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jeudi 21 mai 2020

L'erreur stratégique de l'extrême-droite religieuse


L’ERREUR STRATÉGIQUE DE L’EXTRÊME-DROITE RELIGIEUSE

Par Jacques BENILLOUCHE
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          Tout sépare les sionistes religieux des orthodoxes séfarades ou ashkénazes. D’abord leur jeunesse parce qu’ils sont pratiquement nouveaux en politique alors que les orthodoxes participent au gouvernement depuis la création de l’État. Ils se distinguent par un look moderne, loin des chapeaux borsalino, des caftans noirs, des barbes et surtout des papillotes qui les ramènent au temps des Shtetels de Pologne sous des allures de croque-morts. Ils ont des relations apaisées avec les femmes puisqu’ils comptent quelques-unes dans leur parti et en particulier Ayelet Shaked qui donne l’impression de s’être fourvoyée dans un monde qui lui était étranger puisque venue de la bourgeoisie huppée de Tel-Aviv. 




            Les femmes sont interdites chez les orthodoxes qui vont jusqu’à les faire disparaitre des photos officielles. Leurs journaux et revues interdisent la publication de portraits, même officiels, de la gente féminine. On se souvient de la surprise de la ministre française de la santé, Marisol Touraine, qu’on avait oublié de briefer, car elle n’avait pas compris le refus de lui tendre la main de la part de son invité en France, le ministre Yaakov Litzman. Même les ministres vivent encore dans le monde périmé d’un exil lointain, dont les strates lituaniennes sont restées intactes pour éviter tout contact avec la civilisation moderne.


Gouvernement 2015 avec femmes floutées
            Les sionistes religieux se distinguent du monde fermé des jeunes des écoles talmudiques qui pour certains ne reconnaissent même pas l’existence de l’État d’Israël et qui pour la plupart refusent de faire le service militaire. Les sionistes participent à toutes les activités de la société moderne et, depuis quelques années, s’enrôlent en masse dans les unités d’élite de Tsahal faisant des opérations militaires avec le F16 d’une main et les tefillins de l’autre. Ils sont intégrés dans tous les domaines économique et juridiques du pays, à l’instar de Naftali Bennett qui avait créé une startup vendue ensuite à prix d‘or et qui est issu de l'unité d'élité Sayeret maatkal.
            On ne sait pas, ou plutôt on le sait trop, pourquoi Netanyahou a surtout privilégié des relations avec les orthodoxes dont certains ont défrayé la chronique judiciaire en faisant de la prison pour ensuite retrouver leur poste de ministre parce qu’ils estiment qu’ils avaient payé leur dette à la société. Une raison simple, les ministres orthodoxes s’intéressent uniquement au financement de leur écoles talmudiques et de leurs ouailles en difficulté, laissant les autres problèmes politiques à la discrétion du premier ministre.
            Ce sont des alliés sûrs et non exigeants dès lors que leurs demandes religieuses sont satisfaites. Les questions de politique internationale, d’annexion, de l’Europe et même les questions arabes passent au-dessus de leurs têtes. En fait ils pratiquent la politique de bas niveau. Netanyahou les endort en leur offrant des ministères où ils peuvent se servir en shekels en toute impunité. Par ailleurs, cette population orthodoxe est puissante parce qu’elle a des ramifications aux États-Unis où elle brasse des millions de dollars, dont une partie atterrit dans les caisses de l’État israélien.


Profession de foi d'un candidat de Yamina

            Cependant les sionistes religieux, jeunes en politique et parfois inexpérimentés, n’ont pas choisi la bonne stratégie vis-à-vis de Netanyahou. Ils se sont livrés pieds et poings liés au Lider Maximo dans le seul but de participer à la gouvernance, en pensant que cela les mettrait à la lumière. Ils ont oublié que le loup amadoue sa proie avant de l’engloutir. Ils ne se sont pas suffisamment méfiés de lui et de ses méthodes directives, voire sournoises. Et pour preuve, ils ont été totalement écartés du nouveau gouvernement, après des soi-disant négociations organisées pour les neutraliser en leur proposant des ministères de bas-niveau, surtout après avoir occupé celui de la Défense et de la Justice. Tant qu’ils étaient soumis, ils avaient la côte mais en relevant la tête, Netanyahou a interprété cela comme de la gourmandise et une volonté de lui prendre sa place. 
            Beaucoup se plaignent qu’ils n’ont pas de chance. En fait elle passe toujours devant eux mais ils ne savent pas la saisir parce qu’elle est prétentieuse et ne repasse jamais. Ils ont raté leur tour après les élections du 17 septembre 2019 lorsque Bleu-Blanc était arrivé en tête avec 33 sièges, Lieberman 8 et la gauche 11 totalisant 52 députés soit 59 avec Yamina contre 48 sièges pour la droite, insuffisants pour faire tomber le gouvernement minoritaire. Benny Gantz leur avait proposé de participer à un gouvernement minoritaire avec des postes ministériels de haut niveau.  L'accusation de "trahison" est donc déplacée car il avait essayé d'agir mais il n'a pas été suivi.
          Sous la contrainte du moment, il était prêt à leur céder les ministères de la Défense, de la Justice et de l’Éducation et même certains ministères religieux acquis par les orthodoxes. Ils ont refusé parce que purs, ils n’ont pas voulu «trahir» Netanyahou ; c’est noble mais peu efficace en politique car lui s’est permis de les éliminer. La participation à un gouvernement Gantz leur aurait drainé de nombreux sympathisants du monde religieux qui abhorraient la mainmise du Likoud inféodé aux orthodoxes anachroniques.  Ils auraient surtout empêché que se perpétue le règne de Netanyahou et auraient facilité le ralliement de quelques frondeurs du Likoud prêts à sauter le pas tant que les partis arabes n’étaient pas partie prenante.
            Les militants de Yamina n’arrivaient pas à couper le cordon ombilical avec celui qui les avait faits. Ils auraient pu apporter des changements notables dans la politique israélienne, figée depuis plusieurs années. En toute honnêteté, il faut d’ailleurs souligner les actions efficaces contre le coronavirus engagées par Naftali Bennett et même celles, en dehors de toute partisanerie, de Bezalel Smotrich au ministère des transports.


Bennett - Netanyahou - Shaked

            On ne refait pas l’Histoire. Dans l’opposition, les sionistes religieux méditeront l’ingratitude de ceux pour qui ils se sont dévoués et qui les ont jetés comme un mouchoir sale. Ils apprendront à être originaux pour proposer des solutions aux problèmes du pays sans coller leur politique à celle du grand parti frère. Ils devront s’émanciper du poids pesant d’un Netanyahou omnipuissant. Ils apprendront surtout à attirer à eux les jeunes religieux modernes qui les ont fuis parce que Yamina avait une politique peu originale. Nombreux sont ceux qui ont avoué avoir réservé leur vote aux orthodoxes dont la conception est pourtant à quelques années-lumière de la leur, uniquement parce que Yamina avait peu de convictions autonomes, indépendantes du Likoud. 
            Il est difficile de revenir sur un passé, douloureux pour certains déçus. Israël, État juif par excellence, ne peut pas se passer des sionistes religieux, utiles à la nation et à l’armée, mais à condition qu’ils ne se comportent pas comme des marionnettes au service d’une cause qui n’est pas la leur. Le résultat est triste aujourd’hui pour l’extrême-droite israélienne qui devra voir passer les évènements depuis les bancs de l’opposition à la Knesset. Le député Yamina Ofer Sofer s’est rassuré en commentant le rôle de son parti dans l'opposition : «Je pense que le travail consiste à être un marqueur de droite, un marqueur juif, un marqueur à protéger si, Dieu nous en préserve, nous entrons dans quelque chose qui ne fait pas qu'appliquer la souveraineté mais quelque chose au-delà de cela, c'est-à-dire un plan politique, alors nous aurons un rôle».

4 commentaires:

  1. David BEN ICHOU18 mai 2020 à 14:33

    Bien que l'exposé soit très clair, il y a nombre de points avec lesquels je ne suis pas d'accord. Commençons par les "orthodoxes". Je pense qu'il y a les représentants politiques du monde orthodoxe et les publics orthodoxes qui sont probablement plus divers et hétérogènes qu'on ne le pense a priori. Que ce soit lié a l'intégration dans le marché du travail, a l'incorporation dans l'armée ou encore a l'émergence de voix divergentes et critiques sur le système scolaire, il est fort a parier dans les années a venir, à la faveur d'une meilleure acceptation de la diversité et du pluralisme, que le réflexe sectoriel du vote finisse aussi par s'affaiblir.

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  2. Marianne ARNAUD18 mai 2020 à 16:59


    Cher monsieur Benillouche,

    Je me demande si un journaliste français, écrivant un article sur Israël, osait parler des religieux orthodoxes, de leurs chapeaux, caftans noirs, barbes et papillotes - aux allures de croque-morts - qui n'acceptent pas la présence des femmes, jusqu'à les faire disparaître des photos officielles, et refusent de serrer la main de ministres étrangères en visite officielle dans le pays, ne serait pas immédiatement catalogué d'"antisémite", et ne serait pas même susceptible de tomber sous le coup de la nouvelle loi Avia "contre la haine raciale" ?

    Très cordialement.

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  3. Jacques BENILLOUCHE18 mai 2020 à 17:11

    Ma chère Marianne,

    Un juif a le droit et même le devoir de critiquer ses semblables mais il serait indécent pour lui de s'attaquer aux Chrétiens ou aux Musulmans en tant que tels, car cette attaque pourrait être mal interprétée.

    Bien à vous

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  4. Je découvre à travers la vidéo incluse dans cet article le parti Yamina. je suis un sénior français (74 ans), je suis religieux, je ne fais pas de politique sauf localement dans ma petite ville mais je m'intéresse beaucoup à la politique israélienne en particulier et mondiale en général, je suis d'accord à 99 pour cent avec le présentateur de la vidéo. Je vais me renseigner sur Yamina et suis demandeur de toute information complémentaire.
    Je ne me cache pas. On peut me contacter sur banner.frank@orange.fr
    Mon pseudonyme est Cirape, mon nom est Frank Josué Banner.
    Cordialement

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