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jeudi 23 mai 2019

Israël : réforme du pouvoir judiciaire en marche



ISRAËL : RÉFORME DU POUVOIR JUDICIAIRE EN MARCHE

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps

Netanyahou et la présidente de la Cour suprême  Esther Hayut

On ne comprend pas très bien la finalité des mesures que le gouvernement compte prendre pour réformer le pouvoir judiciaire. En fait, par comparaison avec la France, le Conseil Constitutionnel serait dissous et l’on mettrait en avant le Conseil économique et social. En Israël, il est ainsi question de transformer la Cour Suprême en organe purement consultatif à l’instar du Conseil installé au Palais d’Iéna. Ses décisions ne seraient plus obligatoirement applicables et n’auraient aucun pouvoir contraignant. Le risque est énorme de supprimer le seul contre-pouvoir en Israël qui serait soumis à la seule volonté de la majorité Knesset. On ignore de quoi sera fait demain.


Knesset

Les politiciens israéliens font un véritable contre-sens sur les pouvoirs de la Cour suprême. La Knesset décide et vote les lois en toute indépendance. Le rôle de la Cour suprême est de vérifier que les décisions prises par les Administrations sont conformes aux lois votées et aux Lois fondamentales faisant office de Constitution. Si elles veulent prendre des mesures contraires à ces lois, il leur suffit de demander aux députés de voter légalement des amendements à la Knesset. La Cour suprême ne prend aucune initiative politique ; elle dit le droit et rien que le droit.


   Pour revenir au cas du Dr. Michaël Ben-Ari qui a déclenché la colère de la droite parce qu’il a été interdit de candidature, il faut s’appuyer sur les sources du droit.  Otzma Yehudit est la dernière version du parti fondé sur les enseignements du rabbin Meir Kahana. Kach, le parti de Kahana, a été interdit à la Knesset en 1988 ainsi que toute autre émanation de ce parti. Il a été ensuite déclaré hors la loi en 1994 en tant qu’organisation terroriste en Israël et considéré comme tel aux États-Unis, au Canada et dans l’Union Européenne.
La Cour suprême s'est appuyée sur cette loi pour interdire Ben Ari. Si les amis de Meir Kahana veulent lui permettre d’être dorénavant candidat, il suffit que la Knesset vote une loi supprimant l’interdiction du parti kahaniste en Israël. Il savoir que la Cour n’est pas seule à juger ainsi. Aux États-Unis l’Anti Diffamation Ligue, l’American Jewish Committee et même l’AIPAC, le lobby américain vigoureusement pro-israélien, ont condamné Otzma Yehudit en tant que «parti raciste et criminel». 

De nombreux rabbins orthodoxes modernes ont publié une violente dénonciation de Habayit Hayehudi parce qu’«en rejoignant des personnes méprisables qui violent les principes fondamentaux de la Torah, il avait trahi les traditions d’éthique, de justice et de leurs devoirs envers Dieu du sionisme religieux».
En fait, on veut réduire les pouvoirs de la Cour suprême que pour un cas unique, celui de Benjamin Netanyahou afin de lui permettre d’entraver la Cour en obtenant l'immunité de poursuites contre des accusations de corruption. La loi souhaitée donnerait un pouvoir illimité à la Knesset et aux ministres qui n’auraient pas à tenir compte des décisions de la Cour en matière administrative. Ainsi il serait possible d'annuler toute décision de retrait de l’immunité de Netanyahou en cas de poursuites. 
Le premier ministre négocie actuellement cette réforme avec les partis de droite en échange de portefeuilles ministériels. D’ailleurs ce 19 mai, le gouvernement a déjà approuvé le projet de loi qui permettra un nombre illimité de ministres et de vice-ministres. Il pourra ainsi satisfaire les diktats de tous les micro-partis.
Le premier ministre veut aussi avoir les mains libres pour appliquer la souveraineté israélienne sur les implantations illégales de Cisjordanie, une exigence des nationalistes de droite. Mais il n’est pas certain que les Américains ferment les yeux sur ce qui risque d’être en opposition au «pacte du siècle».
Ces changements dans le droit permettraient au Judaïsme unifié de la Torah de ne plus être bloqué par l’instance suprême. Il exige de créer un organisme de rabbins, seul habilité à délivrer des permis de travail le shabbat, à la place du ministère du Travail : «Le seul test pour les permis de travail devrait être de savoir s'il s'agit d'un travail salvateur ou non, et il est impossible d'approuver les profanations du Shabbat sur la base de considérations de commodité et de mouvement».

Enfin, il s’agit d’autoriser la saisie de terres palestiniennes pour la construction de route en Cisjordanie en direction d’implantations isolées ; l’une pour contourner Hawara et l’autre pour Al-Aroub.
Cependant il n’y a pas unanimité au Likoud pour procéder à cette réforme. Benny Begin déplore que le Premier ministre ait «l'intention de faire mauvais usage de son autorité pour des gains personnels. Les membres de la Knesset qui soutiennent cette tentative du Premier ministre d’échapper à la justice contreviendront à leur mandat en tendant clairement la main à un acte de corruption». D’autres fissures sont constatées. 
Par ailleurs, Saar a reçu le soutien de l'ancienne ministre du Likoud, Limor Livnat, qui a exprimé son soutien à sa position dans un article publié dans Yedioth Ahronot.
Michal Shir

La députée et ancienne conseillère de Gideon Saar, Michal Shir, a critiqué publiquement le projet parlementaire sur l'immunité et l'adoption d'une loi pour raisons personnelles. D’autres militants du Nouveau Likoud sont pour l’instant en retrait et préfèrent faire profil bas en attendant la décision définitive de Lieberman de faire ou non partie de la coalition. Sans lui, sans Gideon Saar et Michal Shir la majorité se réduit à 58 sièges qui risquent d’être insuffisants pour faire adopter la nouvelle loi.
Séance de la Cour suprême

Par ailleurs une action de juristes se prépare. Près de 200 d’entre eux ont décidé de se mobiliser face aux attaques contre la Haute cour pour éviter «un processus d'Erdoganisation contre la justice». Il s’agit pour eux de sensibiliser les citoyens dont une grande partie ne mesure pas les dangers d’une réforme portant atteinte à la démocratie. Ils ont menacé de lancer une grève pour bloquer tout le système judiciaire. A suivre…

1 commentaire:

  1. Philippe BLIAH19 mai 2019 à 20:49

    Merci de vos informations. Il semble que l'Etat se dirige effectivement vers une reforme tendant a reduire les pouvoirs de la Cour Supreme et d'aucuns s'interrogent sur l'impact des reformes a venir sur la democratie. Aussi peut -on se poser la question 1) Compte tenu de l'importance prise par la Cour Supreme ces dernieres une reorganisation de forme et de fond peut-elle se justifier? A mon humble avis ce remaniement est plus que necessaire, il est indispensable car a contrario de ce que laisse penser votre article pour le lecteur ordinaire -et je pense que je vais vous faire sursauter!-la CS est devenue un danger pour la democratie. Je m'explique :Tout d'abord il est bon d'informer les lecteurs sur le fait que la Cour Supreme en Israel est plus qu'un contre pouvoir . L'ensemble de ses attributions face au pouvoir exécutif est unique au monde.Rien de comparable avec la France! En effet La CS concentre entre ses mains les attributions de la Cour de Cassation, du Conseil d'Etat, du Conseil Constitutionnel et celui d'une Haute Cour de Justice. Cet organisme fonctionne sur le modéle d'une caste. Traditionnellement la commission qui nomme les juges à la CS était entre les mains de la CS et de son Président.
    Ainsi lorsque Tsipi Livni ex Ministre de la Justice a voulu faire nommer le Pr Ruth Gabizon , le President Barak s'y est opposé.En France le pouvoir executif peut avoir son mot à dire et ne s'en prive d'ailleurs pas pour "placer" ses amis.Concernant Israel on sait le mal qu'a eu l'ancien ministre de la Justice Ayelet Shaked a tenter d' imposer des juges au sein de cette caste jalouse de son pouvoir et de ses prérogatives. Concentrer autant de pouvoirs entre les mains d'une seule institution à caractére non démocratique - sur le plan de la nomination des Juges s'entend- est une aberration qui peut s'avérer dangereuse ...et sur le plan démocratique lorsque sa vision du droit à caractére politique se révéle en opposition avec l'expression des représentants du peuple-eux -élus democratiquement. Des exemples? Ayant été trop long on en reparlera lors de prochains commentaires s'ils appellent des répliques.:

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