Malgré les difficultés judiciaires de Netanyahou, les actuelles manifestations de rue en Israël sont vouées à l’échec. Dans un système politique démocratique à la représentation intégrale, s’inspirer des révolutions arabes n’a pas grand sens…
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Un comité Théodule ?
Comme pour de nombreuses
révolutions, la révolte des tentes a commencé par une seule personne,
Daphni Leef, incapable de se loger dans la capitale en raison des prix élevés,
qui a dressé le 14 juillet 2011 une tente sur le terre-plein du boulevard
Rothschild à Tel-Aviv afin d’attirer l’attention sur son cas. Cette mauvaise
humeur fut la cause d’un départ imprévisible. Le 23 juillet, une énorme
manifestation avait réuni plusieurs centaines de milliers d’Israéliens qui réclamaient
plus de justice sociale, une baisse du coût des logements et une action
gouvernementale en faveur des classes moyennes de plus en plus asphyxiées.
Comme toujours dans ce cas et pour
calmer les protestataires, le Premier ministre Benjamin Netanyahou avait
annoncé, le 8 août, la création d’une commission dirigée par le Pr Manuel
Trajtenberg, vouée à élaborer des propositions concrètes. Il est classique,
dans les habitudes gouvernementales du monde entier, de créer une commission
pour enterrer un problème. Sentant que cette commission avait pour but
d’étouffer la contestation, le mouvement social s’était amplifié jusqu’à son
apogée le samedi 3 septembre avec la «marche des millions», qui avait réuni
460.000 personnes, massées dans les rues de Haïfa, Tel-Aviv et Jérusalem. Le
mouvement de protestation prit fin le 28 novembre 2011 après quatre mois
d’occupation des tentes. Cette révolution eut peu de résultats mais beaucoup de
leçons en découlèrent. La seule mesure concrète fut l’instauration de la
gratuité de l’école maternelle ce qui semble peu devant la liste
impressionnante des revendications non satisfaites.
La rue ne gouverne pas
Depuis 2011, les manifestations de
cette ampleur n’ont pas été organisées car les électeurs, appelés à voter tous
les deux ans avec des résultats pratiquement identiques en raison du système
électoral à la proportionnelle intégrale, se sont résignés puisque rien ne
bougeait. Les Israéliens ne sont pas les Tunisiens, les Égyptiens ni même les
Algériens qui ont provoqué le départ de leurs dirigeants en descendant dans les
rues. Ils n’arriveront jamais à donner du fil à retordre à Netanyahou car nous
sommes loin des violations majeures des libertés de la presse et des cas
d’arrestations massives de manifestants. La violence ne fait pas partie des
armes de contestation utilisées par les manifestants juifs.
Il était donc facile pour
Netanyahou de tempérer et d’attendre des jours meilleurs jusqu’à essoufflement
de la grogne. Il n’est pas dirigeant à se plier aux diktats venus de la rue. Le
seul résultat de ces nouvelles manifestations presque quotidiennes aura été d’avoir
réveillé une population passive, légitimiste et résignée. Réclamer le départ du
premier ministre reste du ressort de nouvelles élections qui ne résoudront d’ailleurs
rien. En effet, il existe une convergence d’intérêts qui pousse au
conservatisme.
La
droite absente
Les religieux orthodoxes qui ont
une «clientèle» fixe, se satisfont de toutes les décisions politiques
sous réserve d’obtenir le financement pour leurs écoles talmudiques qui
produisent à longueur de mois des assistés, pour ne pas dire des parasites,
vivant aux crochets de leur rabbins. A la Knesset, ils pèsent régulièrement 16
députés sur 120 de quoi toujours obtenir des strapontins pour servir d’appoints
dans tous les gouvernements. La politique étant étrangère à leur conception de
la vie, aucun d’entre eux n’a participé aux manifestations contre Netanyahou.
La droite extrême s’agite avec
ses deux trublions Ayelet Shaked et Naftali Bennett qui ne rêvent que de
nouvelles élections pour prendre leur revanche et pour envoyer à la retraite le
premier ministre. Mais ils sont trop fragiles et l’inconvénient majeur est la direction
bicéphale de leur parti Yamina, un obstacle tant les deux chefs se combattent
et se concurrencent. Opposés à Netanyahou, ils n’ont pas été jusqu’à joindre
leurs critiques à ceux des manifestants de «l’autre bord». Enfin, même
si certains militants du Likoud souffrent de la politique économique du
gouvernement, ils restent fermement attachés à leur Lider Maximo.
Certes les manifestants viennent
de la gauche, de l’extrême-gauche ou du centre. La droite sous toutes ses formes est absente. Certains,
et ils sont nombreux, ne sont pas encartés, mais il est osé de les considérer
comme des anarchistes en rébellion contre la démocratie. A quelques exceptions
près, ils sont pacifiques, chantent et dansent dans les rues en gardant un
espoir qui ne viendra pas. Ils se sentent en effet orphelins d’un dirigeant
crédible et charismatique qui n’a pas émergé.
Une contestation sans chef
Paradoxalement, personne ne se
détache pour symboliser la contestation. Yair Lapid, le chef de l’opposition,
se fait rare dans les rues tandis que les militants de Bleu-Blanc laissent à
leur chef, Benny Gantz, le rôle d’opposant officiel. Ils sont convaincus qu’il
sera plus efficace à l’intérieur du gouvernement pour infléchir ou bloquer les
projets. Mais sa passivité lui fait perdre une partie de sa crédibilité alors
qu’il a le pouvoir actuel de taper sur la table au moment où Bibi a un genou à
terre. Son groupe et l’opposition disposent de 62 sièges à la Knesset pour
faire voter tout acte de défiance contre Netanyahou. Mais ils doivent mêler
leurs voix à celles des partis arabes, ce qui reste inacceptable pour la
majorité des citoyens juifs du pays.
Les idolâtres sont nombreux au
sein du Likoud et malgré les accusations portées contre leur leader, ils n’envisagent
nullement de l’abandonner en pleine crise ce qui permet à Netanyahou de
disposer en permanence d’un socle de 25% d’électeurs à sa dévotion. Il est déjà
rodé face à des manifestations bon-enfant qui ne le détourneront pas de la voie
qu’il s’est choisie. Il sait que les Israéliens sont non-violents sur le plan
politique et qu’ils ne dépasseront pas la ,limite acceptable.
Cestes un groupe minoritaire en
noir pratique la violence, vite réprimée. La majorité les rejette car ils
rejoignent la stratégie du pourrissement de la situation dans les rues qui fait
l’affaire du gouvernement. Il n’y a pas d’autre salut que l’action pacifique. La
situation est trop critique économiquement pour relayer cette contestation par
des grèves à l’instar des gilets jaunes. Pourtant, près d’un million de
chômeurs mal rétribués ont payé pour la crise du coronavirus. Quand leurs
comptes bancaires sont en rouge, ils n’ont pas le courage d’aggraver leur
situation personnelle.
Un espoir nommé Trump
Alors les politiques n’ont plus
qu’un espoir, non pas celui d’élections législatives stériles, mais celui de la
défaite de Trump, le grand soutien de Netanyahou à l’extérieur. Lâché par les
Américains, le premier ministre aurait donc à affronter les Européens qui ne le
rateront pas car l’image de marque d'Israël s'est dégradée à travers le monde,
renforçant un peu plus l'isolement diplomatique de l'État hébreu. Ses relations
privilégiées avec l'allié américain risquent de connaitre de réels soubresauts
avec un nouveau président démocrate. Quelques opposants à l’intérieur du
Likoud, qui ne brillent pas par leur courage politique, attendent donc leur
heure depuis des années, patiemment, sans trouver parmi eux le Brutus qui tuera
le père.
De l’avis des experts
politiques, ces manifestations sont stériles car rien n’en sortira et
Netanyahou ne partira pas. Seuls des premiers ministres, convaincus de leur
échec et dignes devant leurs électeurs, peuvent laisser librement leur place. Golda
Meir a démissionné à la suite de la catastrophe de la guerre de Kippour et de
ses 3.020 morts israéliens. Les quelques protestations de colère contre le
gouvernement israélien ne l’ont pas poussée à laisser sa place mais l’étendue
du désastre qu’elle n’a pas pu contrôler ni éviter. Menahem Begin a lui aussi
démissionné après avoir compris qu’il avait été berné par ses généraux qui
l’ont poussé à la guerre du Liban avec des résultats très contrastés. Ehud
Barak a démissionné à la suite de l'échec de Camp David et de la pression de
l’opinion publique contre sa politique négative. Enfin Ehud Olmert a dignement
démissionné quand il a compris qu’il devait affronter les tribunaux de son
pays. Dans tous ces cas, la rue a joué un rôle négligeable.
Aux urnes de trancher
Mais Netanyahou ne s’estime pas en position d’échec
pour démissionner, malgré trois tentatives électorales infructueuses pour
obtenir une majorité absolue. Il pense qu’il n’a personne de solide en face de
lui pour le remplacer. Israël n’est pas un pays arabe ou un pays de l’Est qui
peut éjecter son dirigeant par la force. Seules les urnes peuvent trancher. Aucun
exemple étranger ne peut s’appliquer à un pays en guerre en permanence dont les
citoyens doivent être en permanence solidaires sous le feu ennemi. Alors le
premier ministre, qui s’estime innocent, reste en place malgré la colère de la
rue. Les manifestations de rues ne peuvent absolument pas contraindre
Netanyahou a quitter le pouvoir. En revanche elles peuvent influencer les électeurs
hésitants, les non-inconditionnels du Likoud, informés de la réalité des
résultats du premier ministre. Reste à se poser la question si cela sera
suffisant pour inverser la courbe des votes.
Je pense aussi que Bibi joue la montre et attend l'essoufflement du mouvement. Je regrette l'absence d'un ou de leaders capables de susciter une convergence des luttes et j'avoue avoir du mal avec les 'happening bon enfant" en réponse à des sujets pas seulement sérieux mais dramatiques (affaire de culture sans doute). Mais valent-ils mieux ne rien faire Jacques? A minima, comme tu l'écris: "En revanche les manifs peuvent influencer les électeurs hésitants, les non-inconditionnels du Likoud, informés de la réalité des résultats du premier ministre." Au mieux.... et bien, nous étions bien peu quand j'ai commencé à manifester le 2 juin pour protester contre l'assassinat de Lyad Hallak, aujourd'hui des milliers sortent enfin dans les rues et sur les ponts. Qui peut en prévoir l'impact? La seule certitude est qu'à ne rien faire, nous aurions assurément échoué et pire que tout, donner l'occasion aux soutiens de Bibi d'affirmer que nous n'existions pas. Leur virulence envers nous prouve au moins que nous les dérangeons davantage que nous pouvons peut-être - dans nos moments de doutes, le penser nous-mêmes.
RépondreSupprimerTout à fait d’accord avec cette analyse ; la rue fera pas changer Bibi et son obstination à rester en place qui lui garantit un contrôle sur ses déboires judiciaires.
RépondreSupprimerComme vous l’avez si bien dit, la «gloire » de Bibi, à tort à mon avis vient de la politique étrangère dont il s’en orgueillit et mise en avant par ses « aficionados » (celui qui a tenu tête à Obama, alors que même si la politique de ce dernier est criticable pour les israéliens, c’est encore lui qui a dégagé les plus grosses subventions en faveur d’Israel, l’appui de Trump étant surtout immatériel et symbolique (ambassade à Jerusalem).
Sa défaite (de plus en plus probable) aura un effet direct sur l’aura de Bibi, aucun dirigeant significatif et démocratique ayant un impact ne pouvant le supporter. Il ne lui restera plus que Bolsonaro et les dirigeants nationalistes de Hongrie ou d’Autriche pour lui passer la pommade.
Isolé à l’intérieur et à l’extérieur, il ne lui restera plus qu’à se barricader à Balfour avec sa sorcière et son rejeton.
Je ne suis pas d'accord avec ce point de vue.
RépondreSupprimerÀ côté des manifestations qui prennent de plus en plus d'ampleur il y a tout un bataillon d'avocats qui œuvrent pour faire éjecter Netanyahu par tous les moyens possibles d'un côté, ainsi que plusieurs dizaines d'activistes qui travaillent sur l'élaboration d'un programme politique nouveau.
Le fait qu'il n'y ait pas de leader politique ou de nouveau leader émergent de la contestation est volontaire car on veut conserver l'image d'une contestation globale venant du peuple.
Les "printemps arabes" ont été des catastrophes pour les peuples qui s'y sont prêtés.
RépondreSupprimersuivre cet exemple contre qui que ce soit n'est pas un signe d'intelligence.
La démocratie a ses règles. Qu'il faut suivre surtout quand on se positionne à gauche.