AZERBAÏDJAN-ARMÉNIE, LE DESSOUS
DES CARTES
Par Francis MORITZ
On a coutume de dire que depuis des décennies, le Caucase
est un immense baril de poudre, doté de plusieurs mèches. On vient d’y craquer
une allumette. Dans des temps anciens, cette région fut conquise par la Perse
de Cyrus le Grand. La frontière avec l’Arménie actuelle correspond à peu de
chose près à la frontière de l’époque. Compte tenu des luttes incessantes entre
les différents empires et leurs conquêtes, elle passa successivement sous le
joug des multiples empires qui l’occupèrent dont les Ottomans, les Perses et les
Mongols. Mais c’est dans son histoire contemporaine qu’il faut rechercher les
origines du contentieux qui a dégénéré en combats meurtriers.
Haut-Karabakh |
En 1905 dans le chaos de la révolution russe, des milliers
d’habitants des deux pays furent massacrés dans les grandes villes de l’époque.
Lors de l’effondrement de la Russie des tsars en 1917, ces massacres se renouvelèrent
à grande échelle. Un Azerbaïdjan indépendant réclama le Karabakh en 1918. La
province du Nagorno Karabakh résista. Il y eu même une intervention britannique
en faveur du gouvernement de Bakou, de multiples incidents, attaques, massacres
eurent lieu de part et d’autre pendant toutes ces années. En 1921 tout le sud
du Caucase était sous contrôle soviétique. Il semblait d’abord que la région du
Nagorno Karabakh serait transférée à l’Arménie, mais la normalisation des
relations entre la Turquie et l’URSS en
décida autrement. Le territoire fut incorporé par le régime soviétique en
province semi-autonome à l’Azerbaïdjan.
Les Azéris émigrent en masse. Dès 1926 la province était
habitée à 96% par des Arméniens. La campagne de collectivisation soviétique de
1930 amplifia le phénomène. L’Arménie revendiqua alors le territoire. La guerre
de 1993/94 permit à l’Arménie de faire quelques gains territoriaux, lui
facilitant sa défense, voire même un accès plus facile vers l’Azerbaïdjan. Une
reprise en main permit à l’Azerbaïdjan de modifier le peuplement en faveur des
Azéris. Ce mouvement fut ensuite inversé, à tel point qu’en 1979 les Azéris ne
représentaient plus que 25% de la population.
Durant la Glasnost les habitants du Nagorno revendiquèrent
plus d’espace culturel et religieux. Il s’ensuivit de nombreux massacres et
attentats de part et d’autre. Moscou plaça le pays sous la loi martiale en
1988, qui fut ensuite annulée, car l’URSS en perte de vitesse n’était plus en
mesure d’imposer une solution. En octobre 1991, l’Azerbaïdjan déclara son
indépendance, suivie par le Nagorno Karabakh
qui s’auto-déclara indépendant en
décembre 1991. Ce qui mit le feu aux poudres. L’Azerbaïdjan envahit le
territoire et l’Arménie s’y opposa.
Alors que ce territoire était enclavé dans l’Azerbaïdjan, à
la suite des opérations militaire, il dispose depuis d’une petite frontière
avec l’Iran et l’Arménie, lui permettant ainsi des échanges commerciaux très limités.
Ce pays n’est reconnu par aucun pays alors qu’officiellement la province fait
partie de l’Azerbaïdjan. La Russie, depuis des décennies et aussi longtemps
qu’elle eut le contrôle de ces territoires, encouragea le développement de
l’homogénéité ethnico religieuse chrétienne de la population, ce qui provoqua
largement le départ des musulmans vers la Turquie, l’Iran notamment.
Ilham Aliyev |
Le clivage se poursuivit ces dernières années. De sorte
qu’on a d’une part l’Arménie et le Nagorno chrétiens et l’Azerbaïdjan musulman
gouverné par une dictature oligarchique depuis 30 ans. Le dictateur azéri Ilham
Aliyev, successeur de son père, est confronté à des manifestations de masses
dont il a tout à craindre. La mort récente d’un officier supérieur sur la ligne
de front a été le catalyseur de l’appel à manifester, à revendiquer des
changements dans le pays, bref un amalgame susceptible de déboucher sur une
crise de régime.
Le patriotisme réel des citoyens s’est transformé en appel
à la vengeance et la guerre. Les deux
pays sont confrontés à la pandémie qui ajoute aux difficultés. La loi martiale
et la mobilisation ont été décrétées des deux côtés. Ce qui permet au dictateur de lancer une opération
militaire pour se remettre en selle et détourner
la colère populaire vers l’étranger. Chaque partie donne son
explication. Cependant, il apparaît que l’Azerbaïdjan, qui fait état d’une
contre offensive, avait décidé une
mobilisation de réservistes quelques temps avant le début du conflit. On peut y
voir la préparation à la guerre qui a suivi.
Le discours nationaliste depuis des décennies, dans les
deux pays, est basé sur une haine réciproque pour le voisin. Quel que soit le
changement de régime, ce qui a été le cas en Arménie lors de la révolution de
velours, le narratif national ne change pas. Un dirigeant voudrait-il modifier
ce récit national, qu’il pourrait y laisser sa carrière ou sa vie. Déjà en
2016, Bakou avait lancé une attaque surprise, qui resta sans lendemain, car
l’Arménie avait soigneusement aménagé ses défenses dans une région montagneuse
qu’elle connaît bien.
Des habitants du Karabakh dans un abri |
En juillet, Bakou trouva un prétexte pour lancer une
nouvelle offensive. Ce qui cette fois créa une situation des plus délicates.
L’Azerbaïdjan reçoit la majorité de son armement de la Russie, qui est aussi le
fournisseur de l’Arménie. Le nouvel embrasement actuel voit la Turquie adopter
une rhétorique extrêmement belliqueuse au soutien de l’Azerbaïdjan que le
président turc qualifie de pays frère. On
doit y voir un double objectif ; d’une part trouver dans ce conflit une
arène supplémentaire pour s’ériger en nouveau Saladin du monde musulman, après
ses multiples interventions au Moyen-Orient et dans d’autres théâtres
d’opérations ; d’autre part, essayer de mobiliser la population turque
déjà confrontée à des problèmes économiques et sanitaires majeurs. On ne peut
que s’étonner des moyens énormes mis en œuvre face à des ressources en baisse.
La Turquie y voit aussi un allié qui est riche en gaz et en pétrole, alors que
l’Arménie chrétienne n’a rien à offrir. Certains affirment même que la Turquie
aurait déplacé 4.000 mercenaires en provenance de Syrie, comme elle l’a fait en
Libye. Elle aurait même abattu un avion arménien.
La Turquie alliée de l'Azerbaidjan |
La Russie cette fois ne voudra pas soutenir militairement
l’Arménie et donc intervenir par les armes. L’enjeu pour elle est de poursuivre
ses bonnes relations avec l’Azerbaïdjan, son client et aussi son partenaire en
ressources naturelles. Au delà, soutenir l’Arménie serait se couper de ce pays,
laisser le champ libre à la Turquie et aux États-Unis qui avec l’Azerbaïdjan
participent au programme de l’Otan, Partenaires pour la paix. Les États-Unis
disposent de diverses facilités militaires : base de ravitaillement,
survol de l’espace aérien, coopération contre le terrorisme. Un tiers des
équipements autres qu’armements destinés aux bases dans la région, transite par
Bakou. Une coopération étroite s’est également développée concernant la
production d’hydrocarbures et la sécurité en mer caspienne. En clair les Américains
ont toutes les raisons officielles et officieuses de laisser leur partenaire
agir sans intervenir, autrement que par des initiatives diplomatiques. A
preuve, un accord a été signé garantissant à ce pays la clause «du pays le plus favorisé». L’Amérique soutient également la candidature
du pays à son entrée dans l’OMC.
Mission américaine en Azerbaïdjan |
Le groupe de Minsk au sein d’OSCE, constitué de la Russie,
des Etats-Unis et de la France avait annoncé en janvier 2019 un accord peu
suivi. En fait, le président Aliyev revendiqua pour son pays le droit au
recours par la force. Le Groupe propose actuellement une médiation en vue de
trouver une solution pacifique, sans succès jusqu’à maintenant, si ce n’est des
suspensions sporadiques des hostilités. C’est ce qu’on appelle localement un
conflit gelé. Un tonneau de poudre où il suffit d’allumer la mèche.
Le président français a une position ambivalente car il
prône des sanctions contre la Russie (Biélorussie) et le dialogue. Il faut
également noter que c’est le dernier forum où Russes et Américains peuvent
officiellement se parler. L’UE fait de grandes déclarations en vue de calmer le
jeu qui a déjà fait près de 100 victimes, militaires et civiles, mais rien n’y
fait. Cette fois le président Aliyev sait que les grands joueurs se tiennent à
l’écart. Dans le meilleur des cas un cessez le feu interviendra avec des gains
pour l’Azerbaïdjan, à défaut il faut s’attendre à un conflit qui perdurera,
obligeant les populations des deux pays à subir un drame de plus. Ce sont
toujours les civils qui paient l’addition !
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