AVIGDOR LIEBERMAN,
LE FAISEUR DE ROI
Par Jacques
BENILLOUCHE
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L’attitude intransigeante d’Avigdor
Lieberman peut s’expliquer de deux façons. Soit il cherche à obtenir le maximum
d’avantages avec ses cinq députés pour faciliter la constitution d’une
coalition de 65 sièges. C’est de bonne guerre puisqu’il est convaincu qu’il détient
en mains l’avenir du prochain gouvernement. Mais certains analystes penchent
plutôt vers une volonté de torpiller les efforts du Likoud dans une sorte de
vengeance à l’égard du premier ministre qui l’a écarté de son poste à la
défense. Il est certain que Lieberman a une grande expérience politique et qu’il
n’agit pas à la légère.
Son opposition à l’égard des
orthodoxes, voire sa haine, est historique. Ce laïc pur et dur peut
difficilement accepter de mettre un genou à terre face à des anachroniques qui
font tout pour remettre en cause la judaïté de sa communauté dont il
est le porte-voix même si la plupart des Russophones se sont intégrés au sein
des grands partis israéliens. Alors il
pose ses conditions en mettant la barre très haute.
Il exige de récupérer les
ministères de la défense et de l’immigration sachant que sa communauté
représente le plus fort contingent d’Olim soit 57%. L'Agence juive a publié ses
données officielles de l’année 2018. Plus de 29.600 personnes ont immigré en
Israël et parmi eux 10.500 Russes et 6.500 Ukrainiens, face à 2.660 Français.
Il estime qu’il est le mieux placé pour assurer leur intégration en la
facilitant grâce à une réforme des retraites. En plus de ces ministères, il
veut se voir attribuer la présidence de la commission des affaires intérieures
de la Knesset, généralement dévolue aux Orthodoxes.
Yeshiva |
Il veut que le gouvernement vote
dans les six mois une loi autorisant la peine de mort pour les terroristes. Il
exige le maintien de son projet de loi pour la conscription obligatoire des
étudiants des écoles talmudiques, déjà voté en première lecture, que les
orthodoxes veulent amender. Il refuse les tests ADN imposés par le Grand
Rabbinat pour vérifier la judéité des immigrants russophones. Sur le plan
sécuritaire, il réfute toute entente politique avec le Hamas et prône la
destruction pure et simple de ses structures militaires et dirigeantes.
En l’absence d’accord, il est prêt à
rejoindre l’opposition sachant que sa voix est indispensable au moment où le
Likoud prépare des textes de lois pour favoriser l’immunité du premier ministre
en cas de poursuite judiciaires.
En réalité, Avigdor Lieberman, ne se
sent pas à l’aise dans l’environnement politique actuel où il sait que, bien
que sa voix soit indispensable, il ne sera jamais entendu, certainement relégué à l'écart du centre de décision. Il va au gouvernement à reculons, créant chaque jour de nouveaux
obstacles. En fait, par son passage au ministère de la défense, il s’est
beaucoup rapproché des militaires dont il a toujours défendu les intérêts. En
son fort intérieur, il se sent plus proche des trois généraux du parti
Bleu-Blanc et de leur laïcité. Si le premier ministre échoue dans sa tentative
de créer une coalition, il n’a aucune crainte de retourner devant les
électeurs : «Je n’ai plus l’intention de rencontrer
personne. Ils connaissent nos exigences. S’ils le veulent, nous serons dans la
coalition, sinon nous irons dans l’opposition». Il reste intransigeant et
pour lui : «C’est tout ou rien».
Lieberman a lancé quelques pics au premier ministre :
«La personne qui a empêché l'évacuation de Khan al-Ahmar et de Susya n'était
pas la Cour suprême. Celui qui a empêché le projet de loi de mettre à mort des
terroristes après les deuxième et troisième fois n'était pas la Cour suprême.
Celui qui a autorisé des millions de dollars à être transférés à des
organisations terroristes à Gaza était le gouvernement israélien actuel. Nous
voulons un droit gouvernement en gestes, pas en mots».
Il a visé indirectement les Orthodoxes
: «Israël Beitenou représente la population la plus ignorée de l'État d'Israël
- la population qui sert dans l'armée, réserve, travaille et paye des impôts.
Par conséquent, nous ne ferons pas de compromis sur nos principes. Il faut nous
prendre au sérieux. Trouvez quelqu'un d’autre à blâmer si nous ne parvenons pas
à former une coalition de droite».
Israël Eichler |
Le
député orthodoxe Israël Eichler préfère retourner aux urnes plutôt que
d’accepter les diktats de Lieberman : «Si nous le faisons, nous
n'aurons pas à rester dans la peau du pauvre et à donner à une personne avec
cinq mandats le pouvoir d'imposer ses vues à tout un pays». Son collègue
Moshé Gafni est plus virulent : «Je ne peux pas comprendre cet homme,
il veut diriger le pays avec cinq sièges, il ne comprend pas comment un État
est dirigé. Nous voulons la présidence de la Commission de l'intérieur. C’est
une sorte de négociation que nous n’avons jamais connue, comme s’il s’agissait
du propriétaire de la maison. L’homme ne comprend pas comment fonctionne l’État,
ne siège pas au gouvernement et ne recommande pas Gantz».
En
fait, selon des indiscrétions, les dirigeants du Likoud s’inquiètent de ce qui
se trame au sein du parti. C’est pourquoi ils ont lancé leurs "scuds" en
direction de Gideon Saar en accusant sa fille de fréquenter un Arabe israélien.
D’autres boules puantes sont encore en réserve pour amener l’opposant à
Netanyahou à de meilleurs sentiments. Saar, lui aussi expert politicien, a
choisi, contrairement à Bennett et Shaked en leur temps, l’attaque de
l’intérieur du parti. Son placement par les militants au sommet de la liste des primaires, quatrième, l'encourage dans cette voie.
Un groupe de frondeurs est en voie de constitution pour s’opposer
à la direction du parti, dans un premier temps avec l’objectif de faire
scission pour rejoindre l’opposition aux côtés de Lieberman. Dans un deuxième
temps, ils pourraient servir de force d’appoint aux généraux. Avec les 45 sièges
de l’opposition, sans compter les partis arabes, les cinq d’Israël Beitenou, il
suffirait d’une dizaine de défections pour inverser la tendance. Cela explique
d’ailleurs la modération des propos des généraux qui ne veulent pas gêner les
frondeurs dans leur tentative de créer la surprise.
Le
Likoud n’a plus qu’une dizaine de jours pour trouver la quadrature du cercle.
C’est une mission très difficile mais Benjamin Netanyahou, en fin politique, a
connu d’autres situations plus difficiles. Il sait cependant qu’Avigdor
Lieberman est le faiseur de roi et qu’il devra lâcher du lest pour l’empêcher
de rejoindre les généraux. A suivre…
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