ISRAËL ET LA PEINE DE MORT
Par Jacques BENILLOUCHE
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À chaque fois qu’un
terroriste ne tombe pas sous les balles de la police ou de l’armée et qu'il en réchappe, le problème
de la peine de mort se repose en Israël. Le débat vient encore de s’ouvrir avec
le Palestinien de 19 ans, Omar al Abed, blessé et soigné dans les hôpitaux
israéliens, après le meurtre qu’il a commis contre la famille Solomon de
Halamish (Neve Tsouf). Le soldat en permission qui l’a neutralisé n’a pas visé
la tête, il aurait pu, mais le ventre le laissant ainsi en vie.
Grand rabbin Yitzhak Yossef |
Fidèle à ses
prises de position extrêmes, le grand rabbin Yitzhak Yossef a consacré son
sermon en mémoire de la famille Halamish : «Dommage que le terroriste n’ait
pas été tué». Il a même reproché au soldat de l’unité Egoz de ne pas
l’avoir tué sur place et ne comprend pas pourquoi il a été seulement blessé. Pour
lui, «tout Arabe, tout terroriste, qui vient tuer, ne doit pas sortir
en vie. Il doit être tué, pas blessé».
Israël a aboli en
1954 la peine de mort qui ne peut plus s’appliquer que dans le cadre d’un «génocide,
de crime contre l’humanité, de crime de masse, de trahison ou de crime contre
le peuple juif». Depuis la
création de l’État, elle n’a été appliquée qu’une seule fois contre le criminel
nazi Adolf Eichmann, exécuté à Jérusalem le 31 mai 1962. Mais, avant la cration de l'Etat, Israël garde en mémoire l’erreur judicaire en la personne de
Meir Tobiansky dont le cas fut le plus grave et scandaleux puisque soupçonné a
tort de trahison. Il avait été exécuté par un peloton d'exécution après un procès bâclé
pendant la guerre d’Indépendance en 1948. Il a fallu plusieurs années pour que
son innocence soit reconnue et son nom réhabilité.
L’État juif adopte
ainsi une position ambivalente alors que les considérations sécuritaires sont
fondamentales dans le pays. Israël a confirmé sa position en votant pour la résolution
de l’ONU du 18 décembre 2008, impliquant un moratoire mondial sur les
exécutions. Mais les pays étrangers refusent de placer Israël parmi les pays
abolitionnistes puisqu’il existe encore, dans la loi israélienne, des cas d’application de
la peine de mort.
Les nationalistes
israéliens veulent d’ailleurs s’appuyer sur les cas précis soulevés pour exiger la peine
de mort pour les terroristes. Ils n’ont pas besoin d’un nouveau texte
législatif puisque l’interprétation est libre. Ils évitent cependant d’analyser
les raisons de la loi de 1954 fondée sur la violence insensée et sur les crimes
en rapport avec la Shoah. Mettre sur un même pied d’égalité les crimes de droit
commun, voire la violence terroriste, risque en effet de banaliser les crimes
nazis pour lesquels la loi a été votée.
Il ne semble pas que la classe politique soit en faveur de la peine de mort. L’assemblée plénière de la
Knesset du 17 juin 2015 avait rejeté en lecture préliminaire une proposition de loi
qui instituait la peine de mort pour les terroristes condamnés. Ce texte aurait rendu plus facile aux tribunaux militaires et aux districts de
condamner à mort les personnes reconnues coupables d’assassinat avec des motifs
nationalistes. Une grande majorité de la Knesset s’est opposée à ce projet
puisque seuls 6 députés ont voté en sa faveur alors que 94 autres, présents, ont
voté contre.
Israël n’a pas
choisi la voie abolitionniste pour des raisons juridiques mais par tradition et
sur la base d’une interprétation religieuse. Il est vrai que la loi religieuse reconnaît
la peine de mort comme une punition juste et indispensable mais il s’avère à
l’usage que l’application de la loi dans le cadre religieux est
limitative. Selon la tradition
rabbinique, Maïmonide au 12ème siècle avait écrit : «il est préférable d’acquitter
mille personnes coupables que de mettre un innocent à mort».
C’est pourquoi les règles religieuses sont très strictes ; deux personnes
au moins doivent témoigner du meurtre ; les proches de la victime sont
exclus des témoins admissibles ; enfin les témoins doivent avoir prévenu
l’auteur du crime de leur responsabilité et de la possibilité d’exécution.
Maimonide craignait que la mort relève uniquement du «caprice des
juges».
Maïmonide |
Ainsi, le rabbin Yossef
Edelstein de l'Université George Washington, a exprimé son opinion : «théoriquement, la Torah peut être interprétée comme étant en
faveur de la peine de mort. Il n’est pas moralement impossible de mettre
quelqu’un à mort. Cependant, les perspectives changent quand on s’intéresse à
la mise en pratique d’une législation qui semble dure. Vous n’êtes pas sans
savoir qu’il est difficile en pratique d’exécuter un être humain dans la
société juive. Je crois qu’à la lumière de la jurisprudence juive, la peine
capitale telle qu’elle est présentée dans la Torah et appliquée par les plus
grands Sages de notre religion, symboles même d’humilité et d’humanité, ne
ressemble en rien à celle qui est mise en œuvre de nos jours en Amérique. Elle
fut pratiquée en Israël ancienne une fois tous les sept ans, et non 135 fois en
cinq ans et demi».
rabbin Yossef Edelstein |
On en déduit que
la tradition rabbinique confirme les positions abolitionnistes de l’État juif et
de la diaspora juive. Les termes de la loi de 1954 sur la peine capitale reflètent en
fait l’héritage de ces coutumes.
Si Israël voulait
recourir à la peine de mort, la tradition juive et la loi de 1954 ne seraient
pas un obstacle car seules les considérations sécuritaires priment sur les
considérations morales. En effet, comme dans toutes les lois, on peut
interpréter à sa façon les textes et les expressions «crime contre le peuple juif» et «trahison» qui couvrent tous les horizons du terrorisme. Il est vrai que face au développement des actes
terroristes sanglants contre des femmes et des enfants, les
appels pour le rétablissement de la peine de mort se multiplient car certains
sont convaincus que l’échafaud pourrait avoir un effet dissuasif. Mais cela est
valable pour des personnes raisonnables, normalement constituées, et non pour des
candidats au suicide. Les jeunes terroristes savent qu’avec Israël, la mort est
certaine au bout du chemin, à de rares exceptions près, et pourtant la mort n’est pas
dissuasive.
Sigle du Shabak |
En revanche, les
services israéliens de sécurité intérieure (Shabak) sont intéressés à capturer un assassin vivant
car ils peuvent alors obtenir de précieuses informations sur le réseau, le
commanditaire, les caches d’armes et les attentats planifiés. La théorie du
loup solitaire est surfaite; les terroristes sont guidés par des gourous. Au contraire, le Shabak est persuadé de sauver
plusieurs vies juives en laissant la vie à un tueur. La mort pour lui pourrait
paraître un soulagement alors que vingt ou trente ans de prison risquent d’être
un calvaire physique et psychologique, sans compter la levée de boucliers prévisible
des nations «libres» contre des méthodes de mise à mort d’un
autre temps. Israël est suffisamment pointé du doigt dans le monde pour donner une autre
raison d’être voué aux gémonies.
Cher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerEt même en ce qui concerne la peine de mort appliquée au criminel de guerre Eichmann, cela ne s'est pas passé sans controverses.
Sans parler d'Anna Arendt qui n'a vu en lui que le pion d'une organisation criminelle qui le dépassait, qui ne faisait qu'obéir aux ordres, et dont la responsabilité était donc atténuée, il y eut cette pétition d'intellectuels pétris de philosophie qui ne se résignaient pas à voir Israël - qui devait selon eux, représenter les Juifs du monde entier - se comporter comme un état ordinaire en appliquant la peine de mort.
Très cordialement.