L’AVENIR DES CHRÉTIENS DE PALESTINE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Le journaliste croit tout savoir et
se targue de pouvoir tout analyser, comme un grand, comme un expert qu’il n’est
jamais. Et puis il découvre qu’il ne sait rien et, comme Jean Gabin, il peut
dire «maintenant je sais, je sais qu’on ne sait jamais !» On n’a en effet aucune vision de ce qui se passe à quelques kilomètres de la capitale, à
quelques bornes de Tel-Aviv parce que les impératifs politiques et sécuritaires
nous mettent à l’abri de la réalité ; cette réalité qui met en jeu des
êtres humains qui ne sont pas tous, loin de là, des terroristes mais qui
n’arrivent pas à convaincre de leur bonne volonté parce que les dirigeants des
deux bords sont bornés.
Eglise Saint Nicolas à Beit Jala |
Nous sommes allés à la rencontre de la
réalité, face à une dizaine d’arabes chrétiens de Beit Jala, une localité de Cisjordanie
sous juridiction palestinienne, située à 10 km au sud de Jérusalem et à 2 km de
Bethléem. Beit Jala compte près de 12.000 habitants, majoritairement chrétiens
aux côtés d’une minorité musulmane. Ses habitants nous ont appris un point
d’histoire méconnu. Soumis aux exactions de plusieurs envahisseurs, ils ont
émigré étonnamment au Chili où vivent 100.000 originaires de la région qui fuyaient
les combats et parfois la misère.
Beit Jala |
Beit Jala a été en effet l'objet de plusieurs conquêtes. Elle a été ravagée par la rébellion samaritaine de
529 puis la région a été conquise par le calife Oumar en 637. Les Croisés avaient
installé un clergé catholique en 1099 qui fut expulsé en 1187 par Saladin. Elle
fut à nouveau conquise par les Ottomans en 1516 ce qui permit à ses habitants de
connaître une vie prospère jusqu'au XVIIème siècle. Mais à compter de cette
date, l'Empire ottoman imposa de plus en plus de taxes et de conscriptions
forcées d'enfants chrétiens obligés d'abjurer leur foi pour devenir entre
autres janissaires. L'émigration des Chrétiens, plus éduqués que la moyenne,
commença alors à la fin du XIXème siècle, notamment vers l’Argentine et le Chili.
Ce
qui étonne, c’est que la langue française est encore présente à Beit Jala, bien
enseignée et bien entretenue parce qu’elle symbolise la France des Droits de
l’Homme. Mais la ville est le symbole de la disparition progressive des
Chrétiens, contraints de fuir l’espace sacré des trois monothéismes. Il ne
perdure que quelques traces de la présence chrétienne sous la forme de six
églises ; trois églises grecque-orthodoxes,
une catholique, une luthérienne et un couvent des Salésiens en font un lieu de
pèlerinage prisé par des centaines de milliers d’Occidentaux.
La population chrétienne se réduit
parce qu’elle continue à émigrer jusqu’à ne plus représenter que 170.000
habitants en Israël et en Cisjordanie. Ils émigrent parce que, par choix
politique, ils ont voulu partager le sort des Musulmans et qu’ils n’ont pas été
payés de retour. Il est vrai que les Chrétiens de Palestine, qui ont été les
instigateurs de la renaissance intellectuelle et politique du monde arabe, ont
peu joué la carte israélienne. Au contraire, ils se sont montrés des
adversaires farouches au lieu de partager avec les Juifs une communauté de
destin en tant que minoritaires dans un monde musulman. La Guerre de Six-Jours
et le tremblement politique qu’elle a entraîné auraient pu les rapprocher, or
elle les a séparés.
Georges Habache |
En effet, Georges Habache fut le fondateur
en 1967 du FPLP (Front populaire pour la libération de la Palestine), et son
rival Nayef Hawatmeh, du FDLP (Front démocratique de libération de la Palestine) n’ont
pas prévu qu’ils seraient vite marginalisés à la tête de partis laïcs. L’islamisme
pointait déjà à l’horizon. Plus près de nous, Hanan Achrawi a été une
négociatrice de la conférence de Madrid en 1991 puis est devenue une figure
emblématique de l’Autorité palestinienne en 1994.
Hanan Achrawi |
Ceux que nous avons rencontrés à
Beit Jala nous ont expliqué leur positionnement difficile entre l’État des
Juifs et les mouvements islamistes qui ont investi la direction palestinienne. Ils
se sentent perdus et abandonnés et n’envisagent leur avenir que dans une
émigration qui pourrait donner un sens à leur vie et surtout un avenir à leurs
enfants. Mais avec ce départ, un petit bout de la France disparaît en
Cisjordanie pour laisser le champ libre à un islamisme radical conquérant.
Notre rôle n’est pas de prendre
position, car les hommes politiques doivent prendre leurs responsabilités; nous devons informer les lecteurs de
manière honnête. Dignes dans leur attitude, refusant la posture de
pleurnichards, les Chrétiens de Beit Jala ont laissé transpirer leur détresse
qui n’est pas feinte. Difficile de rester insensible à leur désarroi quitte à
être traité de gauchiste parce qu’on ouvre les yeux sur une réalité
dramatique. La détresse n’est pas encartée ; elle se vit au jour le jour,
au rythme des attentats, au rythme des contrôles aux check-points, au rythme de la misère. Les faits
sont là.
Birzeit University |
Les Chrétiens sont dans une
situation désastreuse parce qu’à leur désarroi politique s’ajoute une situation économique
sans lendemain. Le taux de chômage est élevé en Cisjordanie et malgré des études supérieures de
haut niveau, souvent dans les universités étrangères, les jeunes ne
trouvent pas un emploi en rapport avec
leur compétence. La crise sécuritaire, liée aux assassinats de Juifs et aux
affrontements, a aggravé la situation. On accuse d'ailleurs les Chrétiens de ne pas avoir condamné ouvertement les assassinats de Juifs.
L’université catholique de Bethléem et l’université de Birzeit, fondée à partir de soutiens protestants, délivrent des diplômes qui n’ont rien à envier à ceux de Jérusalem mais les étudiants n’ont plus d’avenir en Cisjordanie. L’activité touristique est au point mort dans une ville pourtant réputée avec ses six églises. L’économie palestinienne est à l’agonie. Pour certains, les coupables sont les criminels au couteau ; pour d’autres le gouvernement israélien exploite à son profit la situation pour vider la Cisjordanie de ses habitants; pour d’autres enfin l’incompétence des dirigeants palestiniens est en cause.
L’université catholique de Bethléem et l’université de Birzeit, fondée à partir de soutiens protestants, délivrent des diplômes qui n’ont rien à envier à ceux de Jérusalem mais les étudiants n’ont plus d’avenir en Cisjordanie. L’activité touristique est au point mort dans une ville pourtant réputée avec ses six églises. L’économie palestinienne est à l’agonie. Pour certains, les coupables sont les criminels au couteau ; pour d’autres le gouvernement israélien exploite à son profit la situation pour vider la Cisjordanie de ses habitants; pour d’autres enfin l’incompétence des dirigeants palestiniens est en cause.
Nous n'avons pas les cartes en main pour juger. Mais le désespoir n’est pas
uniquement dû à Israël qui fait certes peu d’efforts pour intégrer ces jeunes diplômés; il incombe aussi aux dirigeants palestiniens qui gouvernent tellement mal qu’ils se
satisfont de cet exode des cerveaux chrétiens. Une sorte de nettoyage ethnique volontaire.
Le statut de ces Chrétiens,
minoritaires dans une minorité, est étonnant. Ils disposent d’un statut hybride
car le droit communautaire hérité de l’empire ottoman leur est appliqué. Les
habitants arabes de Jérusalem, souvent nés dans la ville, ne sont pas citoyens
du pays ni de la ville. Ils disposent d’un statut de résident privilégié qui
limite leurs droits au seul droit de vivre dans la Capitale. S’ils décident de
vivre dans la partie sous juridiction palestinienne, comme à Bet Jala, ils deviennent
des citoyens étrangers qui n’ont pas accès libre à la Capitale ce qui les
empêche de postuler à des emplois administratifs locaux. Les Musulmans ne se
privent pas de profiter de la situation, ils en abusent même. Ainsi ils construisent des mosquées sur le
parvis d’églises dans le silence complice des responsables locaux.
L’Autorité palestinienne est noyée
sous les exigences des islamistes qui, alors que l'État n'est pas encore créé, en sont à disserter sur la charia dans la future Constitution. Elle a donné aux Chrétiens un
statut de minoritaires dans la minorité en leur octroyant six sièges sur 88 aux
élections de 1996 au Conseil national. Un rôle inexistant pour pouvoir modifier la donne. Et pourtant le
peuple palestinien, plus cultivé et plus politisé que la moyenne des Arabes, a
toujours défendu la laïcité pour garantir les pratiques sociales modernes.
Cette communauté souffre du soupçon
qui l’entoure. Pour certains, les Chrétiens sont complices des Israéliens alors
qu’ils ne bénéficient pas de tous les avantages des citoyens juifs. Ils sont
accusés de lorgner en permanence vers l’Occident avec lequel ils partagent la
religion ; c’est pourquoi leur place parmi les Musulmans est compromise.
Ils sont accusés d’être financés par des associations caritatives étrangères,
ce qui les rend suspects de trahison, et par des ordres monastiques étrangers.
Par ailleurs, les Musulmans ne supportent pas le statut trop important à leurs
yeux qui leur a été alloué au XIX ème siècle, faisant d’eux les gardiens des
Lieux Saints. Ils accusent les Chrétiens d’être à la solde de l’étranger qui
exploite leur naïveté. Leur départ définitif réglerait le problème de la garde des Lieux Saints
Colonel druze Safwan |
Israël a eu aussi le tort de ne pas
miser sur cette minorité comme il a misé sur les Druzes, citoyens à part
entière astreints au service militaire qui leur ouvre toutes les portes des
entreprises et des industries israéliennes. Certains y voient une volonté de minimiser le rôle des Chrétiens dans une
négociation éventuelle sur Jérusalem. Il s’agit en effet de favoriser plus facilement un
accord bipartite sur Jérusalem.
Les Chrétiens de Palestine ne sont
plus partie prenante dans la solution du conflit israélo palestinien Dans
quelques années, leur présence historique en Cisjordanie sera racontée sous forme de légende à
l’instar de celle des Juifs des pays arabes qui ont tous quitté leur pays natal.
Ces chrétiens avaient cru en une identité palestinienne laïque avec les musulmans mais avec l'Islamisme ils n'ont plus de place.
RépondreSupprimerJacques, tu as oublie Wadi Haddad, et plus pres, mais cette fois en Israel meme Azmi Bishara. Les Chretiens ont toujours joue un jeu trouble, oscillant entre le nationalisme arabe et un neutralisme hostile a Israel. Mais il faut noter que pres d'un millier de Chretiens israeliens servent dans Tsahal, et ils sembleraient qu'ils commencent a prendre conscience ou se trouvent leurs interets.
RépondreSupprimerCeux de Jerusalem et de Cisjordanie sont effectivement sur leurs valises. Ils preferent aujourd'hui les USA, au New Jersey et au Michigan,
Article très intéressant et toujours bien documenté. Difficile d'imaginer Betlehem sans les chrétiens. Ils sont aujourd'hui persécutés dans la région par les islamistes et Israel leur rend la vie impossible pour les pousser à partir.
RépondreSupprimer@ Elisabeth Garreault
RépondreSupprimerIl est toujours de bon ton d'incriminer Israel dans cette région.
Seulement les chrétiens ont joués la carte Arabe, comme les hautes instances religieuses catholiques et les occidentaux. A ce jour ils prennent conscience des conséquences de leur choix.
Ils ont cru que les musulmans vaincraient les juifs et ils ont soutenu les musulmans.
RépondreSupprimerIls ont perdu et leur seule solution c'est l'exil.
USA ou Amérique du Sud .
Les juifs des pays arabes ont toujours su qu'ils devraient partir quand L' Islam serait au pouvoir .
On a tous un peu de peine pour ces chrétiens persécutés et contraints à l'exil mais on a tous le souvenir du nettoyage ethnique qui a vidé le monde arabo musulman de tous ses juifs et partout dans le monde des peuples , des minorités sont emportés par des majorités conquérantes .
Les livres d'histoire regorgent de ces histoires et aujourd'hui des dizaines de cas analogues sont en cours, en Afrique, en Asie.
La Palestine n'est pas le centre du monde.