Pages

jeudi 18 février 2016

Les intellectuels envahissent trop les medias


LES INTELLECTUELS ENVAHISSENT TROP LES MEDIAS

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

         
L'article a été publié dans Times of Israël

http://frblogs.timesofisrael.com/les-intellectuels-envahissent-trop-les-medias/

Emile Zola

          L’interférence des intellectuels avec la politique n’est pas un fait nouveau. Ils se bornaient jusqu'alors à apposer leurs signatures au bas de pétitions et de manifestes et désertaient les studios de télévision. Ils semblent avoir abandonné leur stylo pour les plateaux de télévision. Encore faudrait-il qu’on définisse la notion d’intellectuel qui a pris son essor en France avec l’affaire Dreyfus, en 1898. Cette affaire avait réactualisé l’expression en raison des nouveaux moyens d’expression qui avaient vu le jour à l’époque avec les manifestes collectifs, les ligues de militants et les medias modernes. Était alors qualifiée d’intellectuelle toute personne qui s’adonnait aux activités de l’esprit, incluant de fait les arts, les sciences, la littérature et la philosophie.





Soral et Le Pen

            Aujourd’hui l’adjectif a évolué et il englobe à présent les hommes politiques. Les gens de droite récusent souvent cette appellation car, statistiquement, on trouve parmi eux peu de hauts diplômés des universités et le terme d’intellectuel lui-même les dérange. Pierre Desproges plaisantait déjà à ce sujet : «tout me force à constater que l’intelligence est une qualité de gauche». Alors à droite ils préfèrent se dire militant ou écrivain nationaliste. Le cas de Robert Brasillach, fusillé en France pour faits de collaboration, est significatif de quelqu’un qui se targuait d’être un auteur engagé avant d’être intellectuel. Alain Soral qui est passé du parti communiste au Front national tient en revanche à être considéré comme «un intellectuel français dissident» tant la classification le dérange.
            Les intellectuels sont, depuis Zola, en majorité de gauche au point que certains voient dans l’expression «intellectuel de gauche» un pléonasme. Que ce soit en France ou en Israël, ils occupent le devant de la scène littéraire et souvent politique. Lors de conférences, ils enthousiasment un auditoire subjugué par leurs mots et enchanté par la manipulation du verbe. À notre époque, la qualification d’intellectuel devient de plus en plus rattachée à un engagement politique.
            Le philosophe communiste italien, Gramsci, avait justifié «le rôle du pouvoir des idées dans l’évolution politique d’un pays». François Mitterrand, qui adorait les Lettres, avait utilisé le pouvoir idéologique des intellectuels pour unifier et conquérir la gauche tandis que Jacques Chirac avait toujours affiché un grand mépris pour le monde des idées et avait aggravé le vide de la politique culturelle de droite. En Israël, les intellectuels constituent le socle de l’opposition en raison de la déroute des travaillistes et de l’atonie des centristes qui se cherchent encore. Nicolas Sarkozy n’a jamais fait de la culture sa priorité. Sa femme Carla s’était chargée d’utiliser ses contacts à gauche pour s’attirer à lui quelques signatures chargées de rehausser le niveau culturel de son entourage.
            Mais la spécificité française tend à rattacher la notion d’intellectuel à celle de protestataire ou d’homme de pensée qui pèse à tout moment sur la vie politique au nom d’une éthique supérieure. Dans les régimes forts, les intellectuels, qui disposent d’une protection que leur confère leur statut médiatique, ont d’ailleurs tendance à se substituer à l’opposition pour faire entendre une voix dissonante.  Les intellectuels aiment à se qualifier de gauche car ils estiment que seule la gauche a une vision plus idéologique et plus théorique de la société. D’ailleurs le communisme avait été fondé par de purs théoriciens qui se sont avérés incompétents dès qu’ils ont dû mettre en pratique les fruits de la divagation de leur esprit. Beaucoup avaient souvent abusé de leur aura.
Sartre, Gluksman, Aron

            En France, Jean-Paul Sartre, malgré toutes ses erreurs politiques et ses fantasmes, était plus connu que Raymond Aron, écrivain discret, et certainement plus convainquant que le philosophe Jean-François Revel. En Israël, les trois écrivains Amos Oz, A.B Yehoshua et David Grossman, qualifiés de gauche et par certains de gauchistes, ont été les vedettes des manifestations littéraires à Paris alors qu’aucun écrivain à droite n’avait émergé de l’intelligentsia israélienne. Certaines mauvaises langues attribuent l’engagement politique des intellectuels de gauche à une technique commerciale sournoise, chargée de faire parler d’eux puisqu’il est difficile de se faire publier en tant qu’inconnu du grand public. L’objectif avoué est alors de mobiliser la une des medias et les plateaux de télévision pour avoir une chance d’acquérir une place dans les esprits puis d’occuper celle des présentoirs des librairies. Alors par le jeu des colloques, des articles de journaux et des apparitions télévisuelles, les auteurs cherchent à obtenir une légitimité auprès de leurs pairs, même si les thèmes de leurs livres sont l’antithèse de leurs articles politiques.
Amos Oz, A.B Yeshoshua, David Grossman

            Amos Oz avait expliqué la problématique dans son style imagé ; il dispose de deux stylos, bleu et noir, l’un pour les romans et l’autre pour les articles de presse qui l’aident à promouvoir ses romans. Alors, comme il tient à ce qu’on parle de lui afin de diffuser ses œuvres, il se voit contraint d’attirer l’attention en choquant systématiquement par des prises de position politiques iconoclastes, par des scandales et par des coups médiatiques. D’ailleurs André Breton avait souligné «Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout». Cela n’enlève rien aux qualités de certains écrivains qui ont seulement compris qu’ils devaient provoquer en permanence les medias, et surtout les medias étrangers pour faire parler d’eux. Amos Oz n’avait pas fait dans la dentelle en comparant «l’ensemble des colons israéliens à des militants du Hezbollah». Ces propos avaient été relayés jusqu’à l’étranger à la grande joie de ses éditeurs.
BHL, Fabius, Kouchner 

            Cependant, les intellectuels finissent par avoir du pouvoir parce qu’ils donnent l’impression de convaincre. Ils ont en effet acquis une autorité morale, très souvent avec la complicité des medias. Bernard-Henry Lévy, porte-parole de la gauche, est toujours écouté quand il parle de la Yougoslavie ou du Pakistan, de la Libye et à présent d’Israël ou de la Palestine. L’échec de son épopée libyenne l’avait écarté pour un temps des medias. À ce propos, il avait eu une attitude ambiguë en se rapprochant de Nicolas Sarkozy pour tenter de grandir son image à travers le monde alors qu’il avait évité d’apparaître aux meetings de François Hollande.
            Le paradoxe des intellectuels tient au fait que leur pouvoir n’est plus seulement dans la pensée mais dans les propositions de solutions radicales qu’ils prônent. Bourdieu affirmait que «les intellectuels cessent d’exister dès qu’il neige sur l’écran de télévision». De là à devenir des démagogues, il n’y a qu’un pas que beaucoup franchissent.
David Remez

            En Israël, les gens de gauche ont été les inspirateurs de l’État d’Israël. David Remez, l’un des rédacteurs de la déclaration d’indépendance et théoricien de la Histadrout, écrivait des poèmes et développait l’hébreu moderne avant de devenir ministre de l’éducation. Berl Katznelson, perdu au fond d’un vieux fauteuil élimé, dans l’une des deux pièces aux étagères couvertes de livres où il vivait au cœur de Tel-Aviv, était l’inspirateur de Golda Meïr et de David Ben Gourion après avoir dirigé une librairie fortement fréquentée.
            Quelle que soit l’étiquette qui leur est accolée, les intellectuels ont surtout compris que s’ils ne se font pas connaître médiatiquement alors, malgré leur talent, ils seront moins lus sauf quand, à l’instar de Samuel Agnon, prix Nobel de littérature, ou de l’académicien Max Gallo, leur production littéraire est tellement abondante qu’ils deviennent des écrivains reconnus et très recherchés. 
Shai Agnon

          Mais l’envahissement des medias ne se fait pas sans une certaine dérive. On les voit partout. Les experts et les chercheurs ont été écartés au profit des écrivains qui ignorent les conseils du philosophe Michel Foucault de se cantonner à leur domaine de spécialisation. Alors les nouveaux intellectuels médiatiques parlent de tout et croient pouvoir donner leur avis sur tout uniquement pour entretenir leur visibilité et vendre leurs livres. N’est pas Camus qui veut qui croisait le fer avec Mauriac.
Michel Onfray

            Or nous constatons à présent une droitisation des intellectuels qu’on traite de néo-réactionnaires parce qu’ils ont voulu se distinguer des révolutionnaires d’avant 1968. Des maoïstes sont devenus les «nouveaux philosophes médiatiques» qui se sont donné pour tâche de défendre l’identité collective contre l’afflux des «barbares». Les intellectuels passent mieux à la télévision contrairement aux experts, aux chercheurs et aux universitaires plus familiers des amphithéâtres des universités que des plateaux de télévision. Ils maîtrisent les techniques audio-visuelles mais la raison de leur succès auprès du public reste l’inconnue. L'exemple de Michel Onfray est révélateur.

3 commentaires:

  1. Et si chacun se contentait de disserter sur les sujets pour lesquels il possède une certaine compétence au lieu de nous livrer"les fruits de la divagation de son esprit " ?

    RépondreSupprimer
  2. Véronique ALLOUCHE17 février 2016 à 09:44

    Intellectuels de droite et non des moindres: François Mauriac, Georges Bernanos, Paul Claudel, Henri de Montherland, Raymond Aron, Romain Gary, Jean d'Ormesson pour ne citer qu'eux.
    Giscard d'Estaing à Mitterand:
    "Vous n'avez pas le monopole du cœur".
    Je dirais aux intellectuels de gauche : vous n'avez pas le monopole de la pensée.
    Bien à vous, auteur et lecteurs de gauche.
    Veronique Allouche

    RépondreSupprimer
  3. Votre article est intéressant, comme souvent, mais pourquoi expédiez vous, comme ça, Jean François Revel, par exemple, qui ne serait "pas convainquant" en tout cas, bien moins qu'Aron?
    Je ne suis pas certain que vous l'ayez réellement lu, car il a eu, sur bien des plans, une approche au contraire très informée et très profondément analytique , servie par une très belle plume, ce qui ne gâche rien, et une culture exceptionnelle, notamment sur le plan philosophique.
    Je vous invite à le relire, qu'il s'agisse de la propension à ne pas voir la réalité, des automatismes antiaméricains, ou de la préférence pour le totalitarisme, s'il peut lui être joint une étiquette de gauche

    RépondreSupprimer