L’HISTOIRE
TROUBLÉE DES RELATIONS TURQUIE-ISRAËL
1/4 – L’idylle
Par Jacques BENILLOUCHE
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Tout est parti de
l’altercation médiatisée, en janvier 2009 au sommet de Davos, entre le
président Shimon Peres et le premier ministre d’alors, Recep Tayyip Erdogan. Il
s’agissait de l’illustration des relations dégradées entre les deux pays. Le
malaise s’est accru avec les déclarations sans nuance d’Avigdor Lieberman,
ministre israélien des Affaires étrangères, le rapprochement de la Turquie avec
la Syrie et l’Irak et l’annulation des manœuvres aériennes conjointes «Aigle
anatolien». Ce fut le prélude au changement de camp planifié de la Turquie.
Les relations entre la Turquie et Israël ont connu plusieurs phases, depuis l'idylle jusqu'à la rupture.
Menderes - Ben Gourion |
En 1948, la Turquie fut
le premier État musulman à reconnaître Israël, même si aucune ambassade ne fut
ouverte à Tel-Aviv. Elle avait adopté une stricte neutralité face au conflit
israélo-arabe pendant la guerre froide en focalisant les risques sur la menace
soviétique. David Ben Gourion et Golda Meir tissèrent des liens discrets en se rendent
en Turquie, en août 1958, pour conclure un accord secret avec Adnan Menderes au terme duquel les
deux pays s’échangeraient des informations et ne porteraient pas atteinte à
leurs intérêts.
La Guerre des Six-Jours fut l’occasion d’un premier froid dans les relations mais il fut vite
estompé après le coup d’État qui porta les militaires au pouvoir à Ankara en
1980. Les Israéliens étaient très favorables au renforcement de la coopération
avec un pays musulman laïc et kémaliste pour contrer la révolution islamique iranienne.
Ils estimaient que la Turquie pouvait devenir un rempart face au risque
d’islamisation de la région. À la fin de l’année 1981, en échange
d’informations sur l’organisation terroriste ASALA (Armée secrète arménienne de
libération de l’Arménie) la junte turque approuva l’annexion du Golan par
Israël. Ce fut le début d’un partenariat stratégique au service d’intérêts
croisés.
Ambassade de Turquie à Tel-Aviv |
La fin de la guerre
froide précipita le rapprochement de la Turquie avec Israël car, devant les
crises balkaniques, la Turquie ne croyait plus à un OTAN capable de la défendre
contre l’agression d’un voisin. Les pouvoirs syrien et irakien se montraient
plus vindicatifs alors que le Moyen-Orient devenait une poudrière avec la prolifération
d’armes chimiques, biologiques, de missiles balistiques et l’activisme des
groupes terroristes. Ne comptant plus sur l’activisme de l’Occident, les
dirigeants turcs optèrent pour un partenariat stratégique avec Israël. C’est
ainsi que des relations diplomatiques furent établies en décembre 1991.
Le 31 mars 1994, le premier
ministre turc Tansu Çiller signa avec Israël un accord garantissant la
confidentialité des échanges et ébauchant une coopération sécuritaire. De 1994
à 2002, la Turquie et Israël signèrent une trentaine d’autres accords. Le 23
février 1996, le directeur général du ministère de la Défense israélien, le
général David Ivry, et le chef d’État-major adjoint de l’armée turque, le
général Cevik Bir, conclurent un accord de coopération militaire : chaque pays
pouvait dorénavant user de l’espace aérien, des bases, des ports et des
facilités d’entraînement de l’autre.
Cevik Bir |
L’accord prévoyait des exercices aériens
conjoints, instaurait un dialogue stratégique biannuel entre États-majors et
définissait les modalités d’une coopération poussée pour le renseignement. Les
pilotes israéliens, contraints jusqu’alors de s’entraîner au-dessus de la
Méditerranée, pouvaient désormais utiliser le vaste espace aérien turc. Ils obtenaient
ainsi le droit de traverser la Turquie pour atteindre la Syrie, l’Irak ou l’Iran,
et furent aussi autorisés à faire escale à Chypre, dans la partie de l’île
contrôlée par la Turquie. En contrepartie, les instructeurs israéliens
familiarisaient les pilotes turcs avec des technologies ultramodernes, et leur
apprenaient à se défendre contre les missiles russes sol-air S-300.
Un second accord, en
1996, fut consacré aux questions d’armement. L’industrie de défense israélienne
s’engagea à moderniser une centaine de chasseurs bombardiers turcs (54 F-4
Phantom et 48 F-5 Tigre II), la flotte d’avions de transport et de
ravitaillement (C-130 et KC-135), ainsi que 170 chars M-60 Patton. Israël accepta
également de vendre à l’armée turque des missiles antinavires Popeye, des
drones, des contre-mesures électroniques, des équipements radars, ainsi que la
licence de fabrication du fusil d’assaut Galil, et de l’associer au
développement du missile de croisière Delilah. Le gouvernement turc envisagea
de faire moderniser sa flotte d’avions de combat F-16 en Israël, en espérant que
cette coopération lui permettrait de s’impliquer dans le programme américain du
chasseur furtif F-35. Pendant plusieurs années, le projet de vente de chars
israéliens Merkava III à l’armée turque était même sérieusement envisagé.
Ocalan |
En plus des aspects
financiers qui placèrent Israël au cinquième rang des exportateurs d’armement, juste
derrière la France, ce partenariat, qui s’était étendu à la Jordanie, avait
l’avantage de saper la solidarité arabe. En octobre 1998, Ankara reprocha à
Damas de donner asile à Abdullah Ocalan, le chef du PKK (Parti des travailleurs
du Kurdistan) et de soutenir son action au Kurdistan turc. Les Turcs mobilisèrent
leur armée à la frontière syrienne et menacèrent d’intervenir si Damas ne
l’expulsait pas. Israël de son côté avait accru la pression sur la Syrie,
contrainte d’expulser Ocalan, qui fut arrêté au Kenya quelques mois plus tard,
grâce à l’appui du Mossad.
La Turquie et Israël
trouvaient chacun des avantages à ces relations privilégiées. L’État hébreu bénéficia
d’un rapprochement avec l’OTAN et avec des États européens avec lesquels il
entretenait des rapports difficiles. Le gouvernement turc comptait en revanche
sur les lobbies pro-israéliens aux États-Unis et en Europe pour sortir de son
isolement et renforcer ses positions sur les dossiers de l’énergie, de l’industrie
et des relations avec la Grèce et l’Arménie, avec en vue son intégration au
sein de l’Union européenne.
Ben Gourion airport |
Depuis 1997, les
partenariats se sont multipliés : agroalimentaires, financiers, industriels,
dans le textile ou le bâtiment et travaux publics (cimenteries et béton armé).
Des industriels turcs ont ainsi construit le nouvel aéroport international Ben
Gourion de Tel-Aviv. La coopération se renforça dans le tourisme : plus de 400.000
Israéliens investissaient tous les ans les hôtels et les plages turcs. Le
volume des échanges entre les deux pays tripla en dix ans, passant de 1,3
milliard de dollars à 4 milliards entre 1997 et 2007. Enfin les deux pays engagèrent
un partenariat dans l’énergie et l’eau douce. Le gouvernement turc avait
accepté, en janvier 2004, de livrer chaque année à Israël 50 millions de mètres
cubes d’eau douce sur 20 ans, couvrant ainsi 3% des besoins du pays.
A suivre..... 2/ Les premiers accrocs
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