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lundi 13 août 2018

Trump fait vaciller le trône d'Erdogan



Trump fait vaciller le trône d’ERDOGAN

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright ©  Temps et Contretemps

            

          On ne s’attaque pas impunément à Donald Trump. Tayyip Erdogan aurait dû le savoir. Depuis quelques temps, tout lui réussit dans son pays et face à l’Union européenne qui a tendance à accepter ses diktats. A la suite d’un procès qui s’est tenu le 18 juillet, un tribunal turc a ordonné le maintien en détention préventive du pasteur américain Andrew Brunson, jugé pour «terrorisme» dans une affaire qualifiée de «honte totale» par Donald Trump. Le président américain a donc publiquement appelé son homologue turc Erdogan à œuvrer pour la remise en liberté du pasteur, en vain.



Pasteur Andrew Brunson

Le pasteur, détenu depuis octobre 2016 sous l'accusation d'activités «terroristes et  d'espionnage», a perturbé les rapports entre la Turquie et les Etats-Unis. Le président américain s’est élevé contre son incarcération : «C'est une honte totale que la Turquie ne veuille pas libérer un pasteur américain respecté, Andrew Brunson. Cela fait trop longtemps qu'il est retenu en otage. Recep Tayyip Erdogan devrait faire quelque chose pour libérer ce merveilleux époux et père de famille chrétien. Il n'a rien fait de mal et sa famille a besoin de lui! Ils le qualifient d'espion. Mais je suis plus espion que lui». Le pasteur Brunson risque jusqu'à trente-cinq ans de prison dans ce procès qui s'est ouvert le 16 avril et qui a été renvoyé au 12 octobre 2018.
Pasteur évangélique et presbytérien américain, Andrew Brunson était arrivé en 1993 en Turquie où il officiait à la tête d’une paroisse d’Izmir. Le chef d’accusation porté contre le pasteur énonce des activités d’espionnage au profit du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), considéré comme terroriste par le pouvoir, et au profit du réseau de Fethullah Gülen, l’opposant irréductible à Erdogan. En fait c’est un  otage politique que la Turquie cherche à utiliser comme monnaie d’échange contre Fethullah Gülen, réfugié aux États-Unis, et dont le président turc Recep Tayyip Erdogan a demandé l’extradition. Erdogan croit pouvoir utiliser les mêmes méthodes que ses affidés du Hamas qui utilisent la technique de l’otage pour obtenir satisfaction. Trump a plus de moyens de pression que Netanyahou.
Gülen

Donald Trump n’est pas dirigeant à accepter les chantages ; il a donc usé de son arme favorite, les sanctions. L'administration Trump a doublé, pour les Turcs uniquement, les droits de douane de 50% et 20% respectivement sur les importations d'acier et d'aluminium. La Turquie a réagi en imposant des droits de douane sur 1,8 milliard de dollars de produits américains, dont le charbon et le papier. De son côté Erdogan, qui n’ignorait pas être dans un combat perdu d’avance, s’est entêté et a déclaré qu'il résisterait aux pressions des États-Unis. Or la bourse a réagi comme elle le fait en pareille circonstance. La livre turque s’est effondrée de 18% en une journée et de plus de 40% en une année. Pour enrayer cette chute, Erdogan a demandé aux Turcs d’échanger leur or et leurs devises en livres pour soutenir la monnaie. Il n’est pas certain qu’il soit entendu par ceux qui veulent assurer leur avenir économique.

Une délégation de responsables turcs a eu des entretiens avec des dirigeants à Washington mais il n'y a eu aucun signe de percée. La situation est grave car des sociétés surendettées ne pourront pas rembourser leurs emprunts contractés en euros et en dollars. Malgré cela, du haut de sa superbe, Erdogan crâne et accuse les agences de notation de crédit occidentales d’être responsables de la chute de l’économie : «S'il y a quelqu'un qui a des dollars ou de l'or sous ses oreillers, ils devraient aller les échanger contre des livres à nos banques. C'est une bataille nationale. Ce sera la réponse de mon peuple à ceux qui ont mené une guerre économique contre nous». Mais l'effet inverse est constaté en Turquie. Une journaliste de l'AFP a vu des dizaines de personnes affluer dans un bureau de change pour convertir leurs livres en or, dollars, ou euros.
Bref, Erdogan reste droit dans ses bottes et ne veut faire aucun geste d’apaisement en faveur du pasteur Brunson.
La population turque sera la première à en souffrir. La dépréciation de la livre fait grimper le coût des marchandises importées, du carburant et de la nourriture. Mais la répercussion s’étendra aussi au-delà des frontières et à Wall Street car les investisseurs, dont l’économie turque est dépendante, sont de plus en plus inquiets d’une crise monétaire qui pourrait les toucher d’autant plus que l’inflation atteint près de 16% en rythme annuel.


Quand le dictateur ne mesure pas ce qu'il dit

Erdogan n'est pas homme à composer; il ne veut pas entendre ses économistes qui proposent des solutions radicales. Il est maître incontesté du pays et il n’accepte de se plier à aucun diktat. A force de voir le dictateur renforcer son pouvoir, aucun responsable politique turc ne peut ou ne veut prendre de décisions pour stabiliser l’économie. L’agonie de la livre turque risque d’entraîner l’agonie du régime. Ce que les militaires turcs n’ont pas réussi à faire pour dégommer Erdogan, Trump aura réussi à faire vaciller le sultan de son siège.
La seule réaction d'Erdogan est mystique : «S'ils ont des dollars, nous, nous avons notre peuple, nous avons le droit et nous avons Allah !». L'économie ne risque pas de s'améliorer avec ce genre de réflexion, s'il faut seulement s'en remettre au Ciel! 
 L’Iran et la Turquie, qui ont des capacités de nuisance sur le front international, se trouvent dans une situation économique délicate. Trump a compris qu’il n’était pas nécessaire d’envoyer son armada ou ses escadrilles pour les contrer. La nouvelle guerre est devenue économique et ces pays s'effondreront d'eux-mêmes. Israël se délecte de cette situation qui voit ses ennemis se débattre dans des problèmes internes avec le risque, ou la chance, de les voir disparaître sous cette gouvernance. 


4 commentaires:

  1. " Israël se délecte de cette situation qui voit ses ennemis se débattre dans des problèmes internes avec le risque, ou la chance, de les voir disparaître sous cette gouvernance"...

    Faut avouer que si le malheur des uns fait le bonheur des autres, alors j'espère pour Israël un maximum de bonheur !

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  2. Marianne ARNAUD11 août 2018 à 20:01

    Cher monsieur Benillouche,

    Trump a été élu grâce à sa promesse : "America first", il a ouvert la guerre commerciale non seulement avec son allié de l'OTAN, la Turquie, mais aussi avec la plupart de ses principaux partenaires : le Canada, l'Union européenne, et même la Suisse, mais aussi le Mexique, le Japon, et évidemment, la Russie.
    Il semble que seule la Corée du Sud a échappé à la pression en acceptant des conditions draconniennes.

    Mais son obsession principale est la Chine qui incontestablement posera des problèmes d'une autre envergure que la Turquie.
    Dans l'immense crise planétaire qui se prépare, je me demande si Israël pourra "se délecter" longtemps de la situation.

    Très cordialement.

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  3. transformer un article sur l débacle économique turque à cause d'un dictateur islamiste en un commentaire contre trump; quelle que soit la politique de ce dernier c'est assez fort

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  4. Marianne ARNAUD12 août 2018 à 09:51

    @ Bruno Levy

    Avons-nous la berlue ou cet article titre sur Trump ?
    Qui a écrit ici même, il y a plusieurs années :
    "Entre la Turquie qui estime son honneur bafoué et Israël qui a pour principe intangible de ne jamais s'excuser quand sa sécurité est en jeu, l'impasse semble totale. Mais quand la raison finira par reprendre le dessus, les deux pays ne pourront que s'entendre."
    Et n'est-ce pas toujours valable ?
    Tapez donc "Turquie" sur le moteur de recherche de ce blog et vous constaterez que la politique d'Israël avec ses voisins, en fin de compte, se décide à Washington.

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