Il y aura deux procès, celui qui a lieu devant la Cour spéciale et l’autre, hors la Cour. Notre propos n’est pas le premier procès mais l’autre, essentiel, qui n’a pas encore eu lieu. Dans notre État de droit, ce procès aura pour but d’établir la responsabilité des accusés présents ou absents. Mais rien de plus. Les bourreaux sont morts ou absents ; les victimes seront présentes dans nos mémoires. On ne fera donc pas toute la lumière sur ces deux attentats. Car Charlie c’est aussi l’hyper Casher qui a frappé la communauté juive, donc la communauté nationale.
Arrivée des tueurs |
La grande nouveauté, c’est le filmage du procès. C’est à
Robert Badinter que nous devons cette loi de 1985. Il y a 13 autres procès
conservés aux Archives, dont celui de Barbie. Formidable ! Mais le Conseil Constitutionnel
a encadré la loi : pas de diffusion publique, visionnage uniquement à des
fins d’archivage, de consultations scientifiques et historiques. C’était il y a
45 ans. Depuis personne n’a voulu élargir le champ d’applications !
Comme la loi le veut, le procès est ouvert au nom du Peuple
français. Alors il est indispensable que tous ceux qui n’y assisteront pas, en
particulier la communauté juive qui fut l’objet de tant de drames et de
persécutions et qui a encore souffert dans sa chair, aient la possibilité d’y
assister après sa conclusion. Or ce n’est pas ce que prévoit la loi. Il faut
l’amender. On a peur de diffuser en direct le procès. Pourquoi cette réserve,
cette frilosité historique, encore une exception française de trop ? La France laïque permet de critiquer des
idées, que certains se plaisent à confondre avec des identités. On peut y voir
une des raisons, mais ce principe ne peut être remis en cause. On a renoncé à
mettre en évidence le terrorisme islamique. Pendant qu’ailleurs, on renouvelle
le vocabulaire politique. Séparatisme, après incivilités et ensauvagement,
l’académie française va devoir actualiser ses fiches.
Le second procès doit être conduit par les médias et les
intellectuels. Ils doivent faire preuve de pédagogie si nous voulons, cette fois,
mettre fin à cette fuite en avant. Au XXI° siècle, la France ne peut
indéfiniment nier son Histoire et son devoir de mémoire. Comme elle l’a fait
précédemment :
Paul Touvier, collabo avec du sang sur les mains, a été gracié
par le président Pompidou en 1971. Il faut attendre juillet 1995 pour que
Jacques Chirac prononce son discours du Vel d’hiv sur la responsabilité de l’État
français, soit 50 ans plus tard. René Bousquet, collabo bien connu, est passé à
travers les mailles de la justice mais a été assassiné en 1993. Le procès de
l’ex-préfet Papon a eu lieu en 1998. Le film le Chagrin et la pitié est sorti en 1969 en Allemagne et en Suisse.
Il sera diffusé en France la première fois en 1971 au cinéma, non sans mal. En
1973, l’ORTF avait refusé sa diffusion à la télé, pour ne pas gêner certaines familles ( !) il le sera en 1981 !
Encore heureux qu’on n’ait pas posé la question à la communauté juive, pour
savoir si ça la dérangeait. La France a peur de son passé. On s’en prend aux
extrêmes et pendant ce temps on veut gommer ce qui fâche. Souvenons-nous des
séparatistes corses reçus officiellement, comme ceux de la Nouvelle Calédonie, qui
votera par referendum le 4 octobre 2020.
Seuls quelques privilégiés auront concrètement la
possibilité de consulter les archives, s’ils ont le bon motif, la bonne
autorisation, la curiosité, le temps. Combien
sommes-nous à avoir visionné le
procès Barbie ?
Alors oui, il faut cet autre procès, AU NOM DE TOUS, disparus
ou vivants, survivants et de tous ceux qui en raison de leur croyance religieuse,
avérée ou supposée, notamment les Juifs, ont été assassinés. Il y a 150
journalistes présents et quelques autres. Il faut refuser cette flagrante
inégalité de traitement entre tous. A défaut, les 67 millions de Français et
tous les autres, pourraient voir le film dans 50 ans lorsqu’il sera libre à la
diffusion, autant dire nos enfants et
petits enfants !
C’est une injustice. C’est pourquoi tous ceux jouissant
d’une notoriété et d’un accès aux médias, doivent prendre leur responsabilité, faire preuve de
pédagogie en lieu et place des dirigeants et dépasser le cadre du procès
officiel et mettre en lumière toutes les facettes du terrorisme islamique, de
ses racines et de notre situation eu égard à ce fléau de la République laïque,
si nous voulons qu’elle le reste. Il n’y peut y avoir ni soumission, ni
résignation face aux terroristes, quels qu’ils soient. Le devoir de mémoire est
un devoir de vérité qui n’est pas l’apanage de la seule communauté juive, mais
bien celui de tous ; renoncer à l’un c’est renoncer à l’autre. Sans cette
vérité, il ne peut y avoir de confiance dans l’unité de la République et sans
cette unité pas de laïcité réelle et vivante. La vérité ne saurait être l’otage
de la politique. La force de la démocratie est à ce prix.
La justice doit travailler sereinement pour mener à bien ce difficile procès. Si les audiences filmées en direct avaient été jetées en pâture au tout-venant, combien de polémiques, de controverses et surtout de haine n’aurions nous pas entendues. Le choc des mots est toujours plus fort que celui des photos et pour peu que l’on s’intéresse à ce procès, il suffit de lire quotidiennement le compte-rendu d’audience accessible à tous sur internet de Yannick Haenel, écrivain et journaliste à Charlie Hebdo. Sa plume est belle, sensible et clairvoyante. Il dit avec des mots justes toute la souffrance qu’évoque ce procès.
RépondreSupprimerLa lumière sera faite sur les trois attentats et non pas deux car vous oubliez la policière morte en service sous les balles de Coulibaly. Clarissa Jean-Philippe n’avait que 20 ans.
Charlie Hebdo lui ne l’a pas oubliée.
Chère Mme Allouche, je vous remercie pour vos commentaires et je respecte votre point de vue. Mon constat : l'absence de diffusion des 14 procès filmés précédemment n'a pas réduit la haine et l'antisémitisme. Eviter de faire connaitre la Vérité n'a jamais été une solution. On peut contester la diffusion en direct, mais pourquoi priver la majorité des citoyens de la diffusion post procès ? Dans 50 ans j'aurai (!) 125 ans et j'imagine que les survivants, nos concitoyens adultes auront entre 75 et 100 ans. La chronique de Mr Haenel est en effet sensible et permet de suivre le procès, à travers sa narration. Pour autant, je persiste.
RépondreSupprimerBien cordialement,