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vendredi 11 juin 2021

La France et ses djihadistes par Francis MORITZ

 

LA FRANCE ET SES DJIHADISTES


Par Francis MORITZ

 

Djihadiste isérois tué en Syrie

La France répugne à trop parler de ses djihadistes au moment où les nuages s’accumulent au Mali, où les bienfaits de l’opération Barkhane semblent marquer le pas, contrairement aux déclarations de l’État-Major, et devenir un poids de plus en plus lourd à porter surtout depuis «le coup d’État dans le coup d’État». Un malheur n’arrive jamais seul, on déplore plus de 138 victimes dans le nord du pays. C’est l’opération la plus meurtrière à ce jour. Ignorer le problème ne permet cependant pas de le faire disparaître. En France, selon des informations déjà publiées, 80 auraient été libérés en 2020 et pour 2021 on parle de 70 libérations, une cinquantaine en 2022 et une trentaine en 2023. Dans l’État de droit qu’est la France, une peine purgée vaut quittance envers la société. On peut à bon droit être inquiet de la suite.





On doit à deux auteurs, Hakim el Karoui et Benjamin Hodayé un ouvrage très intéressant et détaillé sur les militants du Djihad édité chez Fayard. Ce document nous éclaire sur les vrais chiffres du djihadisme en France, mais aussi dans le reste de l’Europe. Sur une base de 1.440 djihadistes actifs entre 2010 et 2019 dans quatre pays européens (France, Belgique, Allemagne, Royaume Uni) 700 sont liés à la France ce qui représente environ 30% des 2.500 djihadistes français estimés pour la période. On estime à 20% des personnes identifiées les terroristes qui sont partis en Syrie ou ont voulu la rejoindre pour participer au djihad ou commettre des attentats.

De ce rapport on tire trois principaux engagements. Il y a homogénéité sociale et géographique du phénomène et l’existence de failles qui peuvent rendre les individus réceptifs au discours des recruteurs. Le rôle du salafisme est mis en lumière dans la moitié au moins des djihadistes français. L’approche religieuse et idéologique sont les deux moteurs du recrutement, qui intervient à l’échelle locale, sur des territoires en difficultés et travaillés de longue date par l’islamisme militant. 90% d’entre eux sont nés en France et 94% sont français. Ce qui amène évidemment à la question : comment des Français qui ont grandi en France puissent à ce point renier la République. Ce qui relance actuellement la question brûlante de la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour actes terroristes ou pour d’autres crimes.

Un premier constat, il s’agit d’un phénomène générationnel. En moyenne, ils sont nés en 1988 et sont essentiellement recrutés au milieu de groupes minoritaires, de jeunes, d’habitants de quartiers défavorisés, à forte densité musulmane, dans ce qu’on a déjà qualifié de «territoires perdus de la République» C’est le terreau dans lequel la religion devient une idéologie revisitée par les mouvements islamistes qui constitue le premier levier de l’engagement au djihad. On voit clairement que la religion est la pierre angulaire de cet engagement contre son propre pays.


Il faut bien sûr préciser qu’il ne s’agit pas de tout l’islam. On constate que 90% des djihadistes sont passés d’un islam traditionnel et pacifique à une autre forme qu’on peut désormais qualifier de salafo-djihadisme. 30% des djihadistes français sont des convertis.  C’est le résultat de la puissance de conviction du mouvement salafiste et de sa méthode de recrutement, qui offre une identité forte et collective, à des jeunes qui se sentent rejetés par leur pays. De façon catégorique et proclamée, ces djihadistes-salafistes ne reconnaissent pas les institutions.

Le problème persiste avec les mouvements représentatifs des différents courants de l’islam en France, pour souligner qu’il s’agit de factions différentes qui ne reconnaissent pas la totalité des valeurs républicaines, pendant que les salafistes eux, ne reconnaissent que leur seule idéologie. Tous les salafistes ne deviennent pas djihadistes. Mais la très grande majorité des djihadistes sont salafistes. On rappellera au passage que le Qatar soutient ces mouvements qu’il finance. Ce qui a amené la France à rechercher les moyens de contrôler tous les flux financiers, également de Turquie, qui arrivent sans aucun contrôle dans les associations salafistes ayant pignon sur rue.

C’est la présence de recruteurs sur le plan local qui détermine le plus grand nombre de recrutements et de conversions. Sur le long terme, ces différents mouvements ont renversé les normes pour verser dans une forme d’absolutisme religieux qui rejette toutes les normes républicaines. La déradicalisation, telle que conçue par les institutions a été un échec car en fait, il s’agit de militantisme, d’engagement dans lequel les jeunes recrutés trouvent une voie, une perspective que la République n’a pas pu ou su leur proposer ; C’est ainsi que ce passage à l’acte se fait relativement facilement.

Retour de djihadistes


Comment la situation peut-elle évoluer ? Les auteurs envisagent deux scénarios. L’un violent, selon lequel, les djihadistes libérés, ceux de retour de Syrie, les nouveaux convertis, reprennent du service et se préparent à agir par la violence que nous connaissons et dont les répliques se sont poursuivies, chaque fois qu’on parle «de loups solitaires ou de personnes souffrants de troubles psychiques» pour ne pas affoler la population.

L’autre à caractère social et sous une forme politique ou politisée, comme on en a déjà découvert les prémisses à travers des associations et manifestations à caractère racial et antisémites, au passage. Ce qui se traduit rapidement par un communautarisme et un repli identitaire et séparatiste. La future loi sur ce sujet, une de plus dira-t-on, ne règlera rien. On sait par expérience que quand le ver est dans le fruit, le mal est déjà profond. C’est une gangrène sociologique et humaine qui s’aggrave de jour en jour. Les demi-mesures ne régleront pas la question. Nul doute que ce sera aussi un sujet pour la prochaine élection présidentielle. Les graves incidents qui se répètent de semaines en semaines dans les banlieues n’ont rien à envier à ce qui se passe aux États-Unis où la violence armée est devenue banale depuis des années. Ce qui se passe en France tend hélas à devenir tellement fréquent que la comparaison pourra bientôt se faire à juste titre.

 

3 commentaires:

  1. Véronique Allouche7 juin 2021 à 11:20

    « Les demi- mesures ne règleront pas la question » écrivez-vous . Quelles seraient les mesures à prendre selon vous? Marine le Pen brandit l’étendard de la dangerosité et dénonce à qui veut l’entendre la passivité des pouvoirs publics. En fait la prise en charge de ces individus existe déjà par les psychologues, les membres des services pénitenciers, les éducateurs. Ensuite des quartiers spécialement dédiés aux plus radicalisés sont en fonction. D’autre part de nombreuses mosquées salafistes ont été fermées par les autorités.
    Marine le Pen a un concurrent sérieux dans la diabolisation de « ces gouvernants qui ne font rien » avec Jean-Luc Mélanchon qui n’hésite jamais dans la caricature grossière et qui prédit ce qu’il se passera huit jours avant les élections présidentielles :« Nous aurons le petit personnage sorti du chapeau et l'événement gravissime, qui va une fois de plus permettre de montrer du doigt les musulmans et d'inventer une guerre civile...»
    Avec ces deux-là il faut bien du courage aux responsables pour dire haut et fort les moyens déjà mis en place et ceux à venir....
    Même si remède magique n’existe pas.

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  2. Marianne ARNAUD7 juin 2021 à 16:55

    Monsieur Moritz,

    Il manque un volet à ce très intéressant article : c'est celui qui traiterait du problème de plus en plus crucial de la violence des jeunes en France. Car nos djihadistes, avant d'aller faire le djihad et de devenir des criminels endurcis, ont été des enfants, puis des adolescents, élevés la plupart du temps dans des familles où les violences s'abattaient fréquemment sur les membres du clan - la femme et/ou les enfants - commises par le père, chef de clan.
    Ce que ces enfants apprennent, dans ces familles, ce ne sont pas les lois qui régissent la vie en société en France, mais la soumission qu'ils doivent à la règle du clan.
    Or depuis quarante ans les pouvoirs publics ont abandonné ces enfants à leur sort, en expliquant à la société, que punir ces enfants lors de leurs dérapages violents, c'était en faire des victimes. Ces jeunes passent donc directement de l'impunité totale pendant des années, à la prison, après des dizaines d'infractions.
    Dans ces conditions, pas étonnant que nombre d'entre eux deviennent des cibles pour les radicaux islamistes qui peuplent aussi nos prisons.
    Le pédopsychiatre Maurice Berger, qui vient de publier un livre intitulé : "Faire face à la violence en France", pense que pour que la société entière puisse retrouver la paix et la sécurité, l'État doit reprendre le contrôle social qu'il a abandonné depuis des décennies.
    Il propose même des solutions concrètes allant du changement de la loi sur la responsabilité pénale des mineurs allant jusqu'à l'incarcération dans des centres éducatifs fermés. En passant par une politique de prévention pour les familles dysfonctionnelles, et jusqu'au contrôle de l'immigration et principalement le regroupement familial, afin que l'assimilation de ceux qui entrent en France garantisse leur renoncement à leur fonctionnement patriarcal, clanique et ethnique.
    Comme l'ajoute Barbara Lefebvre qui a analysé cet ouvrage pour V.A. : "Au-delà du courage politique, cela exige davantage de moyens financiers et humains que ce qui est alloué aujourd'hui. C'est non seulement un investissement pour l'avenir, mais la seule condition de notre survie en tant que société partageant un destin commun."
    Mais, serais-je tentée de dire, n'est-il pas déjà trop tard ?

    Cordialement.

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  3. Francis Moritz7 juin 2021 à 22:17

    Merci Mesdames pour vos contributions. Sans vouloir être un donneur de leçon, je m’en tiens aux faits. La France, depuis des décennies, est en tête de la production annuelle de lois. En même temps, leur nombre est si élevé que la corporation judiciaire, Justice, législatif, avocats peinent à suivre les changements permanents. A défauts d’appliquer celles qui constituent plus des actes de communication, appliquons celles existantes. On ne le fait qu’en partie. Toutes les soi disant mesures de déradicalisation sont sans effet car n’ont pas pris en compte la réalité de ces individus. A mauvaise question, il y a généralement une mauvaise réponse. Les mesures prises le sont sous la pression de l’opinion publique ou d’un dramatique évènement auquel on répond par « un coup de com « On agit au fil de l’eau, en réaction donc jamais sur le fond, mais le plus souvent sur la forme. Vous jugerez par vous-même. Quand on veut prendre des responsabilités, promettre et gouverner il faut assumer ses actes, sans doute avec courage, conviction et détermination.
    La violence croissante des jeunes mérite en effet plus que quelques lignes de ma part, sans aucun doute ! Il y va de 30 ou 40 ans de déficit d’éducation. Si pour le bon roi Henri labourage et pâturage étaient les deux mamelles de la France, Éducation, loi morale et civisme auraient dû être celles de notre époque. Lorsque 1968 est survenu, certains ont décidé pour nous que désormais il était interdit d’interdire. Malheureusement d’aucun ont pensé et l’ont largement fait savoir, que démocratie rimait avec laisser faire, avec complaisance, avec laxisme. Les moyens financiers ou humains ne sont pas les seuls moyens qui feraient défaut. On connaît la revendication, dès lors que quelque chose ne fonctionne pas, il faut plus de personnel et plus d’argent. Parfois c’est vrai, mais en partie. En revanche on constate en regardant ce qui se passe ailleurs qu’il y a bien plus que ces deux arguments pour faire avancer une société : Savoir d’où on vient, pour savoir où on veut aller et ne pas avoir peur de se regarder dans la glace le matin. Il est vrai aussi qu’en l’absence d’une glace c’est infiniment plus difficile. L'heure tourne et plus le temps passe plus la réponse devient difficile et douloureuse à mettre en oeuvre.
    Bien cordialement,


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