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dimanche 1 mai 2016

Le malentendu de la révolution tunisienne



LE MALENTENDU DE LA RÉVOLUTION EN TUNISIE
Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps

Zied El-Heni

            
          La révolution de 2011 a été qualifiée de révolution du jasmin sur un malentendu. La fleur de jasmin symbolise les zones côtières touristiques et souvent riches au détriment de l’arrière-pays sous-développé qui fut le réel incubateur de la révolution tunisienne. La révolution du jasmin était donc dès le départ, dans sa terminologie, une imposture. Le symbole du jasmin a été inventé par Zied el-Heni, journaliste tunisien, mais les Tunisiens l’ont depuis, largement récusé car il qualifie  mal le véritable incubateur de la révolution tunisienne.




Islamistes tunisiens

            Les medias de l’époque ont voulu faire un parallèle avec la Révolution des Œillets qui avait mis fin au salazarisme le 25 avril 1974.  Mais tout était faux car la révolution au nom d’une fleur en Tunisie n'a débouché pour les Tunisiens que sur la liberté d’influer uniquement sur leur malheur. Avant la révolution, la Tunisie avait été contrainte par le pouvoir d’adopter la voie laïque puisque les islamistes étaient soit emprisonnés, soit contraints à l’exil. Mais cela n’empêchait pas le drapeau noir des salafistes de l'islam radical de flotter parfois sur certains bâtiments. Ils appartenaient de manière clandestine à l’organisation Ansar al-Sharia (défenseurs de la charia) qui s’opposait à la démocratie électorale et qui voulait déclencher une insurrection islamiste.

            Cinq ans après le Printemps arabe, la Tunisie espère toujours que la vague révolutionnaire de 2011 engendre une démocratie durable et la stabilité politique. Elle n’a en fait connu qu’une période révolutionnaire marquée par une économie en berne et des tentatives de déstabilisation du pays par des assassinats d’élus, des attentats contre l’armée, la police et la garde républicaine et par des fusillades contre les touristes. Tout semble orchestré par l’État islamique qui rôde aux frontières, à Ben Gardanne en particulier, et qui tente de compromettre l’avenir du pays.
Attentat garde présidentielle

            La révolution a été un échec car les nouveaux dirigeants, pris de court, n’ont pas défini de stratégie claire. Ils ont navigué au gré des courants sans mettre en place une politique économique sérieuse et sans organiser la lutte contre le terrorisme par crainte d’indisposer leurs alliés islamistes au sein de l’Assemblée. Ils n’ont pas tracé d’avenir pour leur jeunesse et faute suprême, ils n’ont pas rétabli la dignité que les citoyens ont perdue avec l'avènement de la dictature Ben Ali. Ils ont axé leur politique sur une dialectique dépassée, en croyant que les révolutionnaires exigeaient une république laïque alors qu’ils voulaient surtout vivre mieux et en liberté.
Le jasmin dans les villas de Gammarth

            Alors, progressivement après la révolution, les jeunes tunisiens ont disparu des quartiers pauvres de Douar Hicher, banlieue peuplée de 80.000 habitants avec ses rues étroites et défoncées. Ils ont rejoint la Capitale ou l'étranger. Ils observaient à moins d'une heure de leur quartier, le long de la Méditerranée, les restaurants haut de gamme de la Marsa et de Carthage, ces banlieues de Tunis qui abritent les villas des riches tunisiens et des expatriés et même encore, les proches de Ben Ali qui n’ont pas été inquiétés. Les riches en Tunisie sont devenus plus riches, et les pauvres encore plus pauvres.

            Alors par dépit, sept mille jeunes tunisiens ont rejoint la Syrie ou l’Irak pour mener le djihad. Il s’agit du plus gros contingent étranger. Ceux qui sont ensuite retournés ont alors remis en cause les poncifs établis. Ils ont expliqué qu’ils n’avaient pas rejoint l’État islamique par endoctrinement religieux mais parce que Daesh avait réussi à rétablir la dignité des citoyens. Ils n’étaient plus des pauvres hères alors que paradoxalement nombre d’entre eux étaient des diplômés au chômage, pour certains, ingénieurs ou techniciens dans des domaines scientifiques qui éveillent la pensée critique.
Djerbien à Paris

            Au delà des zones de guerre, la Tunisie a aussi exporté beaucoup de ses jeunes tentés par l’aventure économique européenne. Un million de Tunisiens vivent et travaillent au-delà de la Méditerranée mais ce n’est pas toujours la crème qui s’est expatriée. À part les besogneux qui tiennent les petites épiceries des grandes villes, beaucoup de trafiquants de drogue sont tunisiens; de nombreux contrebandiers de marchandises entre la Turquie et la Grèce sont tunisiens; les trafiquants d'êtres humains à Belgrade sont tunisiens. 
          On constate que ceux qui ont quitté la Tunisie ont été les plus immoraux, les plus irréligieux et les plus corrompus. Sans compter les plus sanglants qui ont montré un visage inhumain dans les zones de djihad. Et cela s’explique, même si cela ne se justifie pas. L’injustice dont ils ont souffert  a contribué à cette attitude parce qu’ils ont fini par réaliser que la Tunisie ne leur apportait rien. Ils ont reçu une éducation religieuse peu profonde en Tunisie, donc il n’existait pas de substance théologique pour empêcher un jeune de s’orienter vers les extrêmes.
Djihadistes tunisiens morts

            Pourtant la Tunisie avait l’avantage de ne pas souffrir de divisions ethniques ou sectaires profondes comme dans les autres pays arabes. L’absence de richesse pétrolière limitait la perversion des esprits. Avec Bourguiba, ils avaient hérité d’une tradition de l'islam modéré, d’un niveau d’alphabétisation généralisé et surtout d’une armée apolitique maintenue à l'état d’embryon par la volonté de la dictature. Mais la Tunisie doit à ses citoyens d’avoir évité le sort de ses voisins. 
          Bien que la Tunisie soit devenue au monde arabe le premier producteur de combattants étrangers, elle représente paradoxalement le meilleur espoir pour la liberté mais les attentes ont été frustrantes ce qui a installé les conditions pour que la radicalisation prospère. Certes la révolution a apporté de nouvelles libertés mais elle n’a pas réussi à créer d'emplois professionnels au point de donner l’impression que seuls les incultes étaient à l’abri du chômage. Effectivement dans la réalité, un tiers des récents diplômés des lycées ne peut pas trouver du travail.
            La révolution leur a été volée par les dinosaures de la politique qui continuent à leur servir le discours éculé mettant en évidence le nécessaire combat de l’islamisme contre la laïcité. Elle a surtout été volée aux jeunes qui ont été écartés des débats alors qu’ils croyaient avoir récupéré leur liberté d’expression politique. Daesh a compris cet état de fait et il a su utiliser les compétences de ces jeunes tunisiens pour bâtir son État. Ils réclamaient peu d'idéologie mais une aide financière, l’accès à l’eau, l’électricité, un logement décent, du travail, des soins médicaux et des libertés garanties par la Constitution, toutes choses que les jeunes occidentaux disposent déjà sans lutte. On leur a répondu soit par des discours creux, soit alors par des brutalités policières comme du temps de Ben Ali lorsque les oligarques défendaient leurs privilèges. D’ailleurs le parti islamiste Ennahda a commencé à réviser sa position politique. À l’occasion de son 10e Congrès du 20 au 22 mai, il devrait annoncer à cette occasion un aggiornamento idéologique, à savoir la séparation de ses activités religieuses et politiques. Il a en effet compris que le peuple était devenu plus attaché aux questions matérielles que spirituelles.


Répression policière en Tunisie

            Et pourtant, parce que Bourguiba avait insufflé la modernité dans le sang de ses compatriotes,  la Tunisie a été le seul pays à émerger des printemps arabes comme une démocratie viable. L’Égypte, la Libye, le Yémen, le Bahreïn et la Syrie ont repris le chemin de la dictature, voire  du chaos et parfois des deux. En Tunisie une assemblée démocratiquement élue a adopté une constitution progressiste en 2014 et des élections libres et régulières ont eu lieu. Des projets de loi sur la libéralisation économique et sur le sort des dirigeants de l’ancien régime ont été débattus au Parlement sans exclure les luttes de pouvoir. Une victoire au moins, la notion de karama (dignité) a été ajoutée à la devise nationale ; c’est un symbole meilleur que le jasmin parce qu’il ne dépouille pas la révolution de son objectif original.
Mondher Zenaïdi, ministre de Ben Ali de 1987 à 2011, avait précipitamment quitté le pays au lendemain de la révolution pour se réfugier en France

            Alors les nouveaux dirigeants, en majorité issus de l’ancien régime sont dans le désarroi en donnant un coup à droite puis un autre à gauche. Pour neutraliser les islamistes, ils n’ont rien trouvé de mieux que de s’unir sur ce qui pouvait faire consensus, la haine d’Israël. Cette haine n’était pourtant pas dans l’ADN des Tunisiens. Mais aujourd’hui elle a instillé les esprits pour virer vers de l’antisémitisme. Le pouvoir est débordé. Dans les lycées de Kairouan et Jendouba, les élèves ont célébré la fin d’année en déployant des calicots géants à la gloire du Troisième Reich et de l’État islamique. Il s’agit de réalités et non d’hypothèses, d’actes concrets à l’instar de la bannière représentant Hitler saluant le drapeau allemand. D’autres ont choisi Daesh. Drôle de jeunesse qui s’identifie aux monstres de l’Histoire. 



          Les Juifs ont perçu cette dérive depuis longtemps et l’ont sanctionné en boudant leur pays natal, la Tunisie. Le pouvoir faible a voulu rectifier le tir, tardivement, à sa manière, par une opération de communication douteuse.Treize personnalités françaises ont été décorées de l’Ordre de la République sous prétexte du 60ème anniversaire de l’Indépendance, dans les salons de l’Ambassade de Tunisie à Paris, par un membre du gouvernement spécialement dépêché dans la capitale française : Jack Lang, Bertrand Delanoë, Gisèle Halimi, Jean Daniel, Frédéric Mitterrand, Claude Nataf, Guy Sitbon,  Serges Moati, Jean Pierre Elkabbach, Lucette Valensi, Nine Moati, Béatrice Slama, et Michel Boujenah. Il est vrai que ces personnalités ont été choisies : «en reconnaissance de leurs efforts en faveur de la consolidation des relations d’amitiés et de coopération entre la Tunisie et la France».


Jean Daniel, Jean-Pierre Elkabbach et Guy Sitbon

          Mais le fait qu’à l’exception de deux personnes, les récipiendaires soient d’origine juive n’était pas le fruit du hasard. Il s’agissait d’une opération séduction à destination de la communauté juive pour essayer d’effacer les déclarations intempestives contre Israël et les mesures discriminatoires à l’égard des détenteurs de passeports israéliens.  Cela n’enlève rien à la qualité et à la compétence des médaillés qui sont de grands professionnels et dont le pouvoir tunisien espère plus d’indulgence lorsqu’ils auront à traiter de la Tunisie.  
Contact officiel entre diplomates israélien et saoudien

            Le pouvoir tunisien n’a pas compris que l’islamisme devait être combattu par la force et la ténacité dans une action commune internationale et non pas par la résignation ou une complicité détournée. Une solution honorable existe mais elle implique un courage politique de la part du président Caïd Essebsi même si son avenir politique risque d’en pâtir. Il pourrait finir en beauté. Il devrait profiter de l’ambiance actuelle au Proche-Orient où les contours des alliances politiques ont été redessinés. Les grands pays arabes ont opéré un virement à 180°. Après l’Égypte et la Jordanie qui ont renoué des relations diplomatiques avec Israël, l’Arabie saoudite, le Qatar et même l’Irak envisagent de suivre cette voie qui sera aussi ouverte pour le Maroc qui est à la manœuvre secrète dans les alcôves des Palais. 
          Cette décision difficile vaudrait les centaines de médailles que la Tunisie pourrait offrir en vain. Et la Tunisie redeviendrait la Tunisie modérée que le «Combattant suprême» avait imaginée. L’Occident et surtout les États-Unis apporteraient leur concours dans un pays qui oubliera peut-être ses djihadistes pour se concentrer vers le bien-être de sa population.      
 


5 commentaires:

  1. Il est symptomatique de voir que ,dans les pays arabo musulmans, Mein kampf et le protocole des sages de Sion sont souvent les best seller les mieux lus. Ceux qui y font l apologie d hitler sont souvent les mêmes que ceux qui diabolisent de façon outrancière et caricaturale Israël et les juifs... Et les comparent à un etat nazi et à des nazis... La perversité humaine n a pas de limites... Ses contradictions non plus.. Enfin, est hélas révélateur du niveau faible d alphabétisation et de sens critique des populations de ces pays, le fait que marche toujours cette ficelle plus Qu éculée de diabolisation pour faire consensus.le réflexe pavlovien des moutons de panurge est aussi, parfois , un trait caractéristique de l âme humaine...

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  2. En Tunisie, il y a eu avec Ben Ali un régime de dictature humiliant. Tout le monde savait que le pouvoir était corrompu à l'extrême et que le Président et sa famille ne pensaient qu'à amasser des richesses pillées .
    Il y a eu également une erreur capitale : celle de favoriser des études qui ne débouchaient sur aucune carrière et on a obtenu une génération de chômeurs diplômés donc de révolutionnaires.
    Aucune réforme allant vers une plus juste répartition des richesses n'avait été entreprise et les possesseurs du capital ont pu continuer à s'enrichir alors que les travailleurs devaient se contenter de salaires très bas quand ils avaient la chance d'échapper au chômage.
    La Révolution du jasmin était une révolte contre la pauvreté et l'exploitation . Les classes possédantes ont pactisé avec les islamistes pour détourner la trajectoire.
    Penser qu'il faudrait que la Tunisie reconnaisse Israël pour que les problèmes trouvent une solution, n'est pas raisonnable. Personne ne pourra y parvenir en Tunisie. Même Bourguiba progressait prudemment sur ce sujet.
    Alors? Rien! Il faudrait une révolution castriste ou un nouveau protectorat économique aux allures de Plan Marshall.
    Andre Mamou Tribune juive.

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  3. Jacques BENILLOUCHE30 avril 2016 à 17:34

    André,
    Vous n’avez pas compris le processus. Les bonnes relations avec Israël débloquent les investissements américains. Il n’y a que 17 entreprises américaines en Tunisie générant 12.000 emplois contre 400 au Maroc pour plusieurs centaines d’emplois.

    Prenez exemple sur le Maroc qui échange beaucoup avec Israël et qui laisse entrer les Israéliens. L’Occident est rassuré.

    Les relations avec Israël sont un catalyseur pour l’Occident.

    Cordialement

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  4. Véronique ALLOUCHE1 mai 2016 à 06:50

    La haine n'est dans l'ADN de personne. Elle est, comme toujours, instrumentalisée, en Tunisie ou ailleurs.
    Les personnalités qui ont accepté d'être médaillés n'ont pas eu beaucoup de scrupules à les recevoir compte tenu de l'antisémitisme régnant. Médaillés de pacotille...
    Veronique Allouche

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  5. Cher Jacques

    En accompagnant NKM en Tunisie, elle a provoqué une mini tempête en parlant de "révolution du jasmin"

    Les Tunisiens refusent cette expression car, après son coup d'Etat médical en 1987, Ben Ali avait déclaré "il règne un air de jasmin sur le pays;

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