GANTZ, LE GÉNÉRAL MENTALEMENT INSTABLE AUX COMMANDES
Par
Jacques BENILLOUCHE
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De tels accusations graves n’entrent pas dans notre
politique éditoriale mais le titre malheureux de l'article s'inspire du thème d'une série de spots de campagne du Likoud dans lesquels il cherchait justement à présenter Benny Gantz, le chef du parti Bleu-Blanc,
comme faible et mentalement instable : «Ses apparitions parlent
d'elles-mêmes. Gantz a peur, est faible et mentalement instable». Ces
attaques personnelles ont porté et elles servent encore d’arguments à ceux qui le combattent.
Son passé militaire glorieux, ses dizaines d’années à commander l’unité d’élite
la plus prestigieuse de Tsahal, Shaldag, ses quatre années de chef d’État-major
ont été effacés d’un trait de plume. Au lieu d’utiliser des arguments
politiques convaincants, Netanyahou est arrivé à persuader une bonne partie de
l’opinion que son diagnostic était sans faille.
Mais Benny Gantz a déjoué tous les pronostics.
Celui qu’on qualifiait de mou, de mauvais orateur, d’inculte politiquement, d’incompétent,
de léger et de non charismatique, a pris brutalement l’ascendant sur Benjamin
Netanyahou au point de l’attaquer sur son propre terrain et de réussir peut-être à l’éliminer politiquement de la scène israélienne. Ses adversaires n’ont pas compris
qu’il poursuivait son objectif, à son rythme et avec les armes de la
courtoisie. Il a réussi à souder le parti Bleu-Blanc alors qu'on prédisait son implosion. Il a montré ses capacités de négociateur. La bande des quatre a prouvé qu'elle suivait le chef sans hésitation.
Nul
ne peut prévoir s'il réussira mais il a été désigné en premier, contre toute
attente, pour constituer le prochain gouvernement. Ses adversaires l’avaient
politiquement enterré au soir des élections du 2 mars 2020 après avoir, sur la
foi de sondages vaseux, un peu trop tôt annoncé sa défaite et claironné celle
de Netanyahou. En vrai militaire sur le champ de bataille, il est resté prudent
mais optimiste. Les résultats finaux ont certes établi qu’il n’était arrivé qu’en
seconde position, mais le vainqueur n’avait pas les moyens de constituer un
gouvernement de 61 députés. Aujourd’hui, ceux qui persistent à le combattre ne lui prédisent
aucune chance de réussir et ils font tout pour lui barrer la route et forcer un
quatrième scrutin. L’intérêt de l’Etat est peu de chose face à l'intérêt personnel.
Litzman et Netanyahou |
Gantz
ne se départit pas de son calme et poursuit son chemin dans la mission qui lui
a été confiée. Comme le veut la tradition politique, il consulte tous les
partis pour avoir leur avis ou leur proposer une participation à la
coalition. Mais la Droite est vent
debout pour placer les obstacles sur son chemin. Les dirigeants des partis de
droite, d’une seule voix, refusent de le rencontrer, même par courtoisie. Il a
invité le président des orthodoxes ashkénazes, le ministre Yaakov Litzman, et
le président de Shass, Arie Dehry, à une rencontre préliminaire. Tous les chefs
des partis de droite ont refusé l’invitation.
Le
leader de Bleu-Blanc peut ainsi justifier ses démarches pour un gouvernement totalement
«juif» face à une fin de non-recevoir de la part des partis sioniste. Il
aura essayé alors que la situation économique et sanitaire l’imposait. La
constitution du gouvernement dépend donc essentiellement des partis arabes qui
le soutiennent à la Knesset. Déjà les injures fusent à leur égard avec
l’accusation de ne pas représenter les vrais Arabes israéliens. Pour eux, ils
ne représentent que les terroristes dont l’objectif est de détruire Israël.
Instiller la peur a toujours été la stratégie du Likoud et de ses dirigeants mais
elle lasse à la longue car la population mise avant tout sur Tsahal et ses
généraux qui veilleront toujours à la sécurité du pays. Netanyahou n’a pas
modifié sa chanson, ni les paroles et ni la musique. Il n’a pas réussi à
convaincre par trois fois puisqu’il n’a pas réuni sur son nom une majorité de
61 députés à la Knesset.
Gantz
n’est pas au bout de sa peine car les renoncements et les trahisons sont le lot
des politiques. Amir Peretz en a fait l’amère expérience avec Orly
Levy-Abecassis qui, une fois élue sur un programme d’alliance avec Benny Gantz, a
décidé de changer de camp alors qu’elle était déjà désignée pour occuper la
fonction de ministre de la Santé. Elle s'est dirigée vers d’autres
cieux qui risquent de ne pas lui être favorables. Une vraie pointure politique
aurait déposé sa démission pour ne pas être taxée d’opportunisme.
Une
grande différence a été constatée entre la stratégie de Benjamin Netanyahou et
celle de Benny Gantz. L’un s’est placé sur tous les fronts, en Israël et à
l’étranger, l’autre a enfoncé son clou localement et méthodiquement, faisant le
moins de vagues possibles et de déclarations provocantes. Ce positionnement
discret choisi par Gantz a été interprété par ses adversaires comme un manque
de charisme, pire une incompétence au poste de premier ministre. Or il a préféré
la «force tranquille», attribuée au président français François
Mitterrand, plutôt que l’esbroufe.
Netanyahou
a évolué sans cesse en privilégiant d'abord son entourage d’extrême-droite pour
le laminer ensuite parce qu’il mordait trop sur son électorat. Il a bien réussi
puisqu’à la droite du Likoud, au parti Yamina, les résultats n’ont pas été ceux
qu’ils espéraient. Par ailleurs, en organisant sa visite en Ukraine, il avait l’intention
non avouée de siphonner les voix russophones qui se portaient habituellement
sur Avigdor Lieberman. Il a réussi à se mettre à dos son ancien directeur de
Cabinet qui n’a plus comme objectif que de le faire tomber.
Lieberman a donc décidé
de rejoindre Gantz dans sa démarche pour une coalition gouvernementale. Pour
l’instant il s’agit d’une coalition hétéroclite avec le Centre, les
Travaillistes, Meretz et les partis arabes. Mais si le projet tient jusqu’au
bout, alors Benny Gantz sera vite intronisé premier ministre, renvoyant
Netanyahou à la tête de son parti. Il compte alors sur la curée au sein du
Likoud pour attirer à lui quelques frondeurs.
Oded Forer |
Lieberman
ne veut pas en rester là. Il poursuit Netanyahou de sa vindicte après le
dénigrement qu’il a subi : «Je ne m'intéresse pas aux gauchistes qui
votent pour Evet Lieberman». Traiter de gauchiste le nationaliste pur
et dur, malgré un revirement politique, a été d’une grande maladresse. Contrairement
à Gantz, Lieberman est très actif. Le «gauchiste» russe a chargé son
second au parti, Oded Forer, de tirer le coup de grâce au titre de sa vengeance. Forer a déposé trois projets de
loi dès l’ouverture de la session. Un
premier texte imposerait au chef d’un gouvernement de transition à démissionner,
s’il était inculpé. Un second limiterait
le mandat de premier ministre à deux seuls mandats. Un troisième texte
interdirait à un député inculpé d’être chargé de constituer un gouvernement. Tous ces textes ont pour but de mettre Netanyahou hors course. L’opposition
peut obtenir le vote de ces lois avec ses 61 députés. Au moins l’un de ces
textes pourrait forcer le Premier ministre à quitter son poste.
Rivlin reçoit les partis arabes |
On
ignore encore avec précision quelle serait la participation effective des
députés arabes sachant que leur neutralité est déjà acquise pour empêcher le
vote d’une motion de censure. Dans un premier temps il serait fort improbable
que des personnalités marquées politiquement accèdent au rang de ministre. On
songe plutôt à des technocrates arabes dont la compétence n’est pas discutable.
En tout état de cause, ils ne feront pas partie du Cabinet de sécurité qui
statue sur les choix sécuritaires du pays. Mais il est pratiquement acquis qu’ils
auront la présidence d’une ou de deux commissions parlementaires au sein de la
Knesset.
Les
grands perdants seraient bien sûr les partis religieux orthodoxes qui ne
disposeraient plus des financements illimités de leurs ministères au profit des écoles
talmudiques. Ils paieraient ainsi leur entêtement à bouder Benny Gantz. Mais
comme en 1992 avec Yitzhak Rabin, sans aucun scrupule et portés par leur avidité, ils proposeront leurs services lorsque
l’avenir avec le Likoud sera bouché. Il n’est pas sûr que Lieberman
accepte leur entrée tardive dans le gouvernement.
Yuli Edelstein |
Tant
que le gouvernement Gantz n’est pas formé, tout est possible. La droite met les
bâtons dans les roues de Gantz, utilisant des méthodes que Bleu-Blanc
qualifient d’anticonstitutionnelles. Le président de la Knesset, Yuli
Edelstein, refuse d’organiser un vote pour l’élection d’un nouveau président
sous un argument fallacieux. Étonnant de la part d'un ancien refuznik. Il prétend que le vote pour son remplacement condamnerait
les pourparlers pour un gouvernement d’unité nationale. Il attend donc la
nomination d’un nouveau gouvernement pour laisser sa place. La Cour suprême a
été saisie et elle statuera sur la légalité de la manœuvre d'Edelstein.
Ces
méthodes peu élégantes, sinon peu démocratiques, prouvent qu’en bon politicien,
Netanyahou tire toujours les ficelles et qu’il espère revenir sur le devant de
la scène, voire au sommet, en espérant une trahison au centre ou à gauche. Il a
déjà obtenu celle d’Orly Levy, rien n’est donc encore impossible. Mais il semble que
Gantz veuille aller vite pour bloquer les manœuvres de ses adversaires. La
constitution du gouvernement est bien avancée sachant que les partis arabes
n’exigeront pas l’impossible. A priori tout a été arrêté par les négociateurs
qui ont précisé les conditions d’une collaboration arabe au nouveau
gouvernement, passive ou active. Dans
cet état de crise économique et sanitaire, le pays ne peut pas se payer le luxe
de laisser perdurer une situation instable.
Merci pour toutes ces informations à nous français israélite fidèle lecteur de Raymond Aron
RépondreSupprimerJacques, merci pour cette très bonne analyse.
RépondreSupprimerUne course contre la montre est engagée pour faire voter cette loi, afin d'empêcher Bibi et le mettre enfin sur la touche.
Quelles sont les chances qu'elle soit votée dans les prochaines heures, sachant qu'en raison du Coronavirus, la knesset ne peut siéger ?
Cher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerRappelons, pour la petite histoire, que le slogan électoral de François Mitterrand : "La force tranquille" - formule empruntée à Jean Jaurès et Léon Blum - lui a été proposée par son communiquant en chef, Jacques Séguala, avec le succès que l'on sait. Pourtant pour certains, sans doute à cause du village et de son église (bien qu'on ait pris la précaution de supprimer la croix ornant son clocher) qui figuraient sur l'affiche, y ont vu une affiche d'inspiration "pétainiste" !
Très cordialement.