La chronique d'un papy flingueur : Mémoire vive par Albert NACCACHE

LA CHRONIQUE D’UN PAPY FLINGUEUR : «MÉMOIRE VIVE»

Par Albert NACCACHE

          Nous sommes heureux de compter parmi nos nouveaux chroniqueurs, Albert Naccache, qui est un écrivain à plusieurs facettes, dont celle de spécialiste de l'islamisme. Vous trouverez dans son portrait quelques ouvrages à succès qu'il a publiés. Son premier article, qui est une introduction aux souvenirs de son pays natal, la Tunisie, aborde en filigrane quelques thèmes qui lui sont chers. Nos lecteurs partageront avec intérêt ses textes de haute tenue.   

Jacques Benillouche m’a demandé de reprendre le flambeau de Jean Smia - de mémoire bénie - qui nous a quittés après une courageuse et difficile lutte contre la maladie.  

Les chroniques de Jean dans «Temps et Contretemps» étaient incisives et faisaient autorité. C’était aussi pour moi, en le lisant, la joie de retrouver l’ami Jeannot de notre enfance tunisoise avec son humour, son sourire et sa gentillesse.

Les départs de Tunisie en 1956 (guerre de Suez), 1961 (guerre de Bizerte), 1967 (guerre des Six-jours) avaient rendue exsangue une communauté prospère de 130 000 personnes. Des amis nous disent : «Mais c’est fini la Tunisie, laisse tomber, c’est le passé !»

Mais pourtant les Tunes ont conservé leur triple appartenance, leur triple culture. Cette culture hybride dont Henri Tibi est un illustre témoin. Il s’installait souvent sur le trottoir en face du Novelty, avenue de Paris à Tunis et chantait La Goulette, l’Ariana, l’épicier, Rebbi Haï Taieb.

Ce qui est extraordinaire dans cette mémoire c’est qu’il a peu de souvenirs strictement personnels, tout est collectif, la moindre évocation fait tilt : Le lycée Carnot, l’Alliance israélite universelle de la rue Malta Srira, la grande synagogue de l’avenue de Paris, la rue Courbet, la rue de Marseille, la plage de Khereddine, les glaces de chez Alfred, le chameau du Saf-Saf à la Marsa...

Chameau du Saf-Saf à la Marsa

Certains s’amusent à établir des check listes de plusieurs pages sur Facebook afin de rien oublier.  Les Tunes ont re(fait) leur vie principalement en France et en Israël.

J’ai un souvenir plus personnel de Jacques Benillouche, lorsque nous travaillions pour Big Blue, la Cie IBM à Paris. Jacques était le génie de la Division Inspection d’IBM France. J’appartenais à la Division Ordinateurs avec Roger Zana diplômé de l’X. 

Nous avons contribué à la modernisation de la France. Jacques était le spécialiste de CICS le premier logiciel de télécommunications d’IBM. Puis il a créé une des premières SSII françaises avant de faire son Aliah avec Gino Timsit.

Ils avaient bien tous les deux essayé de nous entrainer dans leur sillage. Beaucoup sont restés en France en tant que citoyens modèles et méritants. Mais petit à petit le décor s’est transformé. La (place de la) République est devenue un lieu où l’on crie «Sale juif» impunément.   

Juifs de Tunisie emmenés dans des camps de travail en Tunisie sous les nazis

   

La France est un pays où, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, des Juifs ont été tués en tant que tels avec 12 victimes entre 2003 et 2020. Pourtant, ni au moment de l’affaire Dreyfus, ni dans les années Trente, en dépit d’un antisémitisme virulent et de slogans du type « mort aux Juifs », aucun Juif n’avait été tué « parce que Juif ».

La Cour Européenne des Droits de l’Homme vient d’autoriser à l’unanimité les actions de boycott de BDS qui est un mouvement antisémite selon la définition de l’IHRA. Cette définition de l'antisémitisme de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA) a pourtant été adoptée par les parlements de l’UE et français. Allez comprendre !

       Alors nous sentons un peu comme des « Ratés de la Diaspora » selon le titre du roman du beyrouthin Lucien Elia. Nous avons cependant en tant que «Tunes» quelques motifs de satisfaction :

Avec Zoé Sfez, productrice sur France Culture (A voix nue) et chroniqueuse (Soft Power), qui a livré le 16 juin 2020 un hommage à Albert Memmi en invitant à redécouvrir l’œuvre du romancier et essayiste, disparu le 22 mai 2020 à l’âge de 99 ans. Héritier d’une triple culture juive, tunisienne et française, Albert Memmi est entré en littérature avec «La statue de sel», une magistrale autobiographie romancée, préfacée par Albert Camus.

Et Myriam Levain fondatrice du pure player Cheek Magazine, qui a lancé « Stay Tunes » : la page Instagram sur l’identité juive tunisienne. Elle s’est donnée pour but de mettre en avant les visages, les histoires et la vie des Juifs d’origine tunisienne, à la manière de « Humans of New York ».