Pages

dimanche 28 janvier 2018

L'Algérie renonce à l'hypocrisie vis-à-vis d'Israël



L’ALGÉRIE RENONCE À L’HYPOCRISIE VIS-À-VIS D’ISRAËL
Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
         
Le ministre algérien de l’Energie, Mustapha Guitouni

      Un député algérien a révélé devant l’Assemblée populaire nationale algérienne (APN) ce qu’il qualifie de scandale lié à l’importation de matériel made in Israël. L’Algérie étant un pays politiquement très verrouillé, il ne fait aucun doute que les fuites ont été organisées par les autorités elles-mêmes. Sonelgaz, entreprise nationale de gaz et d’électricité, a en effet acquis une série de vannes de contrôles dans le cadre du projet de la nouvelle centrale électrique de Boutlelis dans la ville d’Oran. Le ministre algérien de l’Énergie, Mustapha Guitouni, a dû s’expliquer ce 25 janvier devant l’APN sur ce commerce avec un pays qu’officiellement l’Algérie ne reconnaît pas et a nié, sans conviction, les relations commerciales.



député Lakhdar Benkhelaf 

            Il a confirmé que l’Algérie «est parmi les rares pays au monde à n’avoir pas établi de relations avec Israël» mais il a tenté de donner plus de précisions sur le processus d’acheminement des vannes israéliennes. Il était difficile d'ignorer l'origine du matériel mais le ministre algérien s’est défendu en précisant que les vannes avaient été importées par une société franco-américaine. Normalement les pièces devaient être acheminées depuis l’Espagne mais «par erreur», elles ont été envoyées directement d’Israël. Il est difficile de croire à cette argutie de la part de grands pays.

          Quelques jours seulement ont suffi à Sonelgaz pour identifier l’origine du matériel estampé «made in Israël». La société nationale d’électricité et de gaz a dit avoir déposé plainte contre la société franco-américaine Cegelec/General Electric, qui lui a fourni ce matériel.
centrale électrique de Boutlelis


            Le groupe public algérien explique que «dans le cadre de la réalisation de la centrale électrique de Boutlelis (Oran) d’une capacité de 450 MW, du  matériel a été importé par le consortium Cegelec/General Electric». Mais lors des formalités de vérifications de ce matériel par la société d’engineering CEEG (filiale de Sonelgaz), qui est en charge de la réalisation du projet en tant que maître d’œuvre, les services de cette filiale ont découvert que parmi le matériel importé, comportant des milliers de composants, un de ces composants (vannes de déluge) comportait la mention «made in Israël». Interpellé, le consortium «a ainsi reconnu officiellement sa responsabilité de l’introduction de ce matériel par mégarde». Mais, pour se protéger politiquement, Sonelgaz a voulu faire preuve de zèle en informant les services de douanes.
            Le député Lakhdar Benkhelaf a exigé une commission d’enquête et a transmis l’affaire à la justice algérienne. On ne comprend pas cet acharnement à refuser des échanges pacifiques qui permettent aux hommes de mieux se connaître et mieux se comprendre. Les Algériens veulent être plus palestiniens que les Palestiniens en se donnant l’image de parfaits défenseurs de leur cause que beaucoup de pays arabes ont depuis longtemps renoncé à intégrer dans leur politique internationale. 
Djihadistes en Algérie

          Au moment où seul compte le combat contre l’islamisme radical dont a souffert en premier l’Algérie dans les années 1990, alors toutes les autres luttes politiques sont secondaires. 
            Cette affaire n’est pas nouvelle car ce n’est la première fois que l’Algérie importe du matériel israélien. Seulement d’ordinaire elle est plus prudente car elle prend la précaution d’en modifier la provenance. Il n’est aussi un secret pour personne qu’elle fournit à Israël son gaz via un pays du Moyen-Orient. En 1999, alors qu’il venait d’être élu président, Abdelaziz Bouteflika avait fait sa profession de foi vis-à-vis de ce commerce : «Si j’ai un malade qui agonise à la maison, que j’ai besoin d’un médicament, que tous les pharmaciens sont fermés à part l’israélien, je ne sais pas ce que vous faites mais moi, j’achète». Personne n’est dupe que l’Algérie recherche l’efficacité qui lui impose des transactions commerciales avec l’État juif.

            Cela fait plus de vingt ans, depuis 1994 précisément, que l’Algérie et ses grandes entreprises se fournissent auprès d’Israël en médicaments, en matériel médical ou en technologie pourvu qu’il n’y ait pas la mention «made in Israël». Le contrat avait été signé directement entre les autorités algériennes et israéliennes. Alger avait exigé que la fourniture s’effectue via une société basée en France et que les produits soient débaptisés d’un nom bien français. Ainsi, pendant plusieurs années, le «made in Israël» a été remplacé artificiellement par le «made in France». Cette astuce a d’ailleurs inspiré d’autres entreprises algériennes.
            Mais de temps en temps, un scandale éclate comme celui, il y a deux ans, de la société Naftal, société publique de distribution d’hydrocarbures, qui avait importé pour 15 millions de dinars (133.000$) de matériel informatique israélien par l’intermédiaire de la société Net Work, dirigée par un ancien policier. Mais bien sûr les échanges commerciaux ont été à double sens. La Sonatrach livrait du gaz algérien à Israël via le gazoduc d’El-Arish depuis l’Égypte. Le contrat liait les deux parties depuis le 1er août 2014. L’Égypte importait 500 millions de m3 de gaz par jour, en gardait 400 pour ses besoins et en revendait 100 à Israël.

            Abdelaziz Bouteflika a toujours su être pragmatique et l’on se souvient de son entretien, soi-disant impromptu, en juillet 1999 face aux caméras, avec Ehud Barak dont il serra la main sans aucune réticence à l’occasion des obsèques du roi Hassan II. Il avait fait preuve d’un véritable réalisme politique. Les islamistes avaient alors accusé le président algérien d’avoir «brisé un tabou» voire commis «un sacrilège».
            Israël est toujours resté discret alors qu’il était devenu le premier fournisseur d'Alger en produits de santé. L’Algérie de son côté voyait dans ces relations un moyen de redevenir un acteur sur la scène du Moyen-Orient. Bouteflika a voulu montrer qu’il ne pouvait plus rester en marge du mouvement et il n’était pas le premier à le faire. Entre 1986 et 1988, un haut militaire proche du président Chadli, avait rencontré à Paris, plusieurs fois, Shimon Pérès, alors ministre des affaires étrangères. Il lui avait expliqué que «son pays voulait jouer un rôle de bons offices dans le conflit israélo-palestinien». L'ambassadeur d'Israël en France, Ovadia Soffer, avait confirmé ce contact.
Ambassadeur Soffer

            Les accords d’Oslo de 1993 avaient tout débloqué. Une délégation secrète du ministère israélien de la santé s’était rendue en 1994 à Alger pour signer le premier contrat commercial. L’un des médecins de la délégation avait révélé les détails de cette rencontre : «Cela s'est fait très simplement. Depuis plusieurs mois, l'euphorie régnait : nous étions désormais invités à des congrès médicaux où nous côtoyons nos confrères arabes et, notamment, maghrébins. Dans l'un de ces congrès, un haut fonctionnaire algérien nous a demandé si Israël était prêt à leur vendre des médicaments. L'Algérie était en pleine guerre civile ; elle se méfiait de la France et de l'Europe, qui faisaient la fine bouche devant la répression anti-islamiste. Ils ont dû penser qu'avec nos problèmes d'attentats, nous pourrions les comprendre. Ils ne mettaient qu'une condition : que le contrat, orgueil national oblige, soit signé à Alger».


Résidence pour hôtes étrangers

            Itzhak Rabin donna son feu vert en 1994. Une première délégation israélienne arriva à Alger, via la Tunisie et Ouargla, et fut logée dans une résidence discrète pour hôtes étrangers. Un témoin a raconté : «Nous étions une demi-douzaine, plus une équipe de protection armée qui avait été autorisée à nous accompagner. La consigne était de ne pas parler un mot d'hébreu, mais comme la plupart d'entre nous étions originaires du Maghreb, nous parlions arabe et français».
            Les échanges ont alors commencé le 10 juillet 1994 à travers une société israélienne qui avait des bureaux au Maroc. Dix mille tests de grossesse, baptisés Prélude et réemballés pour faire croire à un produit français expédié de Marseille, ont été vendus et le montant de la transaction versé dans une banque marocaine. Par la suite les ventes se diversifièrent : antibiotiques, hôpitaux de campagne, scanners, médicaments pour victimes d’attentats et appareillage divers. Des Algériens avaient été reçus en Israël pour se former aux techniques de soins des victimes d’attentats.
            La presse algérienne joua le jeu et prépara l’opinion aux contact établis avec Israël.  La Nouvelle République, quotidien proche des militaires titrait «Des relations avec Israël, pourquoi pas ?». Certains journalistes dénoncèrent même les «positions figées des diplomates algériens, au moment où Israéliens et Palestiniens sont en contact permanent». En fait ce positionnement peut s’expliquer car l’Algérie a beaucoup souffert de l’islamisme radical qui a fait des centaines de milliers de morts. Israël était donc en communauté de destin face aux attentats. Les fuites sur les échanges commerciaux pourraient préfigurer un changement d’attitude des Algériens vis-à-vis d’Israël mais l’opinion publique ne semble pas encore prête à sauter le pas pour une normalisation et pourtant, l’ennemi des deux pays est à présent le même.


5 commentaires:

  1. Cher monsieur Benillouche,

    Voilà qui pourrait mettre Algériens et Israéliens d'accord !

    https://www.youtube.com/user/leslipfrancais

    Très cordialement.

    RépondreSupprimer
  2. Intéressante analyse sur mon pays; en fait l'on trouve des informations "succulentes" que l'on ne voit pas dans la presse locale. A propos de l'islamisme, s'agissant de sa facette violente (le terrorisme), il reste globalement insignifiant. Cependant dans sa partie idéologique, la bataille est loin d'être terminée, car pratiquement depuis les années 1980, tout un travail de sape en profondeur, fut mené notamment dans l'éducation et autres secteurs, avec la duplicité des pouvoirs en place. L'on retient toutefois un réel éveil des pans entiers de courants démocratiques, de progrès face à l'islamisme. C'est ce même éveil que l'on trouve à l'égard d'ISRAEL et à sa juste place au Proche Orient. C'est vrai que les chaines satellitaires et internet ont aidé les uns à mieux comprendre le différend israélo-arabo/palestinien, tandis que pour les autres leur cécité était déjà là, aggravée par l’obscurité ambiante entretenue, dans ce domaine, par une grande partie des médias domestiques. En ce qui concerne la « trouvaille du siècle » ayant trait à des produits israéliens trouvés dans des équipements achetés par nos entreprises, il s’agit là davantage d’une fébrilité des courants « idéologique-clodos » à l’effet d’une diversion face aux mouvements revendicatifs multiples de la société civile et en même temps de vouloir « marquer des points » dans ces batailles sourdes menées partout , à l’approche des « élections » présidentielles prévues en 2019. Que l’on sache, en outre, que le volet israélo-arabo/palestinien a toujours été utilisé comme soporifique en direction des pans entiers des populations.

    RépondreSupprimer
  3. Intéressante analyse sur mon pays; en fait l'on trouve des informations "succulentes" que l'on ne voit pas dans la presse locale. A propos de l'islamisme, s'agissant de sa facette violente (le terrorisme), il reste globalement insignifiant. Cependant dans sa partie idéologique, la bataille est loin d'être terminée, car pratiquement depuis les années 1980, tout un travail de sape en profondeur, fut mené notamment dans l'éducation et autres secteurs, avec la duplicité des pouvoirs en place. L'on retient toutefois un réel éveil des pans entiers de courants démocratiques, de progrès face à l'islamisme. C'est ce même éveil que l'on trouve à l'égard d'ISRAEL et à sa juste place au Proche Orient. C'est vrai que les chaines satellitaires et internet ont aidé les uns à mieux comprendre le différend israélo-arabo/palestinien, tandis que pour les autres leur cécité était déjà là, aggravée par l’obscurité ambiante entretenue, dans ce domaine, par une grande partie des médias domestiques. En ce qui concerne la « trouvaille du siècle » ayant trait à des produits israéliens trouvés dans des équipements achetés par nos entreprises, il s’agit là davantage d’une fébrilité des courants « idéologique-clodos » à l’effet d’une diversion face aux mouvements revendicatifs multiples de la société civile et en même temps de vouloir « marquer des points » dans ces batailles sourdes menées partout , à l’approche des « élections » présidentielles prévues en 2019. Que l’on sache, en outre, que le volet israélo-arabo/palestinien a toujours été utilisé comme soporifique en direction des pans entiers des populations.

    RépondreSupprimer
  4. Redressement à apporter au commentaire premier ; il faut lire " ....C'est ce même éveil que l'on trouve à l'égard d'ISRAEL et à son droit d'existence et sa place au Proche Orient."" au lieu de : "C'est ce même éveil que l'on trouve à l'égard d'ISRAEL et à sa juste place au Proche Orient.""

    RépondreSupprimer
  5. Je peux vous raconter de source sure car je connais personnellement la la personne interessée , à l'époque Haut fonctionnnaire au ministére de l'economie en Algérie qui dans les années 80 (pardon j'ai oublié l'annee précise) a ete contacté par un intermédiaire ami etranger qui demandait par son canal au gouvernement algérien d'envoyer une délégation au forum de Davos. Etonnant car seuls les pays riches se retrouvent à Davos. Ce fut fait .Le soir la delegation algérienne fut conduite dans une salle privée .Aprés quelques moments d'attente où cette delegation se demandait ce qu'elle faisait, les portes se sont ouvertes laissant entrer à sa grande surprise Natanyahou ,son ministre des Finances de l'époque Dan Meridor et une delegation importante d'hommes d'affaires israeliens. Ils ont pris la parole pour dire aux Algériens qu'il n'y avait aucune raison justifiant un etat de guerre etre les deux pays ,d'ailleurs faute de frontières communes.Les israeliens leur ont dit "Israel manque d'espace mais represente un pouvoir technologique intéressant, L'Algérie, elle, dispose d'un grand espace mais d'aucune industrie technologique" Partant de ces bases les Israéliens ont proposé à la delegation algerienne de construire avec plus de 500 societes un parc industriel orienté sur la haute technologie, créant un nombre important d'emplois pour les Algériens. Il etait proposé aux Algeriens afin de reduire les susceptibilités d'enregister les societes sous des nationalites differentes . Les dirigeants algeriens ont rejeté cette proposition ne voulant pas traiter avec des "juifs". Espérons que l'article de jacques Jacques Benillouche faisant état d'un certain réalisme naissant en Algérie soit prometteur.

    RépondreSupprimer