NOUVEAU GOUVERNEMENT : COMPROMIS OU COMPROMISSION
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Gantz-Ashkenazi |
Le compromis est un arrangement dans lequel on se fait des
concessions mutuelles. La compromission est le fait d'exposer quelqu'un, de
s'exposer à un préjudice moral ou d'engager sa réputation dans une affaire
douteuse ; il s’agit souvent d’un arrangement conclu par lâcheté ou intérêt. Il
est trop tôt pour juger la décision de Benny Gantz d’entrer dans un gouvernement
d’union avec le Likoud. On jugera aux actes et les procès d’intention qu’on lui
fait ne sont pas dignes de politiciens sérieux.
Pour l’instant la déception, la
colère et l’incompréhension sont les seuls sentiments qui dominent dans les
prises de position de ceux qui avaient misé sur un changement radical de gouvernance. Certains
ne décolèrent pas et l’obsession d’avoir été trahis instille à présent de la
haine dans leurs propos. Bien que Gantz n’ait pas réussi à se hisser sur le podium, il a gagné au change puisque le Likoud a fait plus de concessions en acceptant la parité
ministérielle alors que les amis de Bleu-Blanc ne comptent que 17 députés
contre 52 pour la droite. La seule incertitude reste la passation de pouvoirs dans 18 mois. D’ici là, le pays et les dirigeants politiques auront évolué. L’espace politique se sera recomposé.
Par ailleurs, quelques acquis sont indéniables. Plusieurs
ministères régaliens sont dès à présent aux mains de Kahol-Lavan qui dispose
d’un droit de veto sur les décisions les plus importantes. La droite extrême a été neutralisée, voire décomposée. Elle aura beaucoup de mal à s'en remettre de ses projets nationalistes. L’omnipuissant Netanyahou,
qui était à la tête de quatre ministères, va se trouver encadré après avoir
perdu ses alliés nationalistes. La Cour Suprême, qui était visée par la droite
et l’objet de tous ses ressentiments, ne sera pas démantelée. Il y aura parité
au Cabinet de sécurité, véritable mini-gouvernement où les décisions
importantes, politiques et sécuritaires, sont prises à la majorité. Ce serait donc de la
mauvaise foi que de parler de compromission sauf si l'objectif recherché est de s’entêter dans une
opposition convulsive et stérile.
Les
attaques au-dessous de la ceinture sont le fait de ceux qui manquent d’argument
politique. L’ancien chef d’État-major, traité de benêt ou de niais, attire sur son seul nom
tous les tristes qualificatifs qui rejaillissent sur l’institution la plus
vénérable, Tsahal. Ses adversaires veulent oublier que cet homme, avec si peu de qualités et de
discernement selon eux, a pu diriger et organiser ceux qui détiennent entre leurs mains l’avenir et la
sécurité du pays. Ils sont convaincus qu'il n'est entouré que d'incapables et d'opportunistes. C’est pourquoi l’attaque est ignoble.
Avi Nissenkorn, ancien dirigeant du syndicat Histadrout |
Pourtant
on ne peut pas dire qu’il y a eu débauchage individuel. Gantz n’a pas été seul
à faire son choix, comme Edouard Philippe ou Bruno le Maire en France. Tous ses
coéquipiers et la totalité des députés de son parti l’ont suivi sans exclusive, à une exception près. Les récalcitrants avaient pourtant le choix évident de rester dans l'opposition et de rejoindre Yaïr Lapid. 14 députés de Résilience, un indépendant et deux Travaillistes
n’ont pas hésité à faire le grand saut alors qu’ils s’étaient engagés à ne
jamais figurer dans un gouvernement dirigé par un premier ministre mis en
examen. Ils ont mûri leur décision et analysé tous les cas de figure.
Gantz et ses militants |
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Le
chemin est long entre le projet politique et son aboutissement, entre un désir
et sa satisfaction, entre une promesse et sa réalisation. Ce n'est pas parce
qu'un but semble proche qu'on va forcément l'atteindre. Tout est à faire, tout
est à risquer, tout est à entreprendre et c’est le bout du tunnel qui définira
la victoire ou l’échec.
Elizabeth Garreault, Nitzan Horowitz leader de Meretz et Eric Setton |
Dans un langage très populaire, le docteur Éric Setton, ancien lieutenant-colonel de Tsahal, actuel directeur du Herzliya Medical Center, sympathisant convaincu de gauche, de celle des Travaillistes et de Meretz, a donné son propre avis sans équivoque : «Malheureusement, je n'arrive pas à comprendre quelle était l’autre alternative à Gantz. Il a choisi le moindre mal. Un accord qui ressemble à un bras de fer. Laisser Netanyahou seul au pouvoir est un désastre. L'opposition c'est de la blague. Rien ne se fait à partir des bancs de l'opposition. C'est possible qu'ils se fassent bouffer, mais je les connais un peu, ce n'est pas demain la veille. Amir Eshel qui est le conseiller de Gantz était mon commandant. Un homme exemplaire avec un IQ et un EQ des plus élevés. Izhar Shai, aussi, un sioniste avec de vraies valeurs. Gabi Ashkenazi était chef d'État major et je l'ai rencontré plusieurs fois. Loin de la caricature d'Eretz Nehederet, il est subtil et intelligent. Traiter tous les politiciens de corrompus et de traîtres, c'est faire le jeu des populistes. Et je réitère ma question, quelle autre solution pratique à préconiser ? Faut-il se rendre et capituler ? L'opposition c'est la capitulation. C'est accepter le pouvoir absolu de Bibi. Gantz n'avait pas la majorité pour voter la loi empêchant un premier ministre inculpé de siéger. Même s’il avait réussi à la faire passer, elle n'aurait pas survécu à Bagatz, la Cour Suprême, et de plus c'est une loi à double tranchant. Devant ces données, Gantz a fait ce qu'il faut faire pour ne pas se retrouver aux poubelles de l'histoire. Se rendre sans combattre n'est pas dans la nature de son équipe. Je ne supporte pas l'inaction et le blabla. L'opposition pour l'opposition n'est pas ma tasse de thé. Il ne faut en aucun cas laisser l'exécutif aux seules mains de Bibi. L'accord KL-Likoud est un accord bras de fer. Ce n'est pas une compromission, c'est une guerre de tranchées. Les doux rêveurs et les révolutionnaires qui attendent le moment propice pour monter sur les barricades, n'ont pas compris que ce n'est pas la mode ici. Pouvons-nous encore attendre après dix ans de Bibi ? On pourrait certes se retirer à Sde Boker ! Le seul moyen de bloquer l'exécutif est de faire partie de l'exécutif. La gauche a siégé pendant dix ans dans l'opposition et s'est rétrécie comme une peau de chagrin. Ce n'est pas le peuple qui est a droite, c'est notre désertion qui a laissé le terrain libre à la droite. L'opposition ne joue aucun rôle réel malheureusement dans notre système. La vraie opposition est au sein du gouvernement».
Une telle profession de foi laisse sans voix, de la part d'un médecin, et surtout d'un médecin militaire qui a consacré sa vie au pays. Des gens de ce calibre et de hautes convictions ne peuvent pas être traités de traîtres impunément.
Le côté droit du miroir n'est pas stable, donc conduit seulement avec celui de gauche |
Après
plus d’une année de tractations et d’immobilisme, un gouvernement est enfin
nommé. Il a beaucoup de pain sur la planche pour contrecarrer la crise
économique et sanitaire. Deux clans seront face à face mais il faut espérer qu’il
ne s’agira pas d’une guerre de tranchées. Nous analyserons en détail, dans un prochain
article, les hommes et les postes ministériels, certes au début avec une
certaine indulgence car il était temps de mettre fin à une situation de blocage
politique qui portait préjudice à la stabilité et à la cohésion du pays.
Le post d'Éric Setton vaut a lui tout seul son pesant de cacahuètes.
RépondreSupprimerÇa fait du bien de lire le contraire de la langue de bois.
Pour résumer l'article: on sacrifie sur l'autel d'une éventuelle efficacité et du pragmatisme les principes de la morale et de l'intégrité.
RépondreSupprimerOn ne peut pas faire passer a' l'as la dimension cynique de certains qui se sont empressés de virer leur cuti. Pourquoi stigmatiser ceux que ça a blessé, qui se sont sentis trahis et qui continuent a' les dénoncer (sans insultes évidemment)?
Pour ce qui est du bras de fer, j'avoue que je ne vois pas vraiment dans quels domaines tant la difference idéologique est mince entre les deux protagonistes qui partagent les mêmes projets politiques et sociétaux . C'est en sachant parfaitement cela que, malgré tout, les électeurs ont vote' Gantz qui n'avait qu'une seule fonction sur laquelle il s'était engage' - nettoyer la corruption qui gangrène nos institutions.
J'attends qu'il nous prouve que c'est possible de le faire de l'intérieur et je prétends avoir assez d'honnêteté intellectuelle pour le reconnaître si c'est le cas et dans ce cas, seulement on pourra affirmer que le compromis ne vaudra pas compromission.
Très bon article
RépondreSupprimerBien écrit, argumenté, plaisant à lire et qui donne du grain à moudre
Merci à Jacques et Eric Setton
Merci Jacques pour cet article. Je ne peux que reprendre à mon compte cet extrait de ce que dit Eric Setton : "Il a choisi le moindre mal. Un accord qui ressemble à un bras de fer. Laisser Netanyahou seul au pouvoir est un désastre. L'opposition c'est de la blague. Rien ne se fait à partir des bancs de l'opposition". J'ajouterai aussi que le "reset" d'un Bibi cumulant plusieurs ministères ; une longue barbe à la tête du ministère de la santé, si nul face à son public ; et un conglomérat de messianistes et de racistes au gouvernement (Yamina) .... tout cela aurait aggravé l'état de semi dépression dans lequel m'a plongé le coronavirus.
RépondreSupprimerEric Setton a tout dit ! C’est lui qu’il faudrait interviewer au fur et à mesure que les décisions politiques seront prises !
RépondreSupprimerL’opposition c’est pareil au coin où on envoie les élèves turbulents.
Les fortes têtes du type Lapid ou Bennett où Lieberman pensent qu’ils auront un rôle à jouer demain quand le gouvernement Benny Bibi aura explosé , ce qui n’arrivera pas avec ceux qui sont au pouvoir , faits pour et par la politique.
Pourtant tous doivent à l’esprit la phrase de Bismarck : « LA POLITIQUE, C’EST L’ART DU POSSIBLE «
André Simon Mamou
Tribune juive