LES JUIFS DE CORFOU
Par Jacques
BENILLOUCHE
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La visite de la synagogue de Corfou, avec la plaque commémorative de la naissance en 1895 d’Albert Cohen suivie de son émigration à l’âge de cinq ans, a posé le problème des Juifs de Corfou. Bien sûr, l’écrivain avait raconté dans le détail les péripéties de la vie de sa famille mais l’occasion nous était donnée de situer l’histoire des Romaniotes, ces Juifs présents en Grèce depuis le VIe siècle av. J.-C. L’histoire des Romaniotes est peu connue. Au cœur de la Grèce, ils formaient depuis deux millénaires une communauté juive hellénisée. Parlant le grec et le yévanique, un dialecte mélangeant le grec et l’hébreu, ces Juifs ont subi l’antisémitisme et la Shoah et ont payé un lourd tribut puisque 87 % d’entre eux ont été exterminés dans les camps de la mort.
Corfou
n’a pas attendu les nazis pour subir des exactions antisémites puisque, déjà à
la fin du 19ème siècle, la violence antijuive s’était déjà établie.
Cela avait commencé à la suite de l’assassinat d’une jeune fille juive dans une
résidence de Corfou. Le 1er avril 1891, Rubina âgée de 8 ans, fille de Vita
Sarda, avait quitté sa maison du quartier juif pour jouer mais son corps fut
retrouvé dans un sac. Différentes rumeurs s’étaient alors répandues dans la
presse accusant les Juifs d’assassinat rituel. Des bruits avaient circulé que la
jeune fille assassinée était chrétienne et que son sang avait été prélevé par
les Juifs pour fabriquer leur Matzot de Pessah.
À
partir de ce moment, les Juifs ont été harcelés, frappés, et menacés dans leur
quartier pour les forcer à abandonner leur pays. Ceux qui fuyaient ont été poursuivis
jusqu’à leur embarquement sur des navires en partance pour les pays
étrangers. Ce fut le cas de la famille
d’Albert Cohen. Toutes ces actions anti-juives se sont produites en présence de
force de l’ordre passives. En effet, les policiers avaient un rôle de
commissaires-priseurs officiels sur le marché central, où se vendaient les
biens qu'ils avaient achetés à des Juifs, à des prix fortement réduits. Le
bruit des exactions s’était répandu à travers toute l’île ce qui poussa une
grande partie de la communauté juive, la plus importante des îles Ioniennes, à
émigrer. Ce fut l'un des événements antisémites les plus importants de l’histoire
grecque. La «bonne Corfou, l'île douce, qui est admiré par tous ceux qui
visitent pour la beauté de sa nature, pour la sérénité de ses coutumes, de sa
civilisation et son humanitarisme qui rendent l'île une exceptionnelle endroit
pour vivre» s’était transformée en un théâtre d'une véritable guerre
civile. Et pourtant la présence juive à Corfou avait une longue histoire.
Le
plus ancien témoignage de la présence juive sur l'île nous vient de Benjamin de
Tudela, qui en 1147 avait visité l'île et avait rencontré un habitant juif
alors que l'île était sous la domination du roi Roger II de Sicile. Au cours du
13ème siècle, lorsque Charles Ier d'Anjou régnait sur Corfou, de
nombreux Juifs y résidaient déjà. Pendant le règne angevin (1267-1386), la
position des Juifs de Corfou fut pitoyable, selon les historiens, mais moins
que celle des Juifs dans les autres pays européens.
Pendant
plus de quatre siècles (1386-1797), Corfou passa sous la domination des
Vénitiens, qui eurent un comportement équivoque et instable envers les Juifs.
Face aux graves difficultés financières de l’île, des mesures exclusives avaient
été imposées aux Juifs pour leur extorquer une aide financière et pour les forcer
à apporter leur soutien pendant le siège de l'île par les ottomans en 1716.
Entre
le XIe et XIVe siècle, des Ashkénazes fuyant les persécutions étaient arrivés
en Grèce. Au cours de la domination vénitienne, beaucoup de Séfarades, persécutés
en 1492 par le roi Ferdinand et la reine Isabelle d'Espagne, se sont joints aux
Juifs de l'île. Ils ont imposé leur langue, le judéo-espagnol, aux autres Juifs
qui parlaient le judéo-grec ou le yiddish. Un plus grand groupe de réfugiés
juifs, expulsés des Pouilles en 1540 par Don Pedro de Tolède, vice-roi de
Naples, étaient venus grossir la communauté de Corfou. Les Juifs espagnols et
italiens nouvellement arrivés ont alors construit leur propre synagogue, dans
laquelle l'élément italien était prédominant. Mais comme il se doit dans le
monde juif, les deux synagogues, l'ancienne grecque et la nouvelle, entrèrent
en conflit permanent.
Mais
sous la pression des Chrétiens, les Vénitiens établirent des lois sévères pour
les Juifs de l'île qui furent obligés de porter un signe distinctif. Il fut interdit aux Juifs de posséder ou d’acheter des terres. Les Vénitiens ont essayé de ghettoïser
les Juifs, sans beaucoup de succès, en appliquant en 1622 une loi leur interdisant d’abandonner leur district sans autorisation. Malgré cela, les Juifs de
Corfou, comme ceux des autres îles Ioniennes, réussirent à survivre et même à prospérer
pendant la domination vénitienne. Ils ont contribué au développement de la vie
financière de l’île.
Il
a fallu attendre le règne des Français (1797-1799 et 1806-1814) pour que les
Juifs acquièrent des droits politiques selon les règles établies par la
Révolution française mais ils les perdirent aussitôt sous la domination
britannique (1815-1864). Les Juifs avaient alors perdu leur droit de
vote ; ils furent interdits de plaider devant les tribunaux et furent
exclus de la vie politique.
Cette
haine a été fondée sur le fait que les Juifs détenaient des sortes de banques
de prêts et qu’ils étaient de riches marchands.
En 1864, les îles Ioniennes furent annexées par la Grèce. Les Juifs
récupérèrent alors des droits égaux. Le roi George de Grèce adopta une attitude
tolérante à l'égard de la population juive de Corfou et avait tissé une relation
particulièrement chaleureuse avec le Grand rabbin Moise Levy.
Une
grande partie des Juifs avait déjà quitté l'île. Sur un total de 5.000, 2.000 à
3.000 Juifs émigrèrent vers la Grande-Bretagne, l'Autriche, l'Italie, la Grèce,
la France et Athènes ainsi que dans des régions sous domination de l'Empire
ottoman, principalement Smyrne et Constantinople. Il est certain que la
communauté juive de Corfou, l'une des plus importante de l'État grec, a été
rétrécie sur le plan démographique, financier et culturel et n’a jamais plus
retrouvé le lustre d’antan.
Dans
la première partie du XXe siècle, Salonique est «le cerveau et le cœur»
du sépharadisme. Le centre-ville est en 1912, entièrement juif. Les enseignes
sont écrites en langue hébraïque. Les Juifs sont à la tête des grandes
entreprises industrielles et commerciales. Il en est de même dans plusieurs
centres du pays comme Arta, Jannina, Prévéza, alors que dans îles, ils
partagent la pauvreté des autres habitants. Dès le début du XXe siècle, les
Juifs de Salonique commencent à émigrer. Les lois grecques de 1882 et de 1914
permettent aux communautés juives de s'organiser, de chômer le samedi et les
jours fériés juifs, de prélever des taxes sur les produits casher, d'utiliser
pour les livres de compte le judéo-espagnol ou le français, la langue de
l'éducation à Thessalonique, nom donné par les Grecs à Salonique après
l'annexion de la ville.
En
1917, un incendie détruit le centre-ville de Thessalonique, les écoles, les
synagogues sont ravagées par le feu. Les bâtiments emblématiques de la ville
sont réduits à néant. Une partie de la population se retrouve paupérisée. Le
gouvernement grec de Venizélos cherche par ailleurs à helléniser la ville de
Thessalonique mais en raison de leur résistance, les Juifs sont en but à une
véritable politique antisémite. La crise de 1929 touche les diverses industries
de la ville. La communauté juive se divise alors entre sionistes et «alliancistes»
qui prônent une politique d'assimilation à la Grèce. Contrairement au reste de
la Grèce, les Juifs de Thessalonique sont victimes d'antisémitisme. Une ligue
antijuive est fondée en 1930. Sa presse accuse les Juifs d'être à la fois des
communistes et de s'enrichir aux dépens du peuple grec. L'agitation antisémite
est à l'origine d'un pogrom en 1931 qui entraîne un exil important des Juifs.
Entre 1932 et 1934, près de 10.000 d'entre eux émigrèrent en Palestine portant à 40.000 le nombre total de Juifs ayant quitté Salonique depuis 1902.
Déportation des Romaniotes de Ioannina, 25 mars 1944 |
En
avril 1941, les Allemands envahissent la Grèce. Ils occupent la Macédoine où se
trouve la ville de Thessalonique dans laquelle vivent 56.000 des 79.950 Juifs
que compte la Grèce. Le 6 février 1943, Dieter Wisliceny et Aloïs Brunner arrivent
à Thessalonique pour organiser la déportation en créant trois ghettos où sont
entassés les Juifs et en confisquant les biens des Juifs. Les maisons juives
laissées à l'abandon sont immédiatement pillées.
Le
15 mars 1943, le premier train part pour Auschwitz et les déportations se
succèdent jusqu'en août 1943. À ce moment-là 48.533 juifs avaient été déportés dont
37.787 gazés dès leur arrivée. Fin août 1943, la ville de Thessalonique est
déclarée Jude rein. Entre 3.000 et 5.000 Juifs sont parvenus à s'enfuir vers la
zone italienne.
En
tout 87% de la population d'avant-guerre fut exterminée. Depuis, l’histoire
grecque élude le sort des Juifs. Les communautés juives ont pratiquement
disparu. La communauté romaniote de Ioannina (Jannina) ne compte plus qu'une
trentaine de membres, celle de Vólos 104 membres, celle de Chalcis en Eubée,
beaucoup plus vivante regroupe 35 familles. À Corfou le seul vestige juif est
la synagogue fermée.
Cher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerImpossible à la lecture de ce bel article, de ne pas songer que le même sort est réservé aux Chrétiens d'Orient d'aujourd'hui qui, est-il besoin de le rappeler, ne sont que les descendants de ces premiers Chrétiens qui sont à situer dans le cadre du judaïsme présent sur tout le pourtour du bassin méditerranéen dès avant notre ère.
Très cordialement.
Bonjour,
RépondreSupprimerPuisque vous parlez des Juifs dans les Balkans, pouvez-vous nous parler des Juifs de Bosnie et de Sarajevo ?
Merci.
RépondreSupprimer...BONJOUR ,
...Il y a , de cela , une vingtaine d'années à l'occasion d'une croisière en Méditerranée . Une escale -- un Samedi matin -- à CORFOU .
...Remontant une rue commerçante j'ai aperçu sur ma gauche une rue perpendiculaire portant nom "" Rue de le Synagogue "" . Je m'y suis engouffré . A une 20taine de mètres une très belle synagogue ouverte toute éclairée . Mettant ma kipa j'y suis entré en embrassant la MEZOUZA . Un couple de personnes âgées s'est présenté comme les Concierges-Gardiens . Quelques mots échangés en français puis est entré un groupe de 6 à 7 personnes . Des touristes juifs de Turquie ,
...QQ échanges nous ont appris que TOUTE la population juive de CORFOU avait été déportée .
...J'ai demandé aux gardiens s'ils avaient une bouteille de vin casher et j'ai sollicité le concours de TOUS pour réciter le KIDDOUSH du Samedi midi ,
...Ca reste un MERVEILLEUX souvenir ,
...J'ai demandé aux autres touristes de mettre -- à mon image -- la main à la poche pour remettre plusieurs dollars aux gardiens . Ca a été fait ,
...Par la suite : Autres croisières en Méditerranée et toujours Q Q bouteilles de vin Kasher que je remettais aux escales lors de visites de synagogues ,
...Même chose , en visite à CUBA , où j'étais invité à dîner au centre communautaire un Vendredi soir . j'avais remis deux bouteille de vin kasher . Dîner que je ne pouvais pas honorer . C'était il y a une dizaine d'années ,
Jacques Roger BENILLOUZ
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Bonjour,
RépondreSupprimerMerci pour l'article, vous oublier de mentionner le cimetière juif qui est toujours la intact, situe juste a la sortie de la ville, a cote du cimetière catholique et Orthodoxe.