C'est l'aide humanitaire urgente du Qatar pour toute personne dont le logement est détruit |
Commençons
par évacuer d’abord ce qui tient de la pure politique interne, pour les deux
peuples en conflit perpétuel et qui viennent de vivre un nouvel épisode de
violence. Côté israélien, même si beaucoup d’observateurs ont présenté Benjamin
Netanyahou comme miraculeusement sauvé d’une alternance qu’aurait permise la
coalition de tous ses opposants – avec même la suggestion d’une théorie du
complot pour la suite des évènements [1] -, ceci ne tient pas pour plusieurs
raisons : au moment où j’écris ces lignes, il n’a toujours pas obtenu de
coalition ; le déroulement des opérations ne l’ont pas rendu plus
populaire, au contraire ; et enfin, l’incendie qui a démarré à Jérusalem a
eu sa dynamique propre, alimentée en partie par le Hamas, en partie par l’inertie
politique d’un gouvernement expédiant les affaires courantes entre deux
élections, pour rappel déjà quatre en deux ans.
Côté
palestinien, on se souvient que les sondages prévoyaient une défaite électorale
pour le Fatah d’Abou Mazen, dirigeant de l’A.P non réélu depuis 2006 et
accroché encore au pouvoir à 85 ans ; les élections furent donc annulées,
sous le prétexte du refus d’Israël de laisser les habitants de Jérusalem-Est y
participer. Et le Hamas, écarté des urnes, a réalisé la prouesse de revenir
occuper le devant la scène au bout de 11 jours de combat. Mais là aussi, c’est
ignorer que les guerres ont leur dynamique propre, et la plupart des
observateurs israéliens reconnaissent que l’ennemi n’avait pas prévu une telle
réplique de Tsahal. Quant à l’effet d’entrainement sur les Palestiniens de
Cisjordanie, pour le moment une troisième Intifada n’a pas démarré et donc les
gains politiques restent limités.
L’épisode
guerrier que nous vivons de vivre a donc eu comme prétexte Jérusalem, on s’en
souvient, avec le grotesque ultimatum envoyé par le Hamas avant sa première
salve de roquettes, et sommant la police israélienne de se retirer. Prétexte,
car quelles qu’aient été les fautes des autorités israéliennes ayant contribué
à allumer l’incendie, on réalise après coup combien cela relevait du «coup
monté» par le Hamas, et probablement aussi par son sponsor l’Iran : rappelons
les occupations répétées de l’esplanade des Mosquées par des jeunes brandissant
les drapeaux du Hamas – et ceci a été abondamment photographié ; l’excitation
allant crescendo en ce mois de Ramadan, propice chez les plus fanatiques pour
tuer au nom du Djihad ; la circulation virale sur l’application TikTok
d’une vidéo montrant l’agression d’un Juif orthodoxe par des jeunes
arabes dans un tramway ; le retour d’attentats divers, sur les routes de
Cisjordanie ou à Jérusalem ; la journée mondiale d’Al-Quds, célébrée
annuellement pour exprimer la solidarité des musulmans avec le peuple
palestinien, et instaurée dès 1979 par l’Ayatollah Khomeini : elle tombe
chaque année le dernier vendredi du mois du Ramadan, soit cette année le 7 mai,
trois jours avant l’attaque du Hamas.
Noémie Benchimol |
Mais
cette réalité n’en efface pas une autre, elle-même placée en tête de gondole
dans le narratif palestinien et reprise par la storytelling de leurs
supporters - mais pas seulement par eux. Les menaces d’expulsion d’habitants
arabes du quartier de Cheikh Jarrah dans le secteur oriental de la ville ont
joué un rôle dans l’explosion. Et je reprends ici un premier extrait du texte
remarquable publié le 25 mai par Noémie Issan-Benchimol dans «Philosophie
magazine» [2] :
«Oui, ce quartier est «disputé», oui il était avant 1948 peuplé de Juifs. Cheikh Jarrah, ce sont des familles juives expulsées et expropriées par la Jordanie en 1948, Jordanie qui accorde à des familles palestiniennes le droit d’y vivre, en tout légalité selon le droit jordanien. Ce sont ces mêmes familles qui se voient passer sous domination israélienne en 1967. La Knesset fait passer une loi en 1970, autorisant les Juifs ayant été expropriés en 1948 et disposant d’un titre de propriété à réclamer leur bien (…). Or quasiment aucune des actions en justice n’a été initiée par les descendants des Juifs expulsés en 1948, mais en majorité par des groupes de colons juifs qui ont retrouvé les descendants en question pour leur racheter leur titre de propriété et entamer les procédures».Et l’auteure de l’article décrit les enjeux symboliques de pouvoir et de peuplement portés par ces appartements, au-delà du contentieux de propriété de ce dossier explosif – la Cour Suprême d’Israël ayant sagement ajourné sa décision.
Marzel - Ben Ari et Ben Gvir |
La mouvance
radicale israélienne s’est engouffrée dans cette affaire, avec les provocations
d’Itamar Ben-Gvir, nouvel élu de l’extrême-droite et dirigeant du mouvement Otzma
Yehudit : lui et ses militants se sont affrontés aux habitants arabes
du quartier, où il avait établi un moment ses bureaux. Preuve que Benjamin
Netanyahou était conscient du risque d’incendie - au moins à partir du 8 mai -,
le bureau du Premier Ministre lui demanda de quitter les lieux … avec évocation
du risque de tirs de roquettes sur Jérusalem ! [3]. Et ceci, au lendemain
du fameux vendredi de la journée Al-Quds où se sont affrontés manifestants palestiniens
et policiers israéliens, faisant plus de 200 blessés d’un côté et 17 de l’autre
[4]. Suivant régulièrement I24News pendant le conflit, j’y ai entendu aussi des
critiques sévères du comportement de la police israélienne : était-il
nécessaire d’intervenir ainsi sur le Mont du Temple ? Pourquoi avoir
dispersé sans raison des rassemblements de jeunes Arabes autour de la Porte de
Damas ? Les poser ici dans un média juif communautaire relèverait presque
de la haute trahison.
Trois réflexions,
ici. D’abord à propos des titres de propriété. Au-delà du conflit historique
entre deux nationalismes, au-delà des conflits portant sur des territoires, les
querelles de propriété sur des biens privés sont les plus insolubles à résoudre.
«Voyez la clé qu’a emportée ma famille après la Nakba», telle est la
scie musicale du narratif palestinien présentant tout l’État d’Israël comme le
fruit d’un vol, et même si plus de 6 millions et demi de Juifs vivent aujourd’hui
dans des logements construits quasiment tous après 1948. Oui, il y a aussi
quelques demeures où vivaient jadis des Palestiniens, et non il n’est pas
question de chasser les familles juives qui y sont maintenant : mais ne
pas appliquer la même logique à ceux d’en face est du racisme implicite.
Ensuite, il
y a dans la communauté juive française des silences, en fort contraste avec ce
qu’on peut apprendre en lisant des médias israéliens. On y apprend que les
actes de haine gratuite envers des biens appartenant à des Arabes se sont
multipliés ces dernières années, non seulement dans les territoires de Judée
Samarie mais aussi en Israël même : pneus d’automobiles crevés ;
oliviers arrachés ; tags vengeurs au nom du «prix à payer». Autant
d’actes aussi gratuits que stupides commis par des jeunes fanatiques, qui bien
entendu ne justifient en aucune mesure la brutalité inouïe des attaques
commises contre des citoyens Juifs en ce terrible mois de mai dans les villes
mixtes, mais qui témoignent d’un climat détestable. Enfin, il y a l’idéologie
du parti de Ben-Gvir, lui-même coalition d’extrémistes encouragée par
Netanyahou avant les dernières élections pour affaiblir son rival de Droite Yamina.
Ben-Zion Gopstein |
On peut se renseigner très facilement sur ce personnage [5], kahaniste depuis son plus jeune âge – donc souhaitant logiquement l’expulsion de tous les Arabes, Israël compris, dans une posture à la fois de racisme assumé et de négation totale de tout principe de réalité : comment serait traité l’État hébreu par ses alliés internationaux s’il se comportait ainsi ? Imagine-t-il un départ forcé sans violence de millions d’hommes, femmes et enfants ? Allié de Ben-Gvir et poussant les limites de l’odieux encore plus loin, Ben-Zion Gopstein, responsable de l’association Lehava et déjà souvent poursuivi par les tribunaux de son pays : à son programme, la chasse aux LGBT ; et l’élimination de toute présence non juive dans le pays, Chrétiens compris (il y a déjà eu des incendies et tentatives de destruction d’Églises) : en effet, Israël doit manquer d’ennemis et il lui faudrait ajouter à l’Organisation de la Conférence Islamique quelques 2 milliards et demi de personnes !
«Quand certains dénoncent les extrémistes des deux bords face aux scènes de violences entre Juifs et Arabes, synagogues brulées, ratonnades perpétrées par des suprémacistes juifs, lynchages ou tentatives de lynchages sur des Juifs dans les villes dites mixtes, la réponse ne s’est pas faite attendre. La droite israélienne s’est insurgée contre cette équivalence de pogroms contre des Juifs avec ce qui n’aurait été, selon elle, que de la légitime défense ou de l’énervement de jeunes, bien compréhensibles après tout. D’autres à gauche se sont révoltés contre cette équivalence en arguant du fait que la résistance de la rue arabe ne saurait être jugée avec la même sévérité que les actions de membres de la majorité souveraine. Et, partout, le même besoin, qui semble puissant d’un point de vue cognitif et psychologique, de juger son propre camp avec des critères lâches, et le camp des autres avec des critères plus sévères».
(1) Article de Yeoshoua Amishav
(2) Article de Noémie Issan-Benchimol
(4) Site I24News, 8 mai 2021, 2
(5) Biographie d'Itamar Ben-Gvir
(6) Biographie de Ben-Zion Gopstein
Monsieur Corcos,
RépondreSupprimerComment ne pas admirer ce long travail d'analyse auquel vous vous êtes astreint ?
Pourtant vous lisant, comment oublier que dès 1928, Hassan al-Banna avait déjà l'objectif de "faire régner partout sur terre" la loi d'Allah, puis de rétablir le califat ? Et si on en croit Alexandre del Valle, pour ce faire, il faut "récupérer" les "terres perdues de l'islam" (Palestine/Israël, Inde, Balkans, etc..)
Ainsi écrit-il dans un article intitulé : "Les Frères musulmans matrice du totalitarisme islamiste" :
"Ce programme suprémaciste inspire, d'une part, les djihadistes d'Al Qaïda, l'État islamique, ou le Hamas, branche palestinienne des Frères, et, d'autre part, l'islam "démocratique" incarné par Ennahdha en Tunisie, le Parti de la Liberté et de la Justice en Égypte, le Parti de la Justice et du Développement au Maroc ((PJD) ou encore le Parti de la Justice et du Développement turc (AKP) de Erdogan, nouveau protecteur des Frères du monde entier."
Cordialement..