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dimanche 13 novembre 2016

L'Afrique oubliée du débat électoral américain


L’AFRIQUE OUBLIÉE DU DÉBAT ÉLECTORAL AMÉRICAIN
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
Bases étrangères en Afrique

De nombreux sujets n’ont pas été abordés durant la campagne électorale puisque les candidats se sont focalisés sur les problèmes intérieurs. Beaucoup de questions restent ouvertes parce qu’on attend des réponses précises qui ne viendront que lorsque Donald Trump aura constitué son gouvernement. Certes, les relations internationales ne sont pas son fort ; il montre de sérieuses lacunes, ou plutôt un désintérêt, dans ce domaine. Ainsi par exemple l’Afrique a été totalement absente du débat électoral alors qu’il s’agit d’un continent en mutation depuis les révolutions.




L’Afrique a été longtemps la vache à lait des Occidentaux qui l’ont pillée. Elle fait face à une démographie galopante qui pourrait être bénéfique quand on sait que le tiers de la population est une jeunesse active. Pour l’instant, l’Afrique bénéficie peu de l’innovation, des développements technologiques, des nouvelles universités et des créations de startup. Pourtant une classe moyenne a émergé en Tunisie, en Égypte et en Libye à la faveur des révolutions et elle veut prendre sa part de modernisme et d’éducation. Mais pour l’instant, l’Afrique n’est pas aidée et son avenir dans le monde moderne est compromis.
            On imagine toujours l’Afrique à travers les images de pauvreté. Mais ses problèmes peuvent devenir des atouts. En effet, la démographie est un élément positif qui accroît la consommation donc la part de population active. D’inconvénient, cela devient une chance si la population est mieux formée, mieux nourrie, mieux soignée et mieux gouvernée. À terme l’Afrique pourrait devenir excédentaire sur le plan économique car les matières premières exportées sont de plus en plus chères et les produits industriels importés moins coûteux. Enfin, signe d’évolution positive et de confiance, les capitaux entrants sont supérieurs aux flux de capitaux sortants.
            Ni Clinton et ni Trump n’ont montré d’intérêt vis-à-vis de ce continent qui pourrait pourtant sauver les économies occidentales. Aucune stratégie n’a été définie par le président élu sinon la volonté de désengagement des États-Unis des affaires du monde. Les Africains redoutent les effets de «l’Amérique d’abord» d’autant plus qu’ils sont convaincus que le nouveau président ignore tout de l’Afrique et de ses préjugés.  Pendant la campagne durant laquelle tous les excès étaient permis, Trump avait eu quelques propos racistes : «certains Africains sont des imbéciles paresseux, tout juste bon à manger, faire l’amour et voler. La plupart des pays africains devraient être colonisés pendant des siècles. L’Afrique du Sud est un amalgame criminel prêt à exploser».
Fils Trump

Pour lui, l’Afrique est symbolisée par la chasse au gros gibier au Zimbabwe, comme le montrent les nombreuses photos de ses fils exhibant des trophées. Ce n’est pas avec ce genre de commentaire que le nouveau président aura les faveurs des dirigeants du continent africain. Il est donc fort probable que la politique africaine jouira d’une large continuité après l’administration démocrate. Obama s’était rendu quatre fois en Afrique et avait été le premier président américain à s’exprimer au siège de l’Union africaine. Il avait aussi organisé, en août 2014 à Washington, le premier sommet États-Unis/Afrique avec le plan «Power Africa» pour l’électrification du continent.
Fils Trump au Zimbabwe

            Si Trump persiste dans sa politique isolationniste tendant à réduire l’aide au développement et à la migration africaine aux États-Unis, alors de sérieuses répercussions pourront voir le jour à propos de la paix et de la sécurité en Afrique. Le commerce entre l'Afrique et les Américains connaît un net ralentissement puisque le chiffre d’affaires est tombé de 100 milliards de dollars en 2008 à 52 milliards en 2014, avec un déficit défavorable pour les États-Unis. Trump, ayant prévu de renégocier les accords commerciaux internationaux, les pays africains se sentent visés avec le traité Agoa (Africa Growth and Opportunity Act) signé en 2000 pour exonérer de taxes l’importation de produits africains.
Il sera difficile de revenir sur ce traité puisque la majorité républicaine du Congrès vient de reconduire l’AGOA jusqu’en 2025. Les produits qui ont des chances d’accéder au marché américain sont composés de produits d’artisanat et de produits agricoles. Trump pourrait aussi réduire les aides au développement.  Les Africains sont en droit de s’inquiéter pour l’aide de 10 milliards de dollars versée par l’USAID à l’Afrique au titre du développement économique et pour le programme Millenium Challenge Account qui risquent de passer à la trappe avec Trump.
Migrants africains aux Etats-Unis

Il pourrait aussi donner un coup d’arrêt à l’immigration puisqu’il veut interdire «l’entrée des musulmans aux États-Unis» sachant que plus de 30% de la population subsaharienne et la majorité de la population d’Afrique du Nord sont d’obédience musulmane. Enfin Trump a prévu l’expulsion de 11 millions de sans-papiers, dont 1.830.000 Africains qui vivent aux États-Unis. Leur retour serait catastrophique pour les pays africains.
            Rien n’a été dit par Trump sur la présence militaire américaine en Afrique, à part sa volonté réitérée de non interventionnisme. Les Américains disposent d’une soixantaine d’installations militaires à travers 54 pays mais ils ne reconnaissent officiellement que la base militaire de Djibouti avec ses 4.000 hommes qui participent aux opérations menées contre les Shebabs en Somalie, et contre les pirates du golfe d’Aden. Enfin les 3.600 hommes de l’Africom participent à des missions de l’ONU.
Base américaine Agadez au Niger

L’Afrique consomme 23% du budget militaire américain, indispensable pour lutter contre le terrorisme islamique. Seuls les experts du Pentagone pourront convaincre Trump de l’intérêt de la présence américaine en Afrique qui se caractérise par la mise en place de conseillers de défense au Kenya, en Centrafrique, en Ouganda, au Sénégal, au Mali, au Niger et au Ghana. Les États-Unis peuvent à tout moment déployer des forces plus importantes en cas de besoin. Mais les militaires américains se limitent à des missions de formation et surtout de renseignement, grâce à des drones, en collaboration avec les forces françaises.
Nul n’est à présent capable d’évaluer les conséquences de l’élection de Donald Trump sur tout ce dispositif. Il n’a rien précisé au cours de sa campagne mais il est certain que l'armée américaine se chargera de rappeler au nouveau président les intérêts stratégiques des États-Unis. Pour l’instant on ne connaît pas qui, parmi l’entourage de Trump, est spécialiste des questions africaines. Il est probable qu’il se contentera des membres actuels du bureau Afrique du département d’État ou du Pentagone. Il faut dire qu’il y a peu d’écart idéologique entre Démocrates et Républicains à ce sujet. Stupeur et sidération en Afrique, où l’on s’attendait à la victoire d’Hillary Clinton. Mais l’on respire, dans les palais présidentiels de Kinshasa ou de Bujumbura. D’autres dirigeants africains, ceux qui étaient sous pression de l’administration Obama pour améliorer leur gouvernance, se sont ouvertement réjouis du résultat. 

Chine en Afrique


Seule la Chine pourrait pousser Trump à s’intéresser plus encore à l’Afrique. Il avait adopté une attitude de confrontation vis-à-vis de la Chine, parce que les Américains sont conscients d’être très en retard devant l’offensive chinoise en Afrique, tant en ce qui concerne le secteur économique que l’accès aux matières premières. 
 Mais Trump est un homme d’affaires pragmatique et il saura sauvegarder les intérêts américains avant tout. Les Américains ont abandonné le Moyen-Orient aux Russes, ils commettraient une erreur s’ils confiaient l’Afrique à la seule Chine.

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