L’EGYPTE VEUT REDEVENIR LEADER ARABE AU
MOYEN-ORIENT
Par Jacques BENILLOUCHE
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La place est à
nouveau libre. Après les déboires avec son armée et avec la Syrie, Erdogan aura du mal à
prétendre au leadership du monde musulman. Il en rêvait au point de sacrifier
son alliance avec Israël pour rejoindre le monde arabe alors en ébullition. La
révolution de 2011 a fait tomber Moubarak et sa mainmise incontestable sur les
pays arabes. Al-Sissi estime à présent qu’il doit redonner à l’Égypte son
lustre d’antan en lui rendant sa place de leader du monde arabo-musulman. Mais il estime que cela passe par le conflit israélo-palestinien.
Choukry-Netanyahou |
Le
voyage, le 10 juillet, du ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Choukry,
premier à fouler le sol israélien depuis 2007, entrait dans cette stratégie. Le
président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi avait anticipé ce voyage dans un
discours, le 17 mai, à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle centrale
électrique d’Assiout qui va donner plus d’autonomie au pays. Les plus hauts
dignitaires égyptiens étaient présents pour l’occasion et le président égyptien
en a profité pour donner sa propre vision de la région. Il avait alors déclaré
que «les Palestiniens et les Israéliens ont une réelle opportunité pour
parvenir à la paix».
Il a affirmé que
les différentes parties, y compris les États-Unis, la France et les pays
arabes, doivent conjuguer leurs efforts pour parvenir à un accord qui sera
bénéfique à la fois aux Palestiniens et les Israéliens : «Je dis aux
Israéliens qu'il y a une réelle opportunité de parvenir à la paix et l'Égypte
est prête à déployer tous les efforts nécessaires pour résoudre le conflit de
longue date». Sissi a réaffirmé l'engagement de son pays à la solution à
deux États. Ce discours a été prononcé quelques jours après la visite au Caire
du président palestinien Mahmoud Abbas qui avait salué le rôle de l'Égypte dans
le soutien du processus de paix et des droits du peuple palestinien.
La visite de Sameh
Choukry en Israël entrait dans le cadre d’une stratégie plus large visant à instaurer
une paix juste et globale entre les parties israélienne et palestinienne. Il
avait déjà porté son message aux dirigeants palestiniens de Ramallah le 29
juin. Mais il n’a pas été suivi par
toute la classe politique égyptienne, toujours frileuse quand il s’agit
d’Israël. Elle a d’ailleurs exprimé sa colère face à ce qu’elle a appelé l’aveuglement
d’Al-Sissi dans sa façon de tenter de résoudre la question palestinienne. En
effet, la conférence commune entre Netanyahou et Choukry, ainsi que le dîner
officiel, ont eu lieu à Jérusalem ce qui pour certains représentait une faute
puisque cela était interprété comme une reconnaissance implicite de Jérusalem
comme capitale d’Israël. Les Égyptiens ont aussi peu apprécié que Netanyahou laisse
publier une photo de Choukry dans sa résidence officielle en train de regarder
le match de l’Euro 2016 entre la France et le Portugal. Cela affichait une certaine complicité, sinon
une réelle intimité. D’ailleurs le député Mustapha Bakri a réagi en exigeant
des explications officielles sur cette rencontre privée, venant après une
rencontre avec une délégation de dirigeants communautaires juifs américains en février.
Certains voient
dans l’initiative d’Al-Sissi une volonté de se substituer aux Américains alors
que Barack Obama est en fin de mandat et que les yeux sont actuellement fixés
sur l’élection présidentielle du 8 novembre. Après la révolution égyptienne de
2011, qui a forcé l’Égypte à négliger le conflit israélo-palestinien, Al-Sissi
veut insérer à nouveau la cause palestinienne dans les préoccupations de son
pays. Mais beaucoup de scepticisme existe car le conflit est constitué de
plusieurs couches disparates qui compliquent toute solution dans un
environnement où de nombreuses puissances régionales sont impliquées.
Al-Sissi et
l’Égypte veulent s’attribuer la responsabilité de la cause palestinienne qui
n’est pas spécifiquement arabe ni a fortiori européenne comme le laisse croire
l’initiative française. Mais le conflit palestinien n’est pas la seule préoccupation
de Sissi. La situation sécuritaire dans le Sinaï lui fait craindre un été chaud
face aux nombreuses violations du cessez-le-feu. L’Égypte ne veut pas d’une
nouvelle guerre à Gaza qui pourrait déborder au-delà des frontières d’Israël.
Il est donc de l’intérêt d’Al-Sissi de jouer à nouveau un rôle modérateur dans
la région après en avoir été absent. Une victoire en politique extérieure rejaillirait
sur l’ensemble de la situation en Égypte. Il est fort probable que cette action
de concertation ait été coordonnée avec l’Arabie saoudite qui, depuis
longtemps, tient à organiser un large front pour contrer les menaces
iraniennes.
Mais Al-Sissi sait
que l’avenir de ces négociations incombe uniquement au gouvernement israélien
et non pas à une initiative internationale. En particulier la poursuite des
constructions dans les implantations est, selon lui, un élément défavorable à
un partenariat israélo-égyptien. L’Égypte, qui veut mettre fin à son déclin,
veut par ailleurs écarter la Turquie et l’Iran pour reprendre son rôle central
au Proche-Orient après avoir laissé un vide après la révolution de 2011.
Les questions
sécuritaires ne sont pas étrangères à l’évolution de la stratégie égyptienne. Le
Sinaï est infesté de terroristes djihadistes ayant prêté allégeance à
Daesh. Ils lancent de manière régulière
des attaques sanglantes contre les forces égyptiennes qui ont besoin des Israéliens
pour les renseignements satellitaires, faibles en Égypte, et pour une aide
concrète avec leurs drones militaires. L’armée égyptienne essuie de lourdes
pertes au Sinaï; au moins 70 soldats ont été tués dans la péninsule du Sinaï. Avec
l’accord des Égyptiens, Tsahal a d’ailleurs lancé plusieurs attaques de drones contre les terroristes opérant dans la péninsule du
Sinaï. Les deux pays ne font plus aucun secret de leur coopération sur les
opérations militaires conjointes car les Frères musulmans n’ont pas désarmé et
se sont liés aux djihadistes de l’E.I, de Jabhat al-Nosra ou d’Al-Qaïda pour
bouter l’armée égyptienne hors du Sinaï. Israël a
autorisé l’Égypte à gonfler ses effectifs militaires au Sinaï tout en gardant
la main sur les mouvements de terroristes au Sinaï.
Véhicule égyptien blindé |
Le chef d'État-major adjoint de Tsahal, Yaïr Golan, a révélé
la collaboration sans précédent des services secrets israéliens avec ceux de l'Égypte
et de la Jordanie : «Nous ressentons fortement le besoin de mettre de
côté les hostilités dans la région afin de nous focaliser sur nos intérêts
communs et déployer nos efforts pour lutter contre les menaces que représentent
les terroristes. Je parle de coopération entre les services de renseignement,
je ne parle pas de réconciliation entre les nations».
L’Égypte a besoin d’Israël pour éradiquer les
terroristes qui portent un coup sévère au tourisme et donc à l’économie
égyptienne. Depuis les problèmes au Sinaï, les touristes ont déserté Sharm
el-Cheikh. Al Sissi craint que les terroristes ne débordent sur le Canal de
Suez en mettant en danger la circulation des supertankers qui paient leur droit
de passage. Il doit aussi réorganiser les services de renseignements qui
avaient pour principale mission de contrer les opposants politiques alors qu’à
présent, il doit lutter contre les djihadistes venus de Gaza, du Yémen et du
Soudan. Israël, qui a de l’expérience dans ce domaine, peut lui apporter son
expertise. Israël voit avec un œil favorable le retour de l’Égypte sur la scène
moyen-orientale, au moins pour neutraliser l’effet iranien.
Quand on est "ami' d’Israël, tout devient possible car la marge d'évolution des pays du Moyen Orient est fantastique et Israël est le pays qui a les capacités de les aider. C'est d'ailleurs peut-être ça qui fait peur aux autres états arabes : "et si leurs peuples évolués et devenaient majeurs !".
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