L’ESPACE EXIGU D’UN GRAND CENTRE ISRAÉLIEN
Par Jacques BENILLOUCHE
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Lapid à Ashdod |
Ariel Sharon et Tomy Lapid, père de Yaïr |
Il existe une sorte de malédiction qui pèse sur les tentatives
centristes en Israël. Pourtant, aujourd’hui comme hier, face à l’effondrement prévisible
des travaillistes, nombreux sont ceux qui pensent qu'un nouveau centre, sous l’impulsion de Yaïr Lapid, reste la seule alternative au
régime de droite de Netanyahou. Mais il n’est pas le seul à choisir cette voie qui est aussi convoitée
par Moshé Yaalon, Ehud Barak, Tsipi Livni et l’ancien chef d’État-major Gaby Ashkénazi.
Pour l’instant, les sondages placent Lapid en tête de
tous les dirigeants capables d'être premier ministre mais les sondages ne sont
pas des votes réels et ils se trompent souvent. Il est vrai que le souhait de changement est fort auprès des
électeurs depuis que le Likoud a été cédé aux mains des nationalistes et que
Netanyahou a offert une voie royale aux orthodoxes religieux. C’est pourquoi Lapid
a choisi la stratégie de ni-droite, ni-gauche, et il vise les déçus de tous
bords parmi les Juifs religieux et laïcs, les sympathisants de gauche et même
parmi les habitants des implantations qui pour certains, ont choisi cette voie
non pas par idéologie, mais par intérêt économique.
Shimon Péres et Lipkin-Shahak |
Mais les sondages israéliens sont peu fiables. Sans aller
trop loin dans l’histoire centriste, la tentative de 1999, celle
de l’ancien chef d’État-major, Amnon Lipkin-Shahak, avait été vouée à l'échec. La situation politique d’alors était pratiquement
similaire à celle de 2016 comme si l’Histoire bégayait. Après avoir
quitté l'armée, il avait exprimé des opinions pacifistes et avait sévèrement
critiqué le Premier ministre d’alors, Benjamin Netanyahou. Il avait donc appelé à la création d'un parti centriste incluant des représentants de tout le
spectre politique.
Son diagnostic fut sévère et d'actualité : «Le Parti travailliste seul ne sera pas en mesure de parvenir à la paix en raison de l'image de gauche qui lui est attachée, tandis qu'un nouveau parti centriste qui inclurait des forces de droite pourrait réussir». Mais les résultats n'avaient pas suivi les sondages qui lui prédisaient 30 sièges alors qu’il n’obtint que 6 députés sur 120 aux élections du 17 mai 1999. Le parti, artificiellement créé, explosa d’ailleurs à la fin de la législature.
Son diagnostic fut sévère et d'actualité : «Le Parti travailliste seul ne sera pas en mesure de parvenir à la paix en raison de l'image de gauche qui lui est attachée, tandis qu'un nouveau parti centriste qui inclurait des forces de droite pourrait réussir». Mais les résultats n'avaient pas suivi les sondages qui lui prédisaient 30 sièges alors qu’il n’obtint que 6 députés sur 120 aux élections du 17 mai 1999. Le parti, artificiellement créé, explosa d’ailleurs à la fin de la législature.
Netanyahou, Olmert, Sharon et Péres |
Les électeurs sont souvent conservateurs face aux urnes
et préfèrent éviter l’aventure en revenant à leurs fondamentaux. De leur côté,
les partis s’identifient à un homme et non à ses idées. Ainsi, à la mort d’Ariel
Sharon, Kadima n’a obtenu en 2009 que 29 mandats sans possibilité réelle de
bâtir une coalition viable. Et pourtant il existe bien un vote centriste en
Israël qui n’arrive à s’exprimer qu’en présence d’un leader charismatique.
Aujourd’hui, l’opinion publique israélienne a viré à
droite, voire à l’extrême-droite. Yaïr Lapid est conscient du défi auquel il
doit faire face. Il a fait le choix de s’attacher à des thèmes fédérateurs sans
se fourvoyer sur les solutions diplomatiques non consensuelles.
Ainsi le président de Yesh Atid a dévoilé, le 18
septembre 2016, son plan en sept points quand il a vu les résultats de nouveaux
sondages qui le placent avant le Likoud. Le programme de Lapid concernait la
sécurité, les alliances stratégiques, la diplomatie régionale, la révision et
le nettoyage de la politique, le renforcement de l'application de la loi,
l'économie et la promotion de la science et de l'éducation. Vaste programme qui
met cependant en sourdine le sujet clivant des négociations avec les
Palestiniens, au profit des problèmes de la société israélienne.
Sur la sécurité, Lapid a critiqué la guerre de 2014 à
Gaza en estimant que «l'armée israélienne ne doit pas se perdre dans des
campagnes prolongées. 51 jours d’opérations étaient trop longs. Une guerre tous
les deux ans c’est est trop Nous devons nous efforcer de mener des campagnes
courtes et puissantes avec des gains tangibles».
Sur le plan diplomatique il veut qu’«Israël mette en action une initiative régionale de paix qui devrait inclure l'Arabie Saoudite,
l'Égypte et les pays du Golfe - toutes ces nations qui sont menacées par l'Iran».
Pour atteindre cet objectif, il envisage d’organiser une conférence régionale
dont le «premier objectif serait d'installer un mécanisme pour la
reconstruction de Gaza en échange de sa démilitarisation ».
Sur le plan interne, il envisage de sérieux efforts pour
lutter contre la corruption et soutiendra toute législation qui empêchera des criminels
de devenir ministres, députés ou maires. La loi israélienne ne prévoit pas
cette limitation.
Mais depuis quelques jours il semble que la concurrence
s’exprime pour le leadership du centre avec des revenants politiques que l’on
croyait déjà promus au musée de l’Histoire. Ehud Barak et Tsipi Livni ont
effacé les griefs qui les séparaient pour se retrouver à une session de la
Clinton Global Initiative (CGI) qui s’était tenue en marge de la 71ème
session de l’Assemblée générale de l’ONU. La CGI fait venir des membres
provenant des quatre coins du monde pour traduire les bonnes idées en résultats
concrets sur le terrain.
Barak et Livni s’inquiètent cependant de l’ascension du «jeunot»
de la politique qui piétine leurs plates-bandes. Ils en sont à réclamer des
primaires centristes pour éviter un combat fratricide destructeur mais cela
n’entre pas dans la stratégie de Lapid. Il a fait comprendre qu’il n’est pas
question pour lui de s’associer avec ces deux anciens dirigeants démonétisés. Il s’agit peut-être d’une tactique temporaire
car on ne voit pas l’émergence d’un grand parti centriste sans ceux qui ont
fait les beaux jours travaillistes ou centristes. Par ailleurs, l’ancien
ministre de la défense, Moshé Yaalon, n’a pas encore fait son choix, ni Gaby
Ashkénazi qui à eux deux représentent la caution sécuritaire pour tout nouveau
parti qui veut ratisser large.
Yaalon, Lapid et Livni |
Mais l'évolution stratégique de Lapid inquiète les
laïcs qui se sentent abandonnés par les dirigeants politiques israéliens alors
qu’ils représentent un matelas de voix non négligeable. La crise du travail durant le
Shabbat dans les chemins de fer a pourtant montré qu’ils savaient se mobiliser
et faire intervenir la Cour Suprême pour annuler une décision ministérielle.
Mais l’homme qui a toujours combattu la coercition religieuse des orthodoxes a
mis une pédale douce puisqu’il n’est pas intervenu sur le sujet. Les laïcs ont
été attristés par son silence et l’interprètent comme une volonté de ne pas se
couper du milieu orthodoxe qui pourrait apporter son soutien à une éventuel
gouvernement de coalition.
Il est vrai que Lapid ménage l’avenir et qu’il avait déjà
fait appel, aux élections de 22 janvier 2013, au rabbin orthodoxe Dov Lipman qui avait été élu sur sa liste à la Knesset. Par ailleurs, le ministre de l'Intérieur et
chef de file du parti orthodoxe sépharade Shass, Arie Déry, a reconnu sur les
ondes de Kol Israël qu'il n'était pas impossible que sa formation entre dans un
gouvernement dirigé par Yaïr Lapid. Enfin, il compte surfer sur la pression des ultra-orthodoxes, du Shass en particulier,
qui envisagent d'ajouter de nouvelles activités publiques à leur liste
d’interdiction. Mais cette position ambigüe et hésitante déçoit beaucoup de ses partisans.
Ils ne comprennent pas que le thème anti-orthodoxes, qui a fait de lui une
vedette politique, soit remisé au rayon du passé, pour des calculs politiques.
L’ancien ambassadeur d’Israël, Arie Avidor, est sceptique sur l’avenir d’un nouveau centre : «les autres forces politiques, les ultra-orthodoxes et les nationaux-messianiques, membres de la coalition, la gauche qui ne représente plus qu'un peu moins de 15% et un centre amorphe (20%) regroupé derrière Lapid. Il faut bien se rendre à l'évidence que le rêve sioniste a été kidnappé, dérouté et dépravé par une coalition politique des forces populistes, ultraorthodoxes et nationales-messianistes qui ont exploité à leur profit un système électoral inadapté, le scrutin à la proportionnelle intégrale».
Quand la droite est usée et la gauche discréditée, une nouvelle force finit par émerger. C'est pourquoi Lapid est au contraire le prochain PM, en tous cas c'est Yesh Atid qui fera la majorité ou la défera. Avec la fin du mandat d'Obama, que Bibi a contenu avec une grande maestria pendant 8 ans, l'électeur israélien sent qu'il faut maintenant un peu d'air frais. Lapid remplira non pas l'espace traditionnel du Centre mais un besoin de faire le ménage de Pessah dans les institutions.
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