Discours prononcé à la préfecture de Toulon, le 16 juillet 2017, par l’Ambassadeur Alain PIERRET à l’occasion de «la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux Justes de France».
J’ai
bien connu Simone Veil, accueillie en Israël, en Belgique, souvent retrouvée à
Paris. Elle restera le modèle de la femme française. Commémorant en ce jour les
victimes du racisme antisémite, respectons en sa mémoire un instant de silence.
A
priori, naître un 16 juillet n’a rien d’exceptionnel. Qui aurait pu dire
cependant que ma carrière, ma vie, seraient profondément marquées par ceux, tel
Guy Béart, mon jumeau connu pendant nos études universitaires, que le pape
Jean-Paul II appelait «nos frères aînés» !
Au
lendemain de l’ordonnance du 7 juin 1942 imposant le port de l’étoile jaune à
tous les Juifs, ma camarade Édith arrive en classe arborant l’infâmante marque.
Quelques jours plus tard, nous ne la revoyons plus. Je ne sais ce qu’elle est
devenue. L’année scolaire se termine. La caserne des sapeurs-pompiers de la 6e
compagnie à Grenelle que commandait mon père accueille notre famille. Au matin
du 14 juillet, je suis dans la cour. À la libération de Paris il écrira : «J’ai fait hisser les couleurs au cours d’une petite "prise d’armes"
où, après avoir fait sonner par un tambour et des clairons le
"Garde-à-vous" puis "Au drapeau", je prenais la parole pour
dégager le sens de cette cérémonie. Les couleurs restaient hissées toute la
journée et étaient amenées le soir avec le même cérémonial». Interdit par
l’occupant, ce comportement sera répété en 1943 et cette fois sanctionné par
des arrêts de rigueur et une mutation en banlieue.
Capitaine Henri PIERRET |
Seize
juillet. Pensionnaires à Meaux, mes frères aînés sont partis faire la moisson
chez des camarades. À Grenelle avec mes sœurs, j’attends le déjeuner avec une
impatience croissante. Notre père arrive vers 14 heures. Il est bouleversé, un
visage que nous ne lui connaissions pas. Il nous raconte brièvement l’affolement
et le désespoir qu’il a découverts, les hurlements des enfants entendus dans ce
Vélodrome d’Hiver, l’un des trois sites majeurs de son secteur avec les usines
Citroën et un ministère de l’Air déserté depuis juin 1940.
Sans
doute appelé par un habitant du voisinage inquiet du remue-ménage qui
perturbait son quartier depuis l’aube, Henri Pierret s’était rendu sur les
lieux. Dans une relation détaillée qu’il adressa en 2007 à Madame Simone Veil,
Fernand Baudvin, dernier survivant du petit détachement de cinq sapeurs,
rapporte en détail ces instants tragiques. Ils seront repris par Roseline Bosch
dans son film émouvant sur «La Rafle».
Vel d'hiv et la police française |
Ainsi,
malgré l’opposition d’un officier de la garde républicaine, les pompiers
ouvrent les vannes pour donner de l’eau à tous ces malheureux. Nombre d’entre
eux leur remettent furtivement quelques 800 billets écrits à la hâte sur des
bouts de papiers afin d’informer parents et amis de leur sort. Le 17 au matin,
Henri Pierret convoque ses sapeurs. «Je sais ce qui vous a été donné, leur
dit-il. Voici des enveloppes, des timbres, allez les distribuer, les poster,
mais en divers endroits afin de ne pas vous faire remarquer». Combien de
ces messages de détresse sont parvenus à leurs destinataires ? À l’évidence,
infiniment peu. Mon père garde Baudvin un instant : «Je connais tes liens
avec Ruben, fais-lui passer la ligne de démarcation». Comme les 27 autres
Juifs du régiment, il avait été renvoyé chez lui quelques jours plus tôt sur
ordre supérieur. Il reviendra après la Libération.
Que
disent les archives des sapeurs-pompiers de Paris ? Sur la Rafle, sur les
tragédies survenues au Vélodrome d’Hiver, rien. Un grave incident est toutefois
rapporté dans le quartier de Belleville où vivent de nombreuses familles
juives. Inquiétés par une odeur de gaz qui s’insinue sous les portes, les
voisins appellent les hommes du feu. Sur le carrelage de la cuisine, ils
découvrent une femme et ses quatre enfants, inertes. Serge Klarsfeld
m’apprendra que son mari a été déporté par le convoi n° 4 du 25 juin. Sans
doute alertée par des amis, elle n’a pas voulu subir le même sort. Transportés
à l’hôpital, ils seront tous sauvés. Pour peu de temps en ce qui concerne
Madame Cynober. Arrêtée à son tour, elle sera envoyée à Auschwitz par le convoi
32 du 14 septembre. Comme son mari, elle n’en reviendra pas. Ainsi, ce 16
juillet 1942, 4.115 enfants furent enfermés au Vel’ d’Hiv’ par la police et
la gendarmerie, plus de 4.000 furent déportés à Auschwitz, aucun ne revint.
Statistique tragique, quatre enfants, quatre seulement – de 12, 10, 6 et 4 ans
– furent sauvés ce jour-là par les sapeurs-pompiers.
Jusqu’à
sa disparition en 1990, son passage au Vel’ d’Hiv’ a profondément troublé mon
père. Il n’avait pu supporter la détresse de ces familles, il ne nous en
reparlera jamais. Au lendemain de la guerre, il me demandera parfois de
l’accompagner au Vel’ d’Hiv’ suivre quelques rencontres sportives. Toujours
sans dire un mot.
Notre
fratrie comptait sept enfants, situation «dont il doit être tenu le plus
grand compte», selon sa feuille de notation pour le premier semestre 1941.
Par ailleurs, ce même bulletin conclut par un «À surveiller». Les
suivants préciseront : «À surveiller de très près».
Henri Pierret à Roglit en 1987 |
Tel
un pèlerin, mais avec ma voiture, j’ai débarqué le 20 juillet 1986 à Haïfa pour
un séjour de cinq ans en Israël. Émotion historique certes. Surtout, en ces
jours d’été, choc indescriptible de la découverte sur les bras d’Israéliens
d’un numéro matricule, symbole de la déshumanisation infligée par les nazis aux
victimes des camps de la mort, tel que Madame Veil le fit graver sur son épée
d’académicienne. Un an plus tard, mon père nous rend visite en Israël. Évoquant
un jour le Mémorial de la Déportation des Juifs de France édifié par Serge
Klarsfeld à Roglit au pied des collines de Judée, il voulut le voir, scruta
quelques listes attentivement, silencieusement.
En
juin 2012, la promotion sortante de l’École nationale supérieure des officiers
de sapeurs-pompiers installée aux Milles, non loin de ce beau village de Velaux
où il s’était retiré, s’est donnée le nom de capitaine Henri Pierret. Maire de
la capitale, Bertrand Delanoë a dévoilé le 18 février 2014 sur l’esplanade de
la caserne de Grenelle et en présence de ses cinq enfants encore de ce monde
une plaque à sa mémoire et à celle des sapeurs-pompiers qui l’accompagnèrent au
Vel’ d’Hiv’.
Je
vous remercie.
Ainsi donc, et le Président Macron l'a encore affirmé ce matin : c'est bien la France qui a organisé la rafle du vel' d'hiv'.
RépondreSupprimerPourquoi cette affirmation de ce tout jeune homme me dérange-t-elle autant ?
Sans doute pour la même raison que celle qui a poussé monsieur Francis Kalifat, président du CRIF, à faire un lapsus parfaitement révélateur de sa pensée profonde, dès le début de son discours officiel ?
De la plaque commémorative du Vel d'Hiv ces mots sont à retenir : "que ceux qui ont tenté de leur venir en aide soient remerciés ". Ce qui implique que Vichy représentait bien la France mais que certains français comme Henri Pierret ainsi que tous les hommes éclairés se sont honorés en refusant au péril de leur vie de se soumettre à l'ennemi devant lequel Pétain s'était couché.
RépondreSupprimerAujourd'hui Monsieur Macron a cité le nom de votre père ainsi que d'autres Justes, ces hommes et ces femmes hors du commun. Qu'il soit remercié d'avoir suivi les pas de Jacques Chirac en dénonçant la responsabilité de la France et d'une grande majorité de ses concitoyens.
Car telle fut la réalité.
Bien cordialement
Quel meilleur commentaire à faire à monsieur l'Ambassadeur que de le citer lui-même, qui avait conclu ainsi, un article du 18 février 2017, intitulé : "Macron... à reculons" :
RépondreSupprimer"M. Macron, votre recherche d'électeurs ne devrait pas vous conduire à une telle indignité. Puisque vous assurez fonder votre campagne sur la jeunesse, sur le renouveau, alors ne regardez pas en arrière. Assez de repentance, mettez vous en marche. Sans méconnaître le passé qui a fait aussi la grandeur de notre pays, essayez de tourner votre regard et votre programme vers l'avenir."
Il est vrai que ce jour-là, il ne s'agissait que d'inculquer à ce très jeune homme qui prétendait gouverner la France, une vision "plus juste et non démagogique de la colonisation" !
RépondreSupprimer@marianne Arnaud
La colonisation a eu ses bienfaits mais aussi ses méfaits par l'exploitation de l'homme.
Dans le sujet qui nous occupe , la France par l'intermédiaire de son gouvernement et avec la complicité de sa police, a livré à l'extermination ses propres ressortissants français juifs.
On peut donc discuter la culpabilité de la France envers la colonisation comme l'a écrit Monsieur l'Ambassadeur dans l'article que vous citez. En revanche la repentance est de mise s'agissant du Vel d'Hiv car le zèle de certains et le silence de beaucoup menèrent à une mort certaine des hommes, des femmes et des enfants.
Cordialement
Que répondrez-vous, chère Véronique, à ceux - et ils sont nombreux - qui considèrent qu'Israël est un pays colonisateur ? Qui vous rappelleront la résolution 2334 de l'ONU du 23 décembre 2016, qui stipulait à l'encontre d'Israël : "Cesser immédiatement et complètement toute activité de colonisation en territoires palestiniens occupés dont Jérusalem-Est" ?
RépondreSupprimerLeur répondrez-vous que la colonisation a ses bienfaits mais aussi ses méfaits par l'exploitation de l'homme ?
Quant à la repentance - et malgré le respect que je dois à monsieur l'Ambassadeur et au mérite de son père, qui fut certainement très grand - je dis résolument, à l'instar de Corto : ça suffit !
Ça suffit, pour toutes les raisons qu'il détaille sur son blog, et beaucoup mieux que je n'aurais su le faire, que vous pourrez lire en cliquant sur "A toi l'honneur" qui figure sur la droite de cette page.
Bien à vous.