Au lendemain de la mort de
l’icône de la gauche israélienne, Uri Avnery décédé à 94 ans, le souvenir d’un
autre héros politique, qui, comme lui, «avait toute sa vie milité pour le dialogue
entre Israéliens et Palestiniens», doit être rappelé dans nos mémoires.
L’architecte Dov Chernobroda avait été tué dans l’attentat au restaurant Matza
à Haïfa le 31 mars 2002 avec douze autres personnes, juives et arabes.
Dov Chernobroda |
Sa deuxième femme Yaël Armanet,
franco-israélienne, au passé de «jeune catholique convertie à 25
ans auprès du Rav Shlomo Goren» nous propose un témoignage exceptionnel
avec son ouvrage «Haïfa-Jénine, après le silence». C’est une
ode à l’amour, écrite dans un français de qualité ce qui se conçoit quand
l’auteure est diplômée de lettres modernes de l’Université de Strasbourg.
Dov Chernobroda avait consacré,
par conviction, ses trente ans de carrière comme architecte et urbaniste dans
les villes et villages arabes de Galilée et de Wadi Ara ; il fut
l’architecte officiel de Oum-el-Fahm et à l’origine de la construction du stade
olympique de foot, après une subvention d’Itzhak Rabin. Il avait ses entrées
auprès des personnalités palestiniennes et avait rencontré Yasser Arafat deux
fois à la Mouquata. Il favorisait les rencontres bilatérales entre Israéliens
et Palestiniens selon le principe : «On est ennemis, mais on se
parle et quand on se parle, on ne s’entretue pas».
Obsèques des victimes de l'attentat |
L’auteur profite du portrait
politique de Dov pour aborder l’Intifada et les kamikazes, pétris de haine
contre Israël, qui se sont fait exploser en territoire israélien. L’atmosphère
lugubre régnant à cette période est parfaitement reconstituée. C’est un
excellent exercice pour comprendre la philosophie palestinienne du moment.
Yaël Armanet a usé d’un exercice
de style original, non seulement en faisant parler les morts, mais aussi en
s’adressant à ces personnages disparus pour rendre le récit vivant et
captivant. L’ouvrage ne relate pas seulement la vie de Dov Chernobroda mais il aborde
toute la question palestinienne sous l’angle de la cohabitation avec les Juifs.
Le lecteur apprendra beaucoup sur les négociations, même s’il ne partage pas les
thèses politiques défendues.
Le récit donne une vision de la
vie à Tel-Aviv au lendemain de la guerre, autour des bâtiments de style Bauhaus
des quartiers proches du Souk HaCarmel, aujourd’hui recherchés par les
Francophones. On découvrira «l’histoire de Tel-Aviv entre 1935 et
1950, les classes sociales, les immigrations, le marché du travail, la vie
culturelle, la construction, les événements politiques».
Yaël aborde ensuite en détail la
vie militante de Dov et en particulier ses relations avec Yasser Arafat qu’il
rencontra dans son palais le 14 septembre 1998, cinq années
après les Accords d’Oslo, avec le diagnostic de l’époque : «la paix
sans le développement économique, est promise à l’échec». Il
disait de lui : «le Raïs avait toujours prétendu être né à
Jérusalem, alors qu’il était né au Caire». Grâce à cette proximité,
Dov a pu organiser une série de rencontres secrètes, comme celle avec Roni
Milo, Maire de Tel-Aviv. Il avait des idées originales et iconoclastes qui
pouvaient faire bouger les choses : «il serait judicieux que
l’Autorité palestinienne fasse un grand pas en avant et propose au monde un
accord qui adopterait comme légitimes sur son territoire les implantations
juives en place».
Dov Chernobroda n’était pas
borné ni intoxiqué mais réaliste. Le double langage de l’Autorité palestinienne
l’interpelait sans cesse, surtout lorsqu’Arafat rendait hommage aux
terroristes. Mais il était en avance sur son temps car il préconisait de
discuter avec ses ennemis, en particulier le Hezbollah et le Hamas. Aujourd’hui
le dialogue avec le Hamas est une réalité.
Yaël Armanet émaille son récit
d’une référence à la ville de Jénine qui fera l’objet de deux films distincts
car le meurtrier de son époux était issu de cette ville. Dans le «le Cœur de Jénine», le
réalisateur allemand Marcus Vetter conte l’histoire de ce père palestinien Ismaël
qui a fait don des organes de son fils, tué par Tsahal, à des enfants
israéliens. Les deux hommes se mettent ensuite en tête de reconstruire le cinéma de
cette ville, marquée par deux décennies d’Intifada mais se heurtent vite à
l'incompréhension des nombreux copropriétaires du lieu.
Par ailleurs le deuxième film «Après
le silence», réalisé par deux jeunes femmes allemandes, Stéphanie
Bürger et Jule Ott, relate la démarche de Yaël Armanet qui avait décidé de se
rendre à Jénine pour y rencontrer la famille de Shadi Tobassi : celui là-même
qui s’était fait exploser, entraînant dans la mort Dov Chernobroda. Le film rend
compte du cheminement qui a conduit à cette rencontre. "Après le silence" «n’était pas un film politique qui analysait le conflit, mais un film sur la réconciliation après un attentat suicide». Cette démarche a été entreprise avec Yoav Chernobroda, le fils aîné de Dov. Il était vraiment le seul dans la famille qui a (alors) tout de suite adhéré à cette initiative, à la mémoire de son père.
C’est un ouvrage, ou plutôt «une démarche de
réconciliation» qui se lit facilement et qui est un livre de
référence sur une partie des relations secrètes entres Israéliens et Palestiniens. Un livre original sur le conflit qui perdure depuis des dizaines d'années et qui fait des victimes innocentes, même parmi les défenseurs israéliens des Palestiniens.
Éditions Le
Passeur
20,90€
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