DES INSTITUTIONS JUIVES FRANÇAISES DÉSUÈTES
1/CRIF
Par Jacques BENILLOUCHE
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Les
institutions juives n’ont pas évolué depuis plusieurs années, parfois depuis
leur création et malgré l'arrivée massive de Juifs d'Afrique du nord. Le sentiment qui prédomine aujourd’hui est qu’elles sont
dépassées et peu adaptées à l’évolution politique du pays. Le CRIF est la première d'entre elles. Vieillissantes, elles sont dirigées par un collège de personnages qui s’accrochent à leur
fauteuil pour ne pas faire de place aux jeunes. La question se pose sur leur efficacité
sinon sur leur utilité. Elles sont gangrenées par des luttes intestines et des
combats de clans ainsi que par des élections peu démocratiques qui éliminent toute
possibilité de renouvellement des cadres.
Le président Roger Cukierman |
Anciennement
Conseil représentatif des israélites de France, le Conseil représentatif des
institutions juives de France est censé fédérer, au sein d'une seule
organisation représentative, les différentes tendances politiques, sociales ou
religieuses de la communauté juive de France. À ce jour, le CRIF fédère plus de
soixante associations dont le Fonds social juif unifié et l'Alliance israélite
universelle et parmi elles de nombreuses micro-associations. Il représente la communauté juive auprès des pouvoirs publics
mais, en s’inspirant des méthodes américaines, il tend de plus en plus à jouer
le rôle de lobby pro-israélien. Créé durant la guerre en 1944, le CRIF, qui œuvrait
en priorité pour la sauvegarde des Juifs
réfugiés en France, doit à présent réviser ses objectifs qui ne sont plus
adaptés à la communauté française en pleine évolution.
Le
CRIF ne représente plus la totalité des organisations juives puisque, pour des
raisons politiques ou religieuses, certaines associations n’en font pas partie
ou se sont retirées. En novembre 2004, le Consistoire central israélite de
France s’en est retiré tandis que le mouvement orthodoxe Loubavitch n’en a jamais fait
partie. Le virage du CRIF a été engagé en 2003. Il s’est fortement politisé en
prenant fait et cause contre les partis de Gauche jusqu’à les accuser, à
l’occasion du dîner du 27 janvier 2003, de représenter «l’alliance
brun-vert-rouge» antisémite. Ne pas inclure les religieux et les
orthodoxes ainsi que les Juifs de gauche devient donc très réducteur pour une association qui doit rassembler. Il ne
reste plus au CRIF qu’à rouler pour le Likoud ou pour la droite française.
Le président Prasquier entre Hollande et Sarkozy |
D’ailleurs,
contre toute attente, son président s’était ouvertement prononcé en 2007 en
faveur de l’élection de Nicolas Sarkozy alors que son statut lui imposait la
neutralité. Le CRIF s’est ensuite radicalisé avec la nomination comme vice-président
de Meyer Habib, ami et conseiller de Benjamin Netanyahou, qui a pris fait et
cause pour la droite au pouvoir en Israël. C’est d’ailleurs Meyer Habib qui, en
décembre 2009, a permis l'élection au comité directeur de Gilles-William
Goldnadel, marqué à droite, voire à l'extrême droite, avocat de Philippot du FN et
de Patrick Buisson ancien de Minute, qui applique le «concept
d'islamo-gauchisme» à tout ce qui n’est pas de droite.
Alain Finkielkraut |
Plusieurs personnalités françaises
ont pris position contre ce virage qui a d’ailleurs entraîné une rupture au
sein de l’organisation censée rassembler toutes les sensibilités juives. Pour
Alain Finkielkraut, «le pavillon d'Ermenonville est une merveilleuse salle
de Bar-Mitzvah. Voir cet endroit transformé annuellement en une espèce de
tribunal dînatoire où les membres du gouvernement français comparaissent devant
un procureur communautaire, cela me met très mal à l'aise». Jean-François
Kahn a estimé de son côté que le CRIF «est tombé entre les mains de courants alignés sur
la droite israélienne la plus intransigeante». D’ailleurs en 2009, l'Union
des Juifs pour la résistance et l'entraide (UJRE), mouvement né dans la
Résistance et cofondateur du CRIF, a décidé de suspendre sa participation à l’organisation
après avoir déclaré, dans une lettre ouverte, s'inquiéter «d’un
positionnement politique du CRIF en rupture avec ses valeurs fondatrices».
En
fait le CRIF est obsolète et il doit se réformer s’il veut retrouver son aura
d’après-guerre. Il faut d’abord qu’il se démocratise en ouvrant le vote à plus
d’électeurs car il y a des doutes sur la réelle démocratie qui règne au sein d’une
organisation où les dirigeants se passent les responsabilités
dans une sorte de copinage. Après deux mandats de 2001 à 2007, Roger Cukierman
a laissé ses pouvoirs à Richard
Prasquier de 2007 à 2013, pour les reprendre enfin en 2013 à 77 ans. La
personnalité du président n’est pas en cause car il s’agit d’un homme intègre,
honnête et compétent mais il serait temps de dépoussiérer l’organisation pour
laisser la place aux jeunes.
Meyer Habib |
Par
ailleurs, une constante volontaire ou non au CRIF gêne depuis sa fondation. Il semble que
les électeurs fassent barrage aux candidats séfarades puisqu’aucun d’entre eux
n’a eu le privilège d’être désigné à la tête du CRIF. Un certain racisme
communautaire semble privilégier cette discrimination. Selon l’un de ses
membres, «le président doit bien présenter physiquement, doit occuper un
poste honorable dans la vie professionnelle, doit être riche parce que le CRIF
n’a pas un grand budget, doit savoir parler en public et surtout improviser
devant les journalistes et, enfin, ne pas être trop marqué vis-à-vis
d’Israël». C’est d’ailleurs l’anti-portrait de Meyer Habib, l’ancien
vice-président, candidat malheureux, qui a renoncé au CRIF quand l’opportunité
d’être député lui a été offerte.
Arie Bensemhoun |
Il est vrai aussi que la maladresse du «jeune»
président du CRIF-Toulouse, Arie Bensemhoun, lui a coûté son élection à Paris.
En 2014, deux ans après les meurtres de Toulouse, il a appelé les Juifs à
quitter la France car il estimait que les "jeunes ne pouvaient pas pratiquer
leur religion sereinement". Cela faisait désordre pour quelqu’un qui devait
s’insérer au sein des institutions françaises et collaborer avec les instances
de l’État.
Il
est difficile de connaître l’influence réelle du CRIF tant auprès des Juifs que
du gouvernement français. Son action se limite à un dîner annuel mondain, à un
coût élevé pour éliminer la «classe populaire», auquel sont invités des personnalités
politiques françaises et des vedettes des medias et du spectacle. Il s’affiche
alors comme une passerelle entre la communauté juive française et les hauts
responsables politiques du pays.
La
population juive française a certes évolué à droite de l’échiquier politique,
pour ne pas dire à l’extrême droite. Le CRIF a enfourché cette stratégie ce qui
pousse certains Juifs à considérer qu’il ne peut plus représenter les Juifs français, parce qu’il est devenu la voix
de l'extrême droite israélienne. Roger Cukierman avait étonné avec sa
déclaration maladroite : «Le Front national est un parti pour lequel je ne
voterai jamais, mais c'est un parti qui aujourd'hui ne commet pas de violence.
Il faut dire les choses, toutes les violences aujourd'hui sont commises par des
jeunes musulmans». Il a par ailleurs tenu à distinguer le parti «pas
fréquentable» de sa dirigeante Marine Le Pen, qualifiée d'irréprochable car
il n'a «rien à lui reprocher personnellement».
À
la suite de cette déclaration et pour la première fois de son histoire, le
Conseil français du culte musulman (CFCM) a boycotté le dîner du CRIF du 23
février 2015 en raison des déclarations de son président, Roger Cukierman, jugées
par le CFCM «irresponsables».
Cette prise de position du président a donné de
l’eau au moulin de William Goldnadel qui a défendu la présidente du FN : «L'antisémitisme
issu de l'extrême droite, pour exister encore, est subalterne. Ce qui est
scandaleux, c'est que les propos de Roger Cukierman fassent encore scandale:
cela prouve la force de frappe de l'idéologie gauchisante. Depuis qu'elle est
présidente du FN, Marine Le Pen n'a fait effectivement aucune déclaration
anti-juive qu'on puisse lui reprocher».
Patrick Kron |
De nouvelles élections auront lieu
en 2016 sachant que le président actuel a annoncé qu’il ne se porterait pas
candidat, quoique… Le CRIF, ayant découragé les bonnes volontés, on ne voit pas le candidat qui répondrait
aux critères d’un bon président. Sauf à jouer aux chaises musicales en donnant
le poste à nouveau à Richard Prasquier pour six ans, certains se mettent à
espérer en une ouverture vers la société civile. Des rumeurs font état de
propositions faites à Patrick Kron (ex-Alstom) ou à Maurice Levy (ex-Publicis),
libérés de leurs occupations professionnelles. Mais qu’auraient-ils à gagner
alors qu’ils ont déjà eu tous les honneurs de la République ? Se plonger dans des querelles de clans
communautaires avec un code inconnu par eux, risque de les desservir. Il est donc fort probable que le CRIF retombe dans ses travers habituels.
Remarquable ce papier, Jacques: Totalement d'accord avec vous, sur toute la ligne. Je le reprendre en parti sur mon glob que vous connaissez
RépondreSupprimerJe n'aime plus le Crif moi aussi,la politique doit être absente de cet organisme,cela n'empêche pas qu'il ai ses propres idées mais ce n'est pas avec ça qu'il rassemblera la communauté nationale !
RépondreSupprimerJe partage vos commentaires concernant les institutions juives de France et en particulier le Crif qui est totalement obsolète. Le mouvement Siona qui est fort de 6000 adherents a suspendu son adhesion au Crif depuis plusieurs années .Plus de la moitié des organisations membres n'existent que sur le papier et l'adresse del'organidation est l'adresse personnel de son représentant. En plus son president actuel a coopté un certain nombre de "personnalités" à titre individuel.
RépondreSupprimerBien cordialement
Roger Pinto
President de Siona
Remarquable papier. Jacques as-tu une explication? J'avoue que voir des personnalités politiques se presser chaque année pour participer au fameux dîner mondain et un peu "tribunal" me laisse pantoise. Ces personnalités ont-elles vraiment peur de passer pour antisémites en déclinant l'invitation?
RépondreSupprimerJ'ai le souvenir d'un CRIF respectable (et respecté) il y a à peine 20 ans. Son président s'appelait Théo Klein et les démagogues de bas étage n'y avaient pas (encore) voie au chapitre ...
RépondreSupprimerTout le monde veut la place du Crif... C'est Theo Klein qui a lancé les dîners. C'est bien qu'une institution juive essaie de se faire entendre et soit écoutée et reçue par les autorités pour se battre contre l'antisémitisme et l'aveuglement des institutions et de leurs représentants. Si le CRIF ne représente pas toute la communauté c'est également parce que les autres veulent avoir accès directement aux autorités - la réaction de Siona est instructive, comme la position du Consistoire. Le président du CRIF doit connaître le fonctionnement des institutions françaises et avoir une créance morale sur l'Etat pour être considéré, sinon il ne sera pas reçu pour faire l'indispensable travail pédagogique.
RépondreSupprimerLes Français juifs qui sont, pour la plupart d'entre eux, assimilés à la Nation française, ont-ils besoin de ces sortes d'institutions communautaristes politisées ? Ou bien est-ce le pouvoir politique français qui encourage et promeut le communautarisme, qui a besoin d'institutions communautaires politisées qui soient à sa botte ?
RépondreSupprimerCe qui motive les Juifs a vouloir grimper l'echelle sociale, ce sont les postes honorifiques qu'ils peuvent recevoir. La vie politique francaise n'est plus favorable a cette ascension sociale des Juifs, il leur reste donc les instances communautaires. En general, ce sont les gens fortunes qui arrivent le mieux. En France, on tient compte aussi des formations educatives, professionnelles et intellectuelles. Ainsi, il n'est pas tres surprenant que ce soit un Juif riche qui siege a la tete du FSJU (et il n'est meme pas sur qu'il comprenne vraiment les enjeux sociaux de la Communaute). Au CRIF, c'est encore plus remarquable, quand on pense au tres faible resultat que cette organisation arrive a produire.
RépondreSupprimer@Marianne Arnaud
RépondreSupprimerLes Français juifs sont pour la plupart d'entre eux assimilés à la Nation française, mais est-ce tout à fait exact de penser que la Nation française les assimile entièrement à elle?
Ce soir une commémoration sera faite devant l'Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, j'espère ne pas devoir vous contredire mais j'ai le sentiment que la majorité des hommes et des femmes qui viendront rendre hommage aux victimes seront de confession juive.
Tout comme la commémoration annuelle de la mort d'Ilan Alimi.
Bien cordialement
Véronique Allouche
" Marqué à droite", vous écrivez cela comme "marqué au fer rouge ! "
RépondreSupprimerIl faudrait penser à sortir un peu et à lire d'autres journaux.
Toute L' Europe penche à droite et ce n'est pas un effet du vertige! Simplement la gauche s'est trompée depuis plus de trente ans et les peuples en ont pris conscience. En France, le PS ne représente plus les ouvriers et les classes moyennes mais les fonctionnaires et les bobos. Que le CRIF tienne compte des nouvelles sensibilités, du choix des électeurs israéliens exprimé 4 fois en faveur de Netanyahu, que le talent de GW Goldnadel soit reconnu et utiliisé, que le 100% séfarade Meyer HABIB soit au Palais Bourbon, tout cela contredit vos conclusions sans cesse rebattues. Mettez une bonne rasade d'eau fraîche dans votre verre et faites nous un article de réflexion.
En toute amitié .
@ Véronique Allouche
RépondreSupprimerVous avez raison, chère Véronique, l'assimilation cela doit fonctionner dans les deux sens. Et ceci me rappelle une anecdote. Ma fille ainée avait confié le réaménagement de son appartement à un architecte juif avec lequel elle avait sympathisé, et avait décidé de l'inviter à déjeuner avec son épouse.
"Nous ne mangeons que cacher, lui dit-il.
- Qu'a cela ne tienne, je vous cuisinerai un repas cacher.
- Mais les casseroles que vous emploieriez ne devraient avoir contenu que des denrées cacher !"
Ma fille est demeurée sans voix.
"Qu'est-ce que tu en penses, maman ?
- Je pense que tu dois renoncer à ce déjeuner car, visiblement, ce monsieur ne veut pas partager un repas avec toi !"
Très cordialement.
deux remarques : 1. il y a eu un Modiano président du CRIF, je suppose qu'il était sépharade 2. le CRIF n'a aucune influence ni crédibilité dans la République française, le succès de son dîner annuel est un leurre, il n'a pas et n'aura jamais l'influence de l'AIPAC, il ne finance pas les candidats aux élections, il ne peut en faire battre aucun, c'est une organisation mondaine qui voudrait faire de la politique mais qui n'en a pas les moyens (on n'est pas un lobby quand on n'a pas d'argent)
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