Pages

samedi 2 mars 2019

Les failles de la diplomatie iranienne



LES FAILLES DE LA DIPLOMATIE IRANIENNE

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright ©  Temps et Contretemps

       

          La démission de Mohammed Jawad Zarif, qui a été refusée, révèle les nombreuses failles de la diplomatie iranienne, en particulier en Syrie. Certes Israël peut se réjouir des difficultés intérieures en Iran, mais Zarif n’est pas encore parti malgré le tweet en persan de Netanyahou : «Zarif s'en est allé. Nous sommes débarrassés de lui. Tant que je serai ici, le régime iranien n'acquerra pas d'armes nucléaires». Zarif garde le ministère des affaires étrangères parce que les dirigeants iraniens savent qu’il est indispensable auprès des chancelleries européennes qui l'ont adoubé. La réjouissance a été de courte durée.



            Cependant il est difficile de cacher les échecs iraniens en Syrie et les rivalités au sein des Mollahs. Zarif n’a pas été invité à assister à la réunion du président Hassan Rouhani, le 25 février, avec le président Bachar Al Assad, lors de sa visite inopinée en Iran, pour la première fois depuis huit ans. Cette mise à l’écart volontaire a été l'une des causes de sa démission. En accueillant Assad, l’Iran cherche à renforcer son rôle en Syrie en réaffirmant son alliance avec Damas à un moment où Assad subit une pression croissante pour éloigner la Syrie de l’Iran et réduire les tensions avec les pays voisins. Il s’agit pour l’Iran d’adresser un message aux États-Unis et à la Turquie que Téhéran fera face aux nouveaux développements en Syrie.
            En fait, Zarif subit les conséquences de l’échec de la quatrième réunion trilatérale des chefs d'État russe, turc et iranien, consacrée au règlement de la crise syrienne qui s’est tenue le 14 février 2019 à Sotchi. Le président russe Vladimir Poutine, le président turc Recep Tayyip Erdogan et le président iranien Hassan Rohani, garants du cessez-le-feu en Syrie, ont discuté d’un règlement sur le long terme du conflit syrien. Le sommet s'est concentré sur les régions d'Idlib et de Manbij, dont le sort reste controversé entre les dirigeants des trois pays. Mais ce sommet n'a abouti à aucun accord concret. La déclaration finale du sommet a uniquement mis l'accent sur la nécessité de préserver l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Syrie.
Sotchi 14 février 2019

Or de hauts responsables iraniens ne cessent pas de lancer des avertissements au sujet des frappes israéliennes contre les éléments iraniens en Syrie. Le président Rohani a appelé la communauté internationale à mettre fin à «l'intervention illégale» d'Israël en Syrie. Le gratin de la politique internationale, une trentaine de chefs d'État et de gouvernement et plusieurs de dizaines de ministres du monde entier, s’étaient réunis à Munich le 14 février pour une  conférence sur la sécurité. Lors de cette conférence, le ministre Zarif, a averti que les activités permanentes d'Israël pourraient entraîner le déclenchement d'une guerre et compromettraient la possibilité de rétablir la sécurité et la stabilité dans le pays. Il a effectué une visite de deux jours au Liban, au cours de laquelle il a rencontré de hauts responsables du gouvernement libanais, le secrétaire général du Hezbollah et des représentants d'organisations palestiniennes au Liban. Il s'agit de la première visite de Zarif au Liban depuis la formation du nouveau gouvernement à Beyrouth.
Mais dans la déclaration finale du sommet, les participants ont seulement salué la décision des États-Unis de retirer leurs troupes de Syrie. Les trois pays ont aussi insisté sur les objectifs communs de la Russie, de l'Iran et de la Turquie à savoir lutter contre le terrorisme, rétablir la stabilité et la sécurité en Syrie. L’Iran n’a rien obtenu de la Russie alors qu’il estime que Netanyahou continue à frapper les forces iraniennes en Syrie.
Gholam-Hossein Karbaschi

La démission de Zarif met en évidence l’impopularité auprès du peuple iranien de la politique de Téhéran en Syrie mais aussi auprès d’anciens responsables. L’ancien maire de Téhéran, Gholam-Hossein Karbaschi, a été condamné à un an de prison pour s’être opposé à l’implication de l’Iran dans la guerre de Syrie. Aucune critique contre les actions du régime à l’étranger n’est tolérée. Même la presse iranienne évite d’engager ce débat impopulaire. On peut tout débattre à Téhéran sauf la politique iranienne en Syrie. Les journalistes risquent la prison et pour certains la vie avec le risque de fermeture définitive de leurs publications. Le quotidien Ghanoon  a été interdit en raison d'un titre sur le voyage de Bachar al Assad qualifié  d’invité non invité.


Ataollah Salehi

Même le général Ataollah Salehi, commandant de l'armée, avait pris ses distances quant à l'implication de l'Iran en Syrie. Son attitude était justifiée par la mort de quatre membres des forces spéciales, appartenant à la mythique 65e brigade aéroportée, à peine arrivés en Syrie. Il avait déclaré que cette force militaire n’avait aucun rôle à jouer en Syrie et que l’envoi des troupes en Syrie avait été fait sans son consentement : «L'armée n'est pas chargée de fournir des secours à la Syrie et il n'y a qu'une seule organisation dans le pays qui s'en charge». Il faisait allusion bien sûr au Gardiens de la révolution islamique. Par ailleurs, il n’avait pas apprécié que des membres des forces armées iraniennes en Syrie se soient portés volontaires pour fuir la Syrie.
Le peuple iranien ne comprend pas l’intérêt de l'investissement par leur pays de plusieurs milliards de dollars pour sauver le régime d'Assad alors que les Syriens refusent de consommer des produits iraniens. Selon le chef adjoint de la Chambre de commerce iranienne, Hossein Selahvarzi, malgré l'attribution par l'Iran d'un crédit d'un milliard de dollars à des entreprises syriennes pour acheter des produits iraniens, et malgré l’accord commercial préférentiel syro-iranien, les Syriens «créent des limitations empêchant l'exportation de nos produits» alors que le marché syrien est «inondé» de produits de contrebande en provenance de Turquie.
Hossein Selahvarzi

Les Russes ne se gênent pas pour limiter la participation de l’Iran dans des contrats en Syrie. Selon le quotidien Ghanoon : «Même dans les consortiums entre Russes et Syriens, si l'Iran veut jouer un rôle dans le processus de reconstruction de la Syrie, il doit négocier avec les Russes». En fait les Iraniens sont amers car, malgré leurs milliards de dollars investis en Syrie, ils ne sont pas impliqués dans la reconstruction de certaines régions de Syrie parce le dernier mot revient à Poutine.

Enfin le soutien au Hezbollah est contesté. La milice libanaise était censée défendre l’Iran contre Israël. Or certains dirigeants iraniens estiment qu’elle ne répond pas à sa fonction dissuasive. Plus de 2.000 bombes ont été larguées par Israël sur les forces iraniennes en Syrie et leurs alliées, alors que le Hezbollah hésite à utiliser une partie de ses 100.000 missiles. La dissuasion du Hezbollah contre Israël est totalement stérile. Ils critiquent aussi la passivité des défenses anti-aériennes russes en Syrie qui laissent Israël agir librement.
Le ministre Zarif, après sa démission spectaculaire, est à présent conscient que l’Iran doive remettre sur la table la question du soutien politique, matériel et humain à la Syrie, pour essayer de ramener à lui l'opinion publique iranienne.  



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire