LA TURQUIE LORGNE À
NOUVEAU VERS ISRAËL
Par Jacques BENILLOUCHE
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La Turquie paie sa rupture
d’alliance avec Israël en 2010. Elle avait alors décidé de jouer la carte des
pays arabes parce qu’Erdogan s’était donné pour objectif de conquérir le
leadership du monde musulman, dévolu jusqu’alors à l’Égypte dont l’influence périclitait
au Moyen-Orient. Mais aujourd’hui, dans la tourmente et fâchée avec tous ses
voisins arabes, la Turquie ne peut espérer le salut que d’Israël.
Attentat du 19 mars 2016 |
Sa politique
moyen-orientale a subi des revers tandis que sa diplomatie est au point mort.
Le conflit avec les Kurdes s’est envenimé et les attentats se multiplient avec leur
lot de cadavres et de blessés et avec des conséquences néfastes pour le
tourisme. Le conflit syrien a d’autre part détérioré les relations avec la
Russie qui lui fournit la moitié de son gaz et avec laquelle Les Russes et les Turcs étaient à deux
doigts de la guerre ouverte. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Turquie
voudrait bien réduire sa dépendance gazière en achetant du gaz israélien.
Le président turc Erdogan le 9 février 2016 à Ankara avec une délégation de la Conférence des présidents des principales organisations juives américaines |
De nombreuses réunions bilatérales turco-israéliennes
ont eu lieu pour trouver les conditions d’une normalisation des relations qui ne
butent pas uniquement sur des questions de gros sous. Les États-Unis œuvrent en
coulisses pour raccommoder les liens entre leurs deux alliés principaux dans la
région. Membre de l'Otan, la Turquie a toujours été perçue
comme le principal allié régional de l'État juif. D’ailleurs, elle a été le
premier pays musulman à entretenir des relations diplomatiques officielles.
L’affaire de la flottille de Gaza
n’était qu’un alibi car, dans la vision d’Erdogan, il voulait remplacer
Moubarak, vieillissant, comme leader sunnite au Moyen-Orient. Il avait donc besoin d'un coup d'éclat.
En 2013, contre la volonté d'une partie de son gouvernement, Benjamin Netanyahou avait présenté des excuses officielles pour
les morts de la flottille mais rien n’y fit et la réconciliation était
constamment reportée. Le nouveau patron du Mossad Yossi Cohen, aidé de Joseph
Ciechanover, a rouvert les négociations lorsqu’Erdogan avait décidé de changer
de ton : «nous, Israël, les Palestiniens et la région avons tous
beaucoup à gagner de ce processus de normalisation». Il est loin le temps
où Netanyahou était qualifié de terroriste et où l’État d’Israël était accusé,
durant la guerre de Gaza de juillet 2014, d'avoir «surpassé Hitler en
matière de barbarie».
La
Turquie s’est trouvée subitement assaillie de toutes parts. Sur fond de
conflit syrien, les relations entre la Russie et la Turquie se sont dégradées
lorsque la Turquie a ouvertement pris position contre Bachar-Assad. Oubliées
les embrassades à l’aéroport de Damas, oubliées les insultes contre Israël. À la
suite du crash d’un bombardier russe abattu par un chasseur turc, la sémantique
a brusquement changé car le danger rôdait aux frontières. Les relations entre
Ankara et Téhéran se sont détériorées face à des Iraniens devenus les farouches
alliés des Syriens. Par ailleurs la décision de déployer des centaines de
soldats turcs en Irak, près de Mossoul, a aussi provoqué des tensions avec
Bagdad. Enfin la volonté d’islamiser
encore plus son pays a conduit les Occidentaux à tourner le dos à Erdogan.
La Turquie s’est donc trouvée isolée
tout comme d’ailleurs Israël, critiqué de toutes parts. Les négociations avec Israël
ont donc pris un tournant positif. Un accord est déjà trouvé pour la compensation
financière des victimes du raid israélien en 2010 ; c’était le volet le
plus facile à régler. Mais le volet politique fait traîner la conclusion de l’accord.
La Turquie exige, c’était une de ses promesses au Hamas, la levée du blocus de
Gaza et la libre circulation maritime. Israël peut difficilement prendre le risque d'un nouvel afflux d'armes aux groupes terroristes de Gaza.
Mais un nouveau point a
été soulevé par la demande urgente de fourniture de gaz, extrait de l’exploitation
de Léviathan, pour permettre à la Turquie de ne plus dépendre uniquement de la
Russie pour ses approvisionnements. Il ne fait aucun doute qu’Israël et la
Turquie ont un intérêt réciproque à normaliser leurs relations. Le ministre de
l’énergie Youval Steinitz est convaincu que la livraison de gaz à la Turquie
pourrait débloquer la situation et ouvrirait des perspectives avec d’autres
pays arabes sunnites, encore frileux quand il s’agit d’ouvrir des relations
diplomatiques avec le petit Satan.
Mais l’une des raisons du changement
de position de la Turquie vis-à-vis d’Israël est sans aucun doute l’aggravation
de conflit avec les Kurdes. Les Israéliens ont toujours soutenu
les Kurdes de Syrie et d’Irak, en les armant, en formant leurs officiers et en
les finançant. Durant la lune de miel avec la Turquie, Israël avait fait joué
ses relais pour persuader les Kurdes d’Erdogan à modérer leurs attaques afin d’éviter
la guerre totale. Le refroidissement entre Israël et la Turquie avait libéré
les Kurdes de leurs engagements et ils ont multiplié leurs attaques d’une part contre les forces armées
turques et d’autre part, contre les civils dans les villes.
L’armée turque est équipée de matériel
israélien ou américain depuis de longues années et elle ne peut diversifier ses approvisionnements. Les États-Unis,
pour faire pression sur Erdogan ont refusé de lui livrer des armes
sophistiquées arguant du fait qu’ils ne veulent pas faire concurrence à leurs
alliés juifs, les fournisseurs attitrés. Les Turcs ont bien reçu quelques drones livrés
avant la brouille mais les nouvelles commandes ont été stoppées et la formation
des servants n’a pas été totalement assurée par Israël. Les sociétés d’armement turques
n’ont pas cessé d’approcher leurs anciens fournisseurs pour obtenir les armes
dont l’armée turque a besoin. Ils se réfèrent aux échanges dans les domaines non
militaires qui se sont accrus de 44%. Les dirigeants turcs avaient imposé le
gel des accords commerciaux avec Israël dans le seul cadre du secteur public,
mais le secteur privé n’était pas touché.
Yossi Cohen patron du Mossad |
La situation sécuritaire s’aggrave
en Turquie avec la multiplication des attentats qui ont fait des dizaines de
morts. Les Turcs ont besoin de collaborer avec les services de renseignements
israéliens pour l’échange d’information sur les groupes terroristes. La
situation urge. Pour l’instant Erdogan,
qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage. Il a immédiatement trouvé les
commanditaires des attentats imputés au PKK, les Kurdes de Turquie bien que Daesh
rôde dans la région.
Les Américains voudraient bien que
le conflit avec les Kurdes soit gelé pour se concentrer sur l’élimination de
Daesh. Or depuis l’été, la guerre est à son paroxysme avec les populations kurdes de Turquie parce que les pourparlers
de paix entre le gouvernement et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan)
ont été stoppés. La situation politique s’est aggravée avec le comportement de
plus en plus despotique du président Erdogan qui a réussi à verrouiller les
élections. À l’initiative du leader kurde emprisonné, Abdullah Öcalan, les deux
parties étaient sur la bonne voie pour
atteindre une paix durable turco-kurde. La victoire relative de l’opposition
aux dernières élections, 80 députés élus, a poussé Erdogan à durcir sa position
pour empêcher tout gouvernement de coalition.
Armée turque |
L’entêtement d’Erdogan a conduit à une
guerre coûteuse dans les villes kurdes. 400 civils ont été tués ainsi que des
centaines de forces de sécurité turques et des dizaines de militants kurdes. La
négociation est rompue. Ankara a détruit des villages kurdes en Turquie puis a étendu ses bombardements sur les positions kurdes en Syrie. Cette politique
agressive à l’égard des Kurdes nécessite de l’armement en plus grand nombre. La
Turquie s’est tournée vers la France en lui envoyant une liste détaillée de ses
besoins. Mais les experts militaires estiment que la réorganisation des forces
armées turques pour les équiper d’un matériel français risque de grever le
budget turc et nécessite des délais trop longs face aux besoins immédiats d’une
armée. Cette armée a été décapitée par le caprice d’Erdogan qui a éliminé tous ses chefs expérimentés et parallèlement il a décidé la rupture avec Israël. Erdogan est convaincu aujourd’hui
qu’il a besoin d’Israël pour rétablir une situation militaire qui risque de lui
échapper en entraînant la chute de son régime. L’attentat sanglant du 19 mars à
Istanbul le conforte dans sa décision d’envisager un virage dans sa politique
proche-orientale.
Le yoyo de la politique Israélienne au bon gré de Monsieur Erdogan.
RépondreSupprimerDrôle de région où les camouflés sont bien vite digérés
Bernard Meyer
Il est possible que le Turquie regarde du coté d’Israël : mais, moi, je crois au pouvoir maléfique du mauvais œil.
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