Entre
deux reprises de souffle, changements de côtés, coups géniaux tentés et ratés,
coups tordus rarement réussis, exclamations de victoire ou de désespoirs, les
deux vaillants athlètes explorèrent le combat éternel de l’émotionnel avec le
rationnel. L’actualité les servait bien. En France, un déchaînement de
condamnations horrifiées accompagnait la révélation d’abus sexuels sur enfants
d’une personnalité universalo-politico médiatique. À juste titre, sans
conteste. Sinon que la voix isolée d’un philosophe téméraire, prônant le
principe de justice individuelle, opposé à la tentation de justice de groupe,
résonna comme une insulte au sentiment spontané général d’horreur inacceptable.
En
Israël, l’extrémisme religieux aboutissait au refus violent des codes de
protection contre le corona, au rejet connexe de la vaccination. Avec comme
conséquence immédiate un taux de contamination et de décès record.
Les
deux champions se firent plaisir en évoquant l’irrationalité quasi ontologique
de la politique. À preuve immédiate, la concomitance de démarche de deux as
incontestés du jeu de la lyre émotionnelle, l’ex-président des Etats-Unis et le
premier ministre israélien. Fidélisant magiquement derrière eux leur foule de
supporters inconditionnels, rendus aveugles par intime conviction des désastres
sociaux, éducatifs, sanitaires, financier, judiciaires, d’image internationale,
que le règne de leur guide incontestable a provoqué.
Dans
ce siècle où l’information devient la matière première, «ton André Malraux»
disait le copain au revers tennistique un peu hasardeux, n’avait effectivement
pas prévu une autre magie. Celle des réseaux sociaux qui consacrent le règne de
l’émotion. Ces réseaux, permettant le partage universel des savoirs, réunissant
les intelligences du monde entier, se révèlent de fait, les canaux des pires
expressions émotionnelles. Anathèmes, injures, menaces, se déversent
allègrement, impunément, en engloutissant sous leurs flots, l’argumentaire
structuré, l’énoncé de fait acquit.
Lors
d’une de leurs pauses, de plus en plus fréquentes au fur et à mesure que leur
match perdait de sa férocité, ils tombèrent d’accord. La théorie des complots
symbolisait bien ce phénomène général. Jonathan se souvint de sa stupéfaction.
Deux de ses amies proches, qu’il croyait jusque-là bien connaître l’avaient,
dit-il, scotché. Devant lui, entre elles, elles avaient énuméré les raisons
qui rendaient clair : que les Américains n’avaient jamais mis le pied sur la
lune (un montage d’images fabriquées), que les tours ne s’étaient pas effondrées
(une action combinée du Mossad et de la CIA), que Les Protocoles de Sion
énonçaient la vraie vérité historique (deux mille ans d’histoire le prouvent),
que……Leur militantisme mettait leurs capacités cognitives au service aveugle de
leur engagement irréductible, infaillible.
La
rage, déclenchée par l’évocation de l’archétype, la théorie du complot Soros,
fit rebondir la balle à l’intérieur du carré, pour un nième service à la
Fédérer. À la surprise de Jonathan, laissé sans réaction. Ce complot, lié au
milliardaire George Soros. Accusé par tous les antisémites de la terre de
contribuer souterrainement à la «domination juive» mondiale, par tous
les responsables populistes de propager la domination internationale du
capitaliste.
Ils
tombèrent d’accord encore, sur le phénomène en très grande partie responsable
de cette victoire de l’émotion sur la raison. La médiatisation. Qui, par
nature, appuie et amplifie la dimension émotionnelle. «La puissance des
mots, la force de l’image» se réduit à la force des images. Qui écrase le
commentaire, efface la perspective. Qui, sous le fouet de l’actualité, sans
cesse renouvelée, réduit le temps passé à une succession de temps présents. Qui
démultiplie l’impact instantané. Qui s’appuie sur, et ne fait que renforcer
l’individualisme grandissant.
Tout
effort demandant récompense, les deux combattants se retrouvèrent devant un
verre hautement mérité. Ce qui leur permit de creuser le sujet. «Le bon
sens, étant la chose au monde la plus partagée», selon Descartes, pourquoi
donc les humains, de tout temps sans doute, mais encore plus maintenant, se
roulent avec délectation dans leurs sentiments plus que dans leur jugement ?
Préférant la Fée Carabosse, à l’Idée de Platon, au Stoïcisme de Bouddha, à la
Raison de Descartes, la Morale de Kant, l’Histoire de Hegel ?
«Simplissime,
affirma son ami à Jonathan. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est ton autre ami,
Einstein. On peut tout croire, car tout est relatif». Diagnostic
définitif, qui contraignit Jonathan, émotionnellement impressionné, à resservir
un verre.
Quelle jolie plume que celle de Claude Meillet! Son article m’a amenée à réécouter l’interview d’Alain Finkielkraut sur l’affaire Duhamel , il parle du lynchage médiatique qui dénonce et qui condamne sans avoir tous les éléments de cette affaire. Ceci m’a rappelé l’époque où Dominique Baudis fut trainé dans la boue par le tribunal médiatique alors qu’il était totalement innocent.
RépondreSupprimerÀ cet égard le titre de l’article est bien trouvé, l’émotion remplace la réflexion.
Merci à vous.
Claude, tu te gaspille sur le bord de mer de Tel Aviv avec un copain à la con. Si ce copain possedait ton talent, il n'aurait pas passé sa vie à se casser l'échine pour mettre au monde les admirateurs de Bibi.
RépondreSupprimerCe "règne de l'émotion" dont vous parlez si bien, ne pourrait-on pas l'appeler plutôt : le règne de la démagogie ? Tout homme politique, qui a été ou veut être élu, n'est-il pas amené à être démagogue ? C'est en tous cas la thèse de Raphaël Doan qui, en introduction de son ouvrage lumineux : "Quand Rome inventa le populisme" écrit : "...La démagogie n'a pas de programme politique, encore moins de pensée ou de philosophie politique ; son contenu est par essence variable et changeant de jour en jour et d'auditoire en auditoire..."
RépondreSupprimerDans ce "premier essai époustouflant", l'ancien élève de l'ENM et de l'ENA, agrégé de lettres, de vingt-six ans, fait un rapprochement saisissant entre les situations politiques actuelles et celles de la Rome du Ier siècle avant Jésus-Christ, où les "populares" (nos populistes) sont opposés aux "optimates" (nos élites).
Jonathan a donc raison de s'émouvoir : il semblerait bel et bien que quelque chose ait échappé au "copain" Malraux !