Jean Corcos est le troisième à droite sur la photo |
J’ai eu la chance d’assister à une
conférence – donnée devant un auditoire restreint – du nouveau Secrétaire
Général de la Ligue Islamique Mondiale, le Docteur Mohammad bin Abdul Karim Al
Issa, ancien ministre de la Justice d’Arabie Saoudite. La réunion s’est tenue
dans la salle du Conseil d’Administration de l’Institut Français des Relations
Internationales (IFRI), à une date plus que symbolique puisque c’était le 13
novembre, anniversaire du massacre terroriste de 2015 commandité par le Daesh.
Mohammad bin Abdul Karim Al Issa |
Quand on sait le lien communément
fait entre l’idéologie djihadiste et la doctrine wahhabite du Royaume, quand on
a aussi à l’esprit les accusations de financement du terrorisme par des grandes
fortunes du Golfe, en Arabie en particulier, on pouvait se demander si le
public choisi allait assister à un numéro de «langue de bois»,
avec la complicité polie du public convié. Soyons clair : il n’en a rien
été, l’hôte de l’IFRI ayant volontairement choisi d’axer son exposé sur le
terrorisme islamiste – même si le terme reste tabou, dans ses propos comme il
le reste d’ailleurs dans l’ensemble du monde arabe.
Plantons le décor de cette
conférence. D’abord, la tournée du conférencier a été fortement médiatisée,
c’est ainsi qu’il a été reçu par le Pape François, et à Paris à la Cathédrale
Notre-Dame ; notre réunion a été abondamment filmée et photographiée, et
elle est déjà diffusée sur le site de la Ligue Islamique Mondiale [1]. Ensuite, elle intervenait quelques jours après la
grande purge imposée par Mohammed Ben Salman, prince héritier et fils du roi Salman. Cette purge
s’est traduite par l’arrestation et la confiscation des biens de centaines de
princes et personnalités haut placées du Royaume. Elle suivait, aussi, des déclarations
courageuses du prince héritier, disant souhaiter transformer le pays en le
modernisant, donc en s’attaquant de front au rigorisme religieux qui était la
marque de l’islam saoudien.
Mohammad bin Abdul Karim Al Issa avec le Pape |
Clairement, Mohammad bin Abdul Karim Al Issa, nommé il y a quelques mois seulement, fait partie du
nouveau clan au pouvoir. Enfin, la Ligue Islamique Mondiale [2] a été un vecteur essentiel de l’islam rigoriste
wahhabite, qui s’est répandu à travers le monde à coup de milliards de dollars :
va-t-elle changer elle aussi ? Ou n’est-ce qu’un numéro de relation
publique ? Voici les propos que j’ai pu noter, ainsi que les réponses
qu’il a données, sachant que dans l’assistance se trouvaient des personnalités
connues qui ont pu l’interroger. Précisons pour finir qu’il s’est exprimé
uniquement en arabe, avec traduction en différé par un interprète.
Le Secrétaire Général de la Ligue a
présenté son organisation comme «représentant tous les peuples
musulmans du monde» ; ses objectifs sont, selon lui, «de
lutter contre la pensée extrémiste et terroriste», en développant «la
coexistence pacifique avec les autres religions monothéistes, Judaïsme et
Christianisme». Il a évoqué les contacts internationaux et grandes
conférences où la Ligue a été moteur, comme à New-York il a quelques semaines,
en marge de l’Assemblée Générale de l’ONU.
Alors que l’on accuse cette
organisation d’avoir fait, à la fois la promotion de la doctrine wahhabite et –
parce qu’elle est basée à La Mecque – des intérêts de l’Arabie Saoudite, pour
le conférencier «elle n’a pas d’agenda en faveur d’une école
religieuse musulmane au détriment des autres». J’ai relevé son
mutisme concernant deux acteurs essentiels de l’islamisme radical, le Qatar –
avec qui tous les liens avec son pays ont été rompus il y a quelques mois – et
les Frères Musulmans, déclarés hors la loi dans le Royaume depuis 2014. Or, Samir
Amghar avait publié un article il y a quelques années [3] :
«Les politiques et les activités menées par la Ligue sont fortement
influencées par l’idéologie des Frères musulmans». La situation
a-t-elle maintenant changé ? Sont-ils exclus des fonctions dirigeantes
dans cette organisation ?
Dans le tableau des djihadistes fait
par Mohammad bin Abdul Karim Al Issa, les
volontaires venus de l’étranger et en particulier d’Europe ont une place
dominante, comme s’il n’y avait pas eu, de la Syrie à l’Irak en passant par le
Yémen, des dizaines de milliers de vocations locales. Pour lui, l’embrigadement
constaté dans les pays occidentaux s’explique par «le manque
d’intégration dans leurs sociétés», «la pauvreté»,
«la propagande du Daesh» ; «l’islamophobie a
contribué à la radicalisation». Pour lui enfin, «l’extrémisme
n’appartient pas à une école religieuse particulière», et à l’appui
de ses propos il note que les djihadistes venus se battre au Moyen-Orient, ou
ailleurs, venaient de 101 pays différents.
Le conférencier a tenu des propos par
moment positifs, et parfois moins. Ainsi il y a des objectifs que l’on ne peut
que partager : que les minorités respectent les lois et les religions de
leurs pays d’accueil ; que l’on surveille davantage Internet où la
propagande djihadiste se répand «sans visas». Il a aussi dit
– propos courageux, tant la langue de bois a été de mise, y compris parmi les
responsables des institutions musulmanes en France - «Seule la
confrontation idéologique nous permettra de gagner». C’est donc bien
un conflit à l’intérieur de l’islam et qui concerne cette religion, et non une
affaire de «loups solitaires» ou de «déséquilibrés»
comme on l’a ressassé trop longtemps. Par contre, on peut ne pas partager sa
surestimation du rôle de l’islamophobie : certes, des jeunes musulmans
peuvent basculer par sentiment de rejet et manque de culture, mais l’échec de
leur intégration n’est pas seulement dû à «une vague
d’hostilité» : la peur de l’islam, traduction littérale de l’islamophobie,
vient aussi des attentats.
Dorothée Schmid |
Interrogé par Dorothée Schmid,
responsable à l’IFRI du programme Turquie Moyen-Orient, il a présenté «ses
alliés» dans la «lutte idéologique». D’abord, deux
entités saoudiennes, «Le centre international de lutte contre la
pensée extrémiste», et «Le centre de la guerre idéologique».
Il a souligné l’importance des contacts avec les responsables politiques dans
les pays étrangers «pour connaitre l’état d’esprit des minorités
musulmanes».
Bertrand Besancenot |
Bertrand Besancenot, conseiller
diplomatique du gouvernement et ancien ambassadeur à Ryad, a eu des questions
directes, en soulignant les trois préoccupations légitimes du public en
France : financement privé du terrorisme ; rôle des médias qui
propagent un islam radical ; formation, y compris en Arabie, d’imams qui
diffusent chez nous une version extrémiste de leur religion. Sur le
financement, le conférencier a simplement dit «on a pris des
mesures» et «Daesh a beaucoup de mal maintenant à trouver de
l’argent» ; la preuve, selon lui, est le recours maintenant au «terrorisme
low cost », au couteau, à la voiture bélier, etc. Il a loué la
coopération avec les Etats-Unis dans ce domaine. A propos des télévisions du
Golfe – l’Arabie et d’autres pays sont bien concernés par leur diffusion planétaire
– il a souligné la différence à faire, à son avis, entre les «conservateurs
virulents» et les «terroristes». Ceci étant, il a
affirmé que la Ligue cherchait à propager «une pensée modérée»,
donc non «virulente» : remarquons que personne n’a
évoqué dans la salle la chaîne Al-Jazeera, pourtant interdite dans son pays.
Aucune réponse, non plus, sur la formation des imams.
Georges Malbrunot |
Georges Malbrunot, grand reporter au
Figaro, a cité le discours du prince Bin Salman, qui a dit de manière remarquée
le 24 octobre : «70 %
de la population saoudienne a moins de 30 ans et, franchement, nous
n’allons pas passer 30 ans de plus à nous accommoder d’idées extrémistes
et nous allons les détruire maintenant et tout de suite» [4]. «Quels sont les
chantiers qui sont les vôtres ? Cela concerne-t-il aussi les livres
scolaires ?» Pour Mohammad bin Abdul Karim Al Issa, «les
moyens de propager une pensée modérée concernent tout le monde : la
famille ; l’école ; la société civile» ; «Il
faudra prendre des décisions claires», et «on n’attendra pas
que tout le monde soit convaincu».
Ancien ministre des Affaires
Etrangères et également présent dans le public, Hervé de Charrette a demandé
alors : «Que signifie une vision modérée de l’islam : est-ce
qu’il s’agit de théologie ? D’organisation de la société ? De relations
internationales ?». En réponse, le conférencier a dit qu’il
fallait prendre les textes sacrés de sa religion sans en faire «des
interprétations politiques». Pour lui, «l’islam modéré prône
des valeurs morales, qui doivent être universelles ; il faut accepter la
diversité, et des points de vue différents ; il faut promouvoir des
valeurs d’entraide au-delà des races et des religions».
Marc Hecker |
Marc Hecker, chercheur à l’IFRI et
directeur de ses publications a demandé : "Comment définissez-vous l'islamophobie ? Est-ce le fait de commettre des actes anti musulmans, ou l’application des lois
de la laïcité ? » Réponse très claire, : «C’est
le fait de refuser la présence de la religion musulmane dans la société, mais
la laïcité ne s’oppose pas cette présence». Une position, donc, en
décalage avec le discours pernicieux des organisations proches des Frères
Musulmans comme le CCIF. Par contre, le conférencier n’a pas voulu associer le salafisme
– très présent dans son pays - et l’idéologie du Daesh ; pour lui,
les terroristes viennent d’écoles de pensée très différente.
Enfin le mot de la fin prononcé par
le Secrétaire Général de la Ligue m’a bien plu : intervenant une dernière
fois, Georges Malbrunot lui a demandé si les propos d’un ex-Président de la République
– qu’il n’a pas nommé - «On a un problème avec l’islam»
étaient islamophobes, il a répondu de façon lapidaire «Oui». En ajoutant, de façon inattendue : «Comme le fait de nier la
Shoah, c’est de l’antisémitisme».
[1] : http://www.themwl.org/global/fr
[2] : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligue_islamique_mondiale
[3] : https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2011-2-page-113.htm
[4] :https://www.la-croix.com/Religion/Islam/Le-prince-heritier-dArabie-saoudite-veut-retourner-islam-modere-2017-10-25-1200887088
DIRE "on a un probleme avec islam" n'a rien à voir avec la négation de la shoah
RépondreSupprimerdeux choses ordre different