LA VICTOIRE RELATIVE DE NETANYAHOU
Par
Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
Si
l’on applique la notion de démocratie à la lettre, la victoire de Netanyahou
est éclatante avec 72,5% des votants; les chiffres sont incontestables. Mais si l’on
analyse le détail du scrutin, on constate que tout est relatif. D’une part
l’ensemble du pays soit 6.400.000 électeurs, n’a pas participé à cette élection
mais uniquement les militants du Likoud ayant leur cotisation à jour, soit
41.000. Ainsi Netanyahou a été élu avec
29.725 voix ce qui relative cette victoire «éclatante». Il lui faut à présent se présenter devant l’ensemble des électeurs pour obtenir la
confirmation de cette victoire et là est la question, ou plutôt le problème. Quant
à Gideon Saar, qui symbolisait l’alternance, il n’a fait qu’illusion car les
idolâtres de Netanyahou, toujours nombreux, lui gardent leur confiance, souvent
par crainte de l’aventure.
Le
Likoud n’a pas voulu évoluer pour résoudre la crise politique; il ne fait que
prolonger l’impasse politique face à une opposition qui se recompose pour être
plus efficace. La déperdition des voix dans un scrutin à la proportionnelle
intégrale impose des regroupements, d’abord pour convaincre, ensuite pour
gagner. Netanyahou a
effectivement reçu «un mandat renouvelé et énorme» mais le défi est
encore plus intense. Le vote prouve qu'il peut compter sur ses
militants inconditionnels mais près du quart d’entre eux, l’élite du Likoud
dans les beaux quartiers, a marqué sa volonté de changement, ce qui sonne
comme un avertissement sans frais. Ces déçus pourraient reconsidérer leur vote initial.
Les
séfarades incultes politiquement ont continué à promouvoir l’homme qui sait
casser de «l’arabe», sans réellement se douter qu’ils votent
économiquement contre leurs intérêts. Plus ils sont dans la classe défavorisée
et plus ils donnent leurs voix aux ultra-libéraux qui ne font qu’une bouchée de
la plèbe. Netanyahou drague sa clientèle en majorité dans les allées du Souk
Hacarmel de Tel-Aviv et de Mahane Yéhouda de Jérusalem auprès des marchands de
légumes qui lui font sa publicité. Même s'ils vivent auprès des Arabes, ils les détestent par principe alors qu’ils sont en communauté de destin. Depuis
que Menahem Begin leur a permis d’exister en 1977 et de relever la tête face à une
élite ashkénaze, ils se sont offerts au Likoud sans aucune hésitation.
Gantz- Yaalon |
Benny
Gantz se trouve vivifié face à un adversaire qu’il ne craint plus : «Il
semble que l'accusé Netanyahou, qui mène l'État d'Israël sur la voie de la
corruption, continuera de diriger le Likoud. Ces élections exigent que nous
placions un miroir devant le parti Netanyahu et fassions le choix de l'unité,
de la dignité et de la réconciliation interne». Il aurait eu plus de
problème avec Gideon Saar, symbole du renouveau, de la jeunesse et même d’un
nouveau nationalisme pur et dur. Gantz semble vouloir axer sa campagne
autrement, certainement pas comme candidat «anti-Bibi». Il a décidé de
muscler ses propositions pour se donner plus de crédibilité et se concentrer
sur les vraies valeurs.
Il a vite assimilé la politique puisqu'il s’est transformé en organisateur de la recomposition de la gauche pour qu’elle soit plus efficace à ses côtés et
qu’elle évite la déperdition de ses voix.
Il a donc invité dans sa liste, parmi le top-10, Orly Levy-Abecassis,
leader de Gesher, qui a longtemps été encartée au Likoud, et dont la place est
effectivement plus adaptée au centre. Elle
pèse trois à quatre sièges.
Orly levy-Abécassis |
Il
s’agit d’une séfarade affirmée, certes née en Israël, mais de parents marocains
qui ont beaucoup souffert, comme tous leurs semblables, durant les premières
années de leur installation, envoyés dans des zones de développement, loin de
toute civilisation, avec un père maçon qui a réussi. Orly Levy apportera sa pierre dans la liste Kahol-Lavan car elle n’a pas renié
ses origines ; elle ne vit pas dans les beaux quartiers de Bavli, mais dans le
kibboutz Mesilot près de Beit Shean, fief de son père syndicaliste devenu
ministre des affaires étrangères, en pleine zone «périphérique». Quand
elle parle de la misère, elle la côtoie tous les jours, dans certains quartiers
abandonnés par le gouvernement parce qu’il s’intéresse avant tout à la haute
technologie qui n’occupe que 10% de la population israélienne.
Il
s’agit, bien sûr, d’une femme alors que la liste du Likoud ne comporte que 5
places dans les 25 premières et que la liste Blanc-Bleu en comporte légèrement
plus, 9 sur 25. Les politiciens machos peuvent s’en donner à cœur joie
puisqu’aucune loi ne leur impose la parité hommes-femmes.
Il
s’agit d’une femme courageuse car elle a préféré quitter la place où elle était
sûre d’être réélue pour se frotter seule aux autres listes machistes. Mais elle
avait compris que les acteurs sécuritaires se trouvant dans toutes les listes,
les élections de 2019 se gagneraient sur les problèmes économiques et sociaux.
Il
s’agit d’une femme qui n’est pas née avec une cuillère d’argent dans la bouche.
Elle a d’abord fait son service militaire dans l'armée de l'air israélienne
puis a ensuite obtenu un diplôme en droit. Avant d'entrer en politique, elle
avait travaillé comme modèle et comme animatrice de télévision, pour «s’amuser»
en attendant de tracer sa voie politique.
Il
s’agit d’une femme qui sait ce que représente la famille concrètement. Elle est
mariée et mère de quatre enfants qu’elle a réussi à élever tout en poursuivant
une carrière politique ; elle est en effet députée depuis 2009 ce qui lui donne
une légitimité politique.
Il
s’agit d’une femme dont les arguments politiques dérangent au point d’être
brimée par les sondeurs qui ne proposent jamais son nom aux sondés.
Il
s’agit d’une femme de convictions car elle ne court pas après les honneurs.
Elle a boudé le Likoud parce qu’elle n’avait aucune chance de voir son
programme appliqué et ensuite Israël Beitenou où les primaires l’avait placée
en tête. Quand Lieberman avait accepté d’entrer au gouvernement de Netanyahou
sans aucune garantie que les mesures économiques et sociales qu’elle prônait
soient appliquées, elle a quitté un parti qu’elle tenait de ses bras depuis le
départ des militants russes historiques.
Il
s’agit d’une femme qui a perdu le sens de l’orientation politique et
géographique. Pour elle la droite et la gauche sont des notions périmées quand
la population souffre, quand les familles ont du mal à joindre les deux bouts,
quand les gens, qui vivent au bout du monde à gauche, sont abandonnés par leurs
dirigeants, quand certaines personnes âgées ont du mal à se faire soigner car
la médecine nécessite beaucoup d’argent, et quand les zones périphériques sont
discriminées par manque d’hôpitaux et de médecins de qualité.
Il
s’agit certes d’une femme qui a fait ses premières classes politiques à droite mais son action est purement sociale. Les Travaillistes
en étaient conscients puisqu’ils ont fait liste commune avec elle.
Il
s’agit d’une femme qui n'est pas novice en politique, qui a été présidente de
la Commission des droits de l’enfant à la Knesset et qui la première avait tiré
la sonnette d’alarme au sujet des membres de la secte Lev Tahor, créée par
l’israélien Shlomo Helbrans, qui avait défrayé la chronique au Québec. Plusieurs
témoignages faisaient état au sein de ce groupe d’actes de violence, de
mariages forcés et de maltraitance des enfants avec de véritables lavages de
cerveau imposés aux plus jeunes.
Il
s’agit d’une femme qui, une fois élue, n’oubliera pas ses électeurs. Parce que
le social intéresse les deux bords, elle est Gantz-compatible si on lui donne
une charge à la hauteur de ses convictions et de ses compétences. On manque en
politique de quarantenaires de ce calibre capables enfin de secouer le cocotier
des vieux machos irréductibles.
Voilà
pourquoi la victoire de Netanyahou est toute relative. Face à l’entêtement des
militants du Likoud, l’opposition s’est raffermie mais l’incertitude du 2 mars
demeure toujours.
Une analyse utilement nuancée du futur champ de bataille électoral de mars 2020 et de sa sociologie en mouvement
RépondreSupprimerEt un vivifiant portrait de femme de fer et d’avenir. Orly Levy-Abecasis
Quadragenaire expérimentée qui refuse de laisser s’accumuler les misères sociales,
sous le tapis si mediatique des questions sécuritaires!
Au prix parfois de sa carrière politique: bien rare!