LA STRATÉGIE SOURNOISE DES TALIBANS AUX YEUX DOUX
Par Jacques BENILLOUCHE
Talibans au palais présidentiel |
Les hommes politiques ne tiennent
pas compte des leçons qui leur sont données par des tiers sinon ils auraient
tiré les conséquences de la déroute soviétique subie il y a trente-deux ans en
Afghanistan. Et pourtant les Soviétiques n’étaient pas des enfants de cœur et
leurs méthodes n’avaient rien à envier à celles des Talibans. Leurs techniques
expéditives auraient dû décourager toute contestation au sein d’un pays muselé
mais ce ne fut pas le cas.
En fait, les Américains auraient
dû apprendre à connaitre le pays et ses habitants avant de l’occuper. Ils
pensaient qu’il suffisait d’inonder l’Afghanistan de dollars et d’armements
pour le dompter. Ils n’ont pas compris
que des paysans pauvres mais déterminés et intoxiqués par la religion pouvaient
être de farouches combattants. Les Américains auraient dû se rendre compte que
les populations ne peuvent pas se libérer si elles ne le souhaitent pas. Pourtant,
les Talibans et l’armée régulière sont constitués d’hommes de même origine, de
même nature et de même force mais les uns sont volontaires et déterminés tandis que les autres ont choisi
d’être assistés pourvu qu’ils aient des dollars en poche et que des étrangers
se chargent de leur protection.
Chefs talibans |
La crainte d’une guerre civile
n’est pas réaliste car les Afghans ont depuis longtemps déposé les armes.
Quelques points de fixation existent mais cela ne suffit pas à mettre en cause
le pouvoir taliban. L’Afghanistan a signé la fin de la puissance mondiale
américaine parce que ses habitants sont las d’une guerre qui dure depuis 40
ans. Ils aspirent à la tranquillité même sous domination talibane pourvu qu’on
les laisse exploiter librement leurs champs d’opium. Ils ne voient aucun
intérêt à porter des armes. Tout a changé dans ce pays. L’argent a pris le pas
sur l’idéologie au point que la population est prête à accepter de subir les
atrocités des Talibans.
Mais les choses ont évolué car le
temps des Talibans de 1990, primitifs, sectaires, fanatiques, façonnés par la
pauvreté et la souffrance est révolu. Ceux de 2021 ont beaucoup appris et ont même acquis des diplômes
universitaires. Ils ont compris qu’ils devaient se montrer sous un jour plus
favorable avec beaucoup de sournoiserie pour rendre leur combat plus efficace.
Ils ne coupent pas des têtes, ou moins, mais ils le font dans le silence des
prisons, hors des caméras et des médias qu’ils ont appris depuis longtemps à
apprivoiser. C’est en ce sens qu’ils sont plus dangereux parce que leur message
est devenu cohérent et ils rassurent en tendant une main tous azimuts.
Entrée des Talibans à Kaboul |
Au lieu de s’enfermer dans leurs frontières,
ils veulent s’ouvrir au monde en faisant croire qu’ils sont dorénavant pacifiques.
Leurs ainés ont massacré les chiites hazara, le troisième groupe ethnique le
plus important mais les nouveaux venus ont développé des relations étroites
avec l’Iran chiite. Ils savent que leur pouvoir des années 1990 avait rendu
l’Afghanistan à l’état de misère. Ils ne veulent pas de retour arrière. En
2001, l'opium avait été presque totalement éradiqué avec 84.000 hectares
cultivés. En 2017, ce chiffre était passé à 328.000 hectares faisant de l'opium
la plus grande activité économique du pays. Ils veulent que cela change. Alors les Talibans font appel à la
Chine, la Russie et le Kazakhstan pour qu’ils investissent afin de diversifier
leurs sources de revenus ailleurs que dans la drogue.
Mais les Talibans veulent régner
sans partage, sans contact avec l'État islamique d'Asie du Sud considéré comme concurrent. Cela rassure les Occidentaux qui comptent sur des guerres
intestines pour être à l’abri. Mais malgré des interventions médiatiques
rassurantes, les méthodes restent expéditives. Le chef de l’État islamique, Abu
Omar Khorasani, a été arrêté à Kaboul aux côtés du chef des espions et du
responsable des relations publiques du groupe. Cette opération entrait dans la traque les hauts
dirigeants des groupes terroristes régionaux.
Alors, les Talibans n’ont donc pas hésité à exécuter Abu Omar Khorasani. Cette
exécution se veut rassurante car le message à transmettre aux puissances
régionales consiste à leur faire comprendre que les Talibans récusent le
désordre.
Des filles fréquentent leur classe dans une école à Herat, en Afghanistan, le 9 mai 2021 |
Les Talibans veulent faire croire
qu’il n’existe plus de misogynie dans leurs rangs. Lorsqu’ils sont arrivés au
pouvoir dans les années 1990, ils ont imposé un régime patriarcal très
extrémiste et interdit l'éducation des femmes dans tout le pays. De plus, les
femmes n'étaient pas autorisées à travailler et ne pouvaient pas quitter leur
domicile sans un parent masculin proche. Les Talibans semblent à présent plus ouverts au
sujet de l’éducation des filles car beaucoup d’entre elles sont liées aux
Talibans. C’est le cas des étudiantes à l'école de Rahman.
Étudiants à l'école de Rahman |
Cette entorse à l’idéologie rend
sceptique. Certains pensent que cette évolution temporaire est due au fait que les Talibans doivent diriger
de vastes étendues de l'Afghanistan rural et que leur domination ne peut se
faire que progressivement. Il ne faut pas se méprendre sur leurs réelles
intentions. Ils se présentent sous un jour nouveau pour mieux tromper les
Occidentaux et capter la sollicitude de certains. La réalité est évidente, ils
ont cherché à corriger bon nombre des défauts et des lacunes qui ont miné leur
régime dans les années 1990. Alors, l'interdiction faite aux femmes et aux
filles de participer à l'école a été supprimée et les Talibans ont publiquement
déclaré que toutes les femmes devraient avoir accès à l'éducation. Mais dans la
pratique aucune école secondaire de filles est ouverte dans une zone sous leur
contrôle. Cependant pour montrer patte blanche, ils ne fermeront pas les écoles
supérieures et les universités pour les filles et les femmes dans les villes.
Plusieurs Talibans ont obtenu leurs diplômes dans ces institutions.
Aquarelle à la mémoire de Khasha Zwan, humoriste tué par les talibans à Kandahar. |
Les Talibans tentent
de donner des gages à la communauté internationale en évitant les affrontements
avec les troupes américaines, les arrestations de masse et en décidant une
amnistie générale pour les fonctionnaires. Mais cela n’a pas empêché la rancune
à l’égard de Khasha Zwan, humoriste et esprit libre connu pour ses vidéos
postées sur Internet dans lesquelles il se moque des Talibans. Ils sont venus
le chercher chez lui pour le trainer de force dans une voiture. Il a tenté en
vain de faire rire ses bourreaux avant de se faire assassiner. Cette image est
la plus adaptée à leur cynisme.
Les Talibans ont été
surpris par leur victoire rapide et se trouvent contraints de régler la crise
sanitaire qui prend des proportions énormes et la situation économique qui
frise la faillite. Ils savent que l’échec économique plombera leur situation
politique comme à l’occasion de leur première prise de pouvoir. Alors ils ont
demandé aux Talibans des rues de se comporter avec courtoisie avec les femmes
et les commerçants pour permettre à la population de reprendre vie dans la
cité. La nouvelle stratégie doit rassurer.
Mais ces épisodes
dramatiques comportent un message aux alliés des Américains, aux Israéliens et
aux Saoudiens en particulier. Ils peuvent être à abandonnés à tout moment. Cela
rappelle l’affirmation pertinente d’Henry Kissinger : «il peut être
dangereux d'être l'ennemi de l'Amérique, mais d'être l'ami de l'Amérique est
fatal».
Les Yankees partent en laissant tout leur arsenal sur place à libre disposition de leurs supposés ennemis :
RépondreSupprimerBizarre, comme c'est bizarre !
Très bon article de synthèse que j’ai lu nulle part. Et qui résume bien la situation. Pour Israël, en effet, l’écho de ce qui se passe sur le flanc Est de l’Iran, est terrible de signification. On est en train d’assister à un basculement géo-stratégique entre la Chine et l’Amérique, qui prendra une deux décennies. Mais cela n’inaugure rien de bon pour Israël.
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