LA
TURQUIE CONSTRUIT SES PROPRES DRONES
Par Jacques BENILLOUCHE
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Drone Bayraktar |
Il est loin le temps où la
Turquie manquait de drones et où Israël refusait de lui en livrer après la
rupture des relations diplomatiques. Dans un bond en avant très remarqué, les
Turcs ont développé leur propre drone Baykar afin d’augmenter l’indépendance
des forces armées. Une Turquie, moins soumise à l’armement venu de l’étranger, poursuivra
ainsi sans contrôle sa politique étrangère belliciste et interventionniste.
Erdogan a perdu le sens du dialogue pour recourir à la force au point d’étendre
ses interventions en Irak, en Syrie, à Chypre, au Qatar, en Somalie et en
Libye.
Milgem |
Les Occidentaux, la France et l’Allemagne en particulier, avaient été d’ailleurs
contraints de stopper la livraison d'armes à la Turquie. Mais s’inspirant de la leçon
d’Israël de 1967 après l’embargo du général de Gaulle, la Turquie a donc tout
fait pour ne plus dépendre des États-Unis et de l’Allemagne.
Jusqu’alors, en tant que membre
de l’Otan depuis 1952, l’armée a utilisé la technologie militaire des
Occidentaux. Mais à présent, elle veut avoir ses propres armements. Elle a
développé son navire de guerre le Milgem, ses tanks Altay en cours de finition,
ses systèmes de missiles antibalistiques Hisar et Siper et à présent ses drones
qui ont subi l’épreuve du feu et les
tests en réel à Idlib en février. Le besoin en avion sans pilote s’est fait
sentir dans le combat contre les Kurdes du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan)
car la topographie montagneuse de l’Est de l’Anatolie rendait difficile
l’accès.
Les drones détectaient plus
facilement les cibles et participaient à des missions de reconnaissance, de
surveillance et de patrouille maritime. Dans l’attente de sa propre production,
la Turquie avait utilisé les drones allemands de surveillance Canadair CL-89
avant de les remplacer par des GNAT américains tout en encourageant son
industrie locale à produire des drones. Mais les prototypes réalisés ne
correspondaient pas aux besoins de TSK (Forces armées turques).
Pour combler cette lacune, la
Turquie a fait l’acquisition auprès d’Israël de 10 drones Héron pour 183
millions de dollars. Le choix par rapport au Prédator américain était justifié
par l’installation sur les drones du système de reconnaissance et de
surveillance électro-optique «Aselfir300T» mais il fallait pour
cela renforcer les moteurs Héron pour
permettre aux charges utiles électro-optiques locales fabriquées par Aselsan
(Aselfir300T) d'être installées. La charge utile d'Aselsan pesait plus lourd,
ce qui a nécessité le renforcement des moteurs des drones Héron devenus trop
lourds. Le contentieux politique n’a pas permis à Israël de fournir la
formation adéquate aux opérateurs turcs.
Ainsi trois des Héron se sont écrasés et les autres ont souffert de problèmes
logistiques. Les Turcs ont donc décidé de mettre fin à l’usage de drones israéliens
pour faire appel à un fabricant local Baykar Defence Industry, dirigé par le
gendre d’Erdogan Selçuk Bayraktar.
Le Bayraktar a fait ses preuves
en restant en vol pendant 24 heures 34 minutes tout en atteignant une altitude
de 27.000 pieds (8.230 mètres). En atteignant cette étape, la Turquie est
devenue un fabricant indépendant de drones. Un an après sa mise en service, le
Bayraktar était armé et effectuait 175.000 heures d'aviation. Suite à cet
exploit, 104 drones turcs armés ont été livrés au TSK ce qui ouvrit la voie à l'exportation
de la technologie turque vers l'Ukraine et le Qatar.
Héron |
L’industrie turque ne manque pas
d’ambition puisque la société TUSAŞ a annoncé son intention de produire des
drones supersoniques avec l’assurance d'atteindre son objectif à la fin 2021,
parallèlement à la mise en place d’un avion de combat national turc. Ce drone
supersonique de TUSAŞ, qui devrait voler à 1,4 mach (1.600 km), sera équipé
d’un système capable de tromper les
systèmes anti-aériens des adversaires.
Grâce à sa production nationale,
la Turquie n’hésite plus à intervenir dans divers théâtres à l'étranger. Elle a
décidé d'établir une nouvelle base de drones dans la province d'Erzurum, située
dans l'est de la Turquie pour des missions contre le PKK et pour détecter les
abris et les cachettes des rebelles. Erdogan va pouvoir intensifier ses
opérations en Syrie. Au départ il était censé s’attaquer à Daesh mais en fait son
véritable objectif visait les Kurdes syriens, le PYD (Parti de l'Union
démocratique kurde) faisant partie intégrante du PKK. Le drone turc Bayraktar a
ainsi contribué au succès des deux opérations à Afrin et dans les cantons de
Tel Al-Abyad.
La Turquie s’oppose activement
au régime d’Assad à Idlib et fournit à la rébellion un soutien moral et
matériel ce qui a poussé la Russie à devenir l'adversaire de la Turquie dans la
province. La déclaration du président Erdogan de faire don de 33 millions de
dollars au budget de la défense ukrainien, contre les Russes, a encore aggravé les tensions entre les deux
pays.
Parce que 36 soldats turcs avaient été tués à Idlib par le régime syrien, TSK avait utilisé massivement 20 drones Bayraktar
TB-2, pour frapper les dépôts d'armes lourdes et de munitions des forces
d'Assad et détruire huit systèmes de défense aérienne Pantsir de fabrication
russe. Il est à craindre que, se sentant bien armé, Erdogan pousse son avantage
contre la Grèce sous prétexte de la souveraineté sur le plateau continental de
la mer Égée. Les Turcs veulent éloigner leurs limites des eaux territoriales.
En mars 2019, la Turquie avait lancé l'un des
exercices militaires navals les plus complets, appelé «la patrie bleue»,
afin de dissuader les manœuvres grecques et chypriotes grecques. Elle a aligné 103
navires et les drones Bayraktar pour simuler «l’occupation d’une île ennemie
et la destruction de F-16 et de drones ennemis».
Armes ou réfugiés |
La politique étrangère agressive
de la Turquie a éliminé tous les freins et contrepoids diplomatiques à Ankara. Elle
ne cherche plus à plaire à l'Occident et n’est plus impressionnée par les
Russes. Son programme de politique étrangère est fondé sur la force que lui
donnent à présent ses propres matériels militaires. Toutes ses
interventions à travers le monde sont présentées au peuple turc comme un signe
de la force de son État. Mais c’est surtout un moyen pour Erdogan de détourner
l’attention de son peuple sur la crise économique que subit son pays.
La
Turquie devient un concurrent sérieux pour la vente d’armes mais elle risque d’entraîner
une prolifération des armes au sein d’une région déjà troublée. Elle augmente
les possibilités d'une confrontation armée entre différents acteurs
indépendamment de leur affiliation à un camp particulier. En rendant certains pays dépendants de l'armement turc, Erdogan pourra imposer sa loi. Israël a perdu un bon
client en armement mais a gagné un ennemi redoutable.
La Turquie : une chance ou un danger pour l'Europe ? Les turcs en Europe : t^te de pont ou amis ?
RépondreSupprimerLa guerre contre l'infidèle, le mécréant, le kouffar, est un commandement divin, une mitsva, dans le corpus musulman. Erdogan se prépare au djihad. Il est cohérent avec sa foi. Ceux qui assurent la survivance (je n'ose pas dire : la défense) du vieil Occident post-chrétien peinent à comprendre ses motivations. A force d'avaliser le déni de réalité, on s'achemine va tout doucement vers la catastrophe soft, façon Soumission (Houellebecq). Qu'en pensent ces généraux qui raffolent des "war games" ? Il n'y aura pas de sursaut gaullien. Aucun chef d'Etat-major n'est prêt à risquer sa carrière pour cela.
RépondreSupprimerCher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerEt pas un mot sur les deux navires de combat envoyés par la France en Méditerranée orientale pour soutenir la Grèce face à la Turquie ?
Ce n'est pas très gentil !
Ah j'oubliais : le Pentagone s'en était inquiété !
https://www.lefigaro.fr/flash-actu/le-pentagone-s-inquiete-du-deploiement-militaire-francais-en-mediterranee-20200813
Donc c'est normal !
Très cordialement.
Cher Marianne,
RépondreSupprimerFrançoise Giroud, mon idole journalistique, une femme eh oui !, disait toujours : un sujet-un article. Traiter plusieurs sujets dans un seul article le rend touffu et lourd.
Cet article traitait des drones d’Erdogan et des conséquences. Un article plus complet traitera de tout l'armement turque
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