à n’importe quel prix. »
A une question sur Macron et le pardon qu’il a demandé aux harkis, voici ce qu’il dit :
« Il faudrait d’abord m’expliquer ce qui arrive à ce pays qui passe son temps à pleurnicher à genoux et à se couvrir la tête de cendres… Il faudrait dire à Macron le repentant, que les victimes de la France coloniale se fichent comme d’un guigne de son spleen et de ses excuses éplorées, ce qu’elles veulent, c’est la paix et des réparations concrètes, de l’argent, des bourses, des visas, des investissements, des partenariats, des projets d’avenir et surtout, en tout premier, qu’il cesse de soutenir leurs dictateurs. »
Cordialement.