Pages

mercredi 18 mai 2016

La Tunisie condamnée à une identité islamiste


LA TUNISIE CONDAMNÉE À UNE IDENTITÉ ISLAMISTE

TUNISIE 3/3

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps


            Nous abordons le troisième volet sur la Tunisie concernant l'identité du pays. La dictature avait étouffé l'expression du peuple pour mieux le mater. Sous la menace constante islamiste, comment les Tunisiens parviendront-ils à se réapproprier leur identité?
Place de la Kasbah

            Après la révolution surprise, la Tunisie est toujours à la recherche de son avenir parce qu’elle «manque de discours». La révolution a été trop rapide pour être prévisible. Elle n’a même pas été rêvée tant elle semblait inaccessible, mais encore aujourd’hui elle paraît  orpheline. Les régimes de Habib Bourguiba et de Zine el-Abidine Ben Ali ont éradiqué toute velléité d’initiative de la jeune génération dans le seul but de décourager les ambitions politiques. Même l’armée a été volontairement délaissée au profit des services de sécurité pour empêcher l’éventuelle émergence d’un colonel séditieux.



Bourguiba et Ben Ali

            Il n’y a pas d’élite dans laquelle on pourrait puiser les dirigeants de demain et la résignation dont a fait preuve la population dans son ensemble a empêché qu’une tête charismatique dépasse de l’ensemble terne d’organisations ou de partis. La révolution a dû rechercher dans les tiroirs de l’histoire quelques septuagénaires, moins mouillés, en état de conduire les affaires du pays car les jeunes n’ont pas été préparés à cet avenir ou ne se sont pas unis pour constituer une alternance démocratique.
            Alors, les révolutionnaires de 2011 ont eu du mal à prendre des responsabilités dans le nouveau régime car ils n’ont pas d’arguments pour un discours qui n’existe pas et qu’ils sont incapables de déclamer. L’espoir diminue donc auprès de la population tunisienne qui reste dans l’attente de directives et de programmes d’espoir et qui observe passive comment la révolution lui a été confisquée. Alors le pouvoir en place se cherche et choisit les thèses éculées de l’antisionisme pour rassembler, la seule façon de trouver un consensus.

Une entreprise de destruction identitaire

            Les dictatures qui ont sévi durant plusieurs décennies ont été contraintes, pour se défendre et perdurer, d’étouffer l’identité du peuple pour mieux le mater. Elles ont favorisé l’émergence d’un système élitiste, aux ordres du pouvoir, en empêchant l’avènement de jeunes pousses capables de remplacer les instances dirigeantes.
            La révolution a donné au peuple la conscience de sa puissance mais elle ne lui a pas rendu son identité perdue, étouffée par l’ancien régime, et bradée pour l’empêcher d’exister. Le président Bourguiba avait fait de sa lutte contre les autorités religieuses son cheval de bataille. Le rôle de la nouvelle révolution a consisté en revanche à réveiller une identité islamique, la seule qui pouvait trouver un consensus dans le pays. Elle a essayé en vain à s’opposer à l’intégrisme des factions antagonistes, les Frères musulmans, le Djihad islamique et Al-Qaeda, qui ont chacune l’inconvénient d’être sous l’influence d’un pays tiers.

            La Tunisie avait été le premier pays du monde arabe à œuvrer pour détruire son identité originelle islamique. Le président Bourguiba avait décidé de s’affranchir d’un pouvoir religieux omniprésent qui freinait sa puissance et sa marche vers le modernisme occidental auquel il était attaché, par conviction et par intérêt. Il avait donc décidé de le combattre de manière brutale, en brisant les tabous, par crainte de se voir supplanté politiquement, mais aussi pour avoir les mains libres et pour marginaliser l’identité musulmane. Il avait donné aux femmes leur liberté, via le Code de statut personnel, et il avait pris le risque de déconseiller le jeûne du ramadan aux travailleurs, de fustiger le port du voile, le «chefchari» tunisien. Cette marche forcée vers l’Occident lui avait d’ailleurs valu les foudres des autorités religieuses de l'université de la Zitouna qui ont cependant fini par se plier aux injonctions du «combattant suprême».       
Université de la Zitouna
     
          Habib Bourguiba avait opté pour la destruction des piliers de l’identité arabe en abolissant les tribunaux islamiques et en favorisant l’apprentissage de la langue française, la langue coloniale. Il voulait que les institutions de l’État suppriment toute référence aux racines islamiques. Aidé des caciques de son parti, il avait ainsi créé une élite politique, aux ordres, qui n’a pas généré de relève. Les islamistes étaient traqués, combattus, exilés, emprisonnés, tandis que toute référence à la religion était considérée comme un acte de défiance à l’égard du régime. 
          C’est d’ailleurs ces exilés tunisiens qui se sont retrouvés en France dans les années 1960 pour mettre en place une implantation islamiste. L’islam en Tunisie était devenu l'ennemi du peuple et tout tunisien qui s’en référait devenait suspect. Le port de la barbe était pratiquement interdit. Le paradoxe aujourd’hui tient dans le fait que les femmes, qui ont été libérées à l’avènement de l’indépendance, veulent par réaction marquer leur originalité en s’affichant à nouveau avec le voile, moins par conviction que par provocation.
Centre culturel arabe du Boulevard Saint-Michel

La menace islamiste
            Mais la réactualisation de cette identité perdue est passée par l’avènement au pouvoir d’extrémistes musulmans. Alors les pionnières, qui étaient au premier rang des manifestants et qui ont lutté pour la chute du régime, ont tout fait pour défendre leur statut avec la même énergie qu’elles avaient combattu la dictature à l’instar de la journaliste Rachat Tounsi, en tête des cortèges pour manifester et pour soigner les blessés. Mouna Ben Halima, ancienne élève du lycée Louis-le-Grand à Paris avait exploité l’arme d’internet pour rameuter les jeunes et pour informer la presse française.
Mouna Ben Halima

            Mais les intégristes veillaient au grain. Silencieux et lâches pendant les dictatures, ils se sont réveillés après une révolution dont ils n’étaient pas les auteurs. Ainsi le 5 avril 2011, des militants islamistes ont investi l'hôpital de La Rabta à Tunis, en insultant les infirmières et les femmes médecins non voilées. La menace étant claire, elles ont décidé de s’organiser pour prendre part aux nouvelles réalités. Elles n’ont pas réussi à convaincre les dirigeants que les islamistes, en tant que seuls militants organisés et structurés, n’auraient aucun problème à avoir la majorité aux élections. Le fantasme de l’avènement d’une république islamique n’a pas été exagéré. Il a manqué de peu que la Tunisie n’imite les pays qui se sont islamisés comme l’Iran et la Turquie même si les hommes au pouvoir dénonçaient la préparation d'un «coup d'État militaire» dans le pays en cas de victoire des islamistes aux élections.
Tunisiennes

            La Tunisie, qui s’est définie à l’origine comme un État évolué, émancipé et modéré, n’a plus le choix qu’entre le salafisme des islamistes radicaux et le modernisme hérité des Occidentaux. Des intégristes tunisiens revendiquent périodiquement le droit à un État islamique radical régi par la charia. Ils veulent parvenir à leurs fins en instituant le désordre en Tunisie, en manifestant avec violence, en harcelant les femmes au travail et en s’attaquant aux touristes symboles de la décadence de l’Occident. Ils feignent d’ignorer que l’économie du pays est totalement dépendante de l’apport des Occidentaux mais ils comptent les remplacer en s’appuyant sur leurs alliés intégristes étrangers.
Djihadistes tunisiens

            Interdits pendant le régime précédent, les hommes barbus, de plus en plus armés, envahissent à présent les rues et les femmes n’hésitent plus à se couvrir d’une tenue noire qui ne figurait pas dans la tradition de la culture tunisienne. Ils ne se privent pas, avec de plus en plus d’audace, d’affronter les forces de l’ordre. Une unité de la Garde nationale a échangé des tirs avec des djihadistes dans le gouvernorat de Tataouine. Selon le ministère de l’intérieur «Un élément terroriste a été abattu tandis que l'autre a actionné sa ceinture d'explosifs, tuant deux officiers et deux agents de la Garde nationale».
            La Tunisie doit choisir sa stratégie vis-à-vis des islamistes. Soit les combattre avec force et moyens, quitte à se couper d’une partie de la population ; soit tolérer les agissements d’extrémistes au risque de voir le pays plonger dans le chaos. L’angélisme de Rached Ghannouchi, leader du parti islamiste Ennahda laisse rêveur. Selon lui : «Les terroristes sont passés de la phase d’attaque à la phase de confinement. Les tentatives d’attaques terroristes ne sont pas de réelles attaques terroristes au vrai sens du mot».

            Depuis déjà cinq ans, la Tunisie fait face à la prolifération des groupes terroristes sur son sol. Essentiellement, retranchés sur les hauteurs Ouest du pays, ces miliciens ont été formés militairement en Libye voisine. Au lendemain de la révolution, ils n’attaquaient que les forces armées positionnées aux frontières ; mais à présent ils ont changé de tactique comme ils l’ont montré dans l’attaque sanguinaire au musée national du Bardo, en plein cœur de la capitale et à deux pas du Parlement. Des touristes ont payé de leur vie. Les terroristes ont prouvé qu’ils pouvaient être audacieux en intervenant à n’importe quel endroit du territoire pour toucher l’économie du pays. À Ben Guerdène, ils ont même tenté de s’approprier la ville pour instaurer un Émirat.
Attaque terroriste au Mont Chaambi


            La menace terroriste est donc persistante. L’arrestation de seize terroristes en juin 2016 a permis de découvrir qu’ils disposaient d’un imposant arsenal : Kalachnikovs, grenades, pistolets et munitions. Le gouvernement semble désarmé alors qu’il dispose d’une armée réduite à l’état d’embryon par crainte d’un colonel séditieux. Il paie ainsi son flirt avec les milieux islamistes qui évoluent en sous-marins au sein même de la société tunisienne. Aujourd’hui, la Tunisie laisse filtrer un profond pessimisme sur son avenir et ce n'est pas avec un président octogénaire qu'elle prendra le bon chemin.

4 commentaires:

  1. Est ce que la Tunisie est devenue la référence pour tous les autres peuples ou tout simplement compte tenu des articles et du nombre de commentaires l'obsession de tunisiens en mal de nostalgie.
    Bernard Meyer

    RépondreSupprimer
  2. Jacques BENILLOUCHE17 mai 2016 à 09:24

    Ce n'est pas un hasard si l'on parle autant de la Tunisie. C'est là qu'a été déclenché le "printemps arabe" qui fête aujourd'hui ses cinq ans. La Tunisie a été le catalyseur des autres révolutions qui ont été étouffées dans l'oeuf. Il fallait désigner le coupable des échecs : l'islamisme. Mais la Tunisie attire l'attention parce que ses dirigeants octogénaires sont têtus et qu'ils jouent un pas de deux entre les Occidentaux et les djihadistes dont ils ont une peur dramatique.

    RépondreSupprimer
  3. C'est vrai que pour nous les " tunes" les informations venues de Tunisie sont plus importantes que celles en provenance des autres pays arabes .Je suppose que les pieds noirs d' Algérie et les juifs du Maroc sont plus attentifs à ce qui vient du pays où ils ont passé une partie de leur vie. Donc, rien de surprenant.
    Pour la Tunisie, le problème de l'islamisme masque le problème d'un chômage à un niveau insupportable et celui de l'enrichissement sans limites d'une bourgeoisie d'affaires .Le contraste est saisissant entre le niveau de vie de ceux qui luttent pour avoir un repas et ceux qui réservent des tablées dans les meilleurs restaurants. L'intérieur du pays est en sous développement et en paupérisation accélérée tandis que sur les villes côtières, la situation est meilleure grâce aux investissements réalisés pour favoriser le tourisme.
    Comment cela va-t-il se terminer ? Victoire des islamistes après une guerre civile ? Redressement lent mais perceptible de la situation économique ? En tout cas, l'âge du capitaine importe peu . Ce qui est primordiall, c'est de montrer au peuple que la corruption c'est fini et que les riches vont acquitter une juste part des impôts nécessaires . Il faut une societé plus juste pour avoir le soutien populaire.
    Andre Tribune juive

    RépondreSupprimer
  4. Oui, islam "modéré", on connait! 3000 tunisiens dans les rangs de daesh, réouverture de la frontière avec la Libye de façon à donner aux terroristes libre accès à l'Italie et à l'Europe et, cerise sur le gâteau, election d'Ennarda aux postes politiques après une "révolution" supposée être pour une "démocratie"... mouhais, la Tunisie, double-face, dans toute sa splendeur!

    RépondreSupprimer