OBJECTIFS DE L’INTERVENTION RUSSE EN SYRIE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Gouvernement russe |
Chefs pasdarans |
Poutine s’est résolu à donner l’ordre d’attaque afin
de combler les défaillances militaires du Hezbollah libanais et des Pasdarans iraniens.
Mais il s’agit surtout pour lui d’installer une atmosphère favorable à une
solution acceptée en Syrie. Téhéran et ses Gardiens de la révolution se sont
montrés incapables de protéger le régime de Bachar Al-Assad sur le point de tomber
sous les coups de Daesh. Le Hezbollah, qui avait reçu la responsabilité de
sécuriser les environs du Golan, n’a pas été à la hauteur de la tâche qui lui a
été confiée.
Ces frappes concrétisent l’entrée en force de la
Russie sur la scène internationale du Moyen-Orient. Les Russes n’ont pas réellement l’intention
de porter un coup fatal aux troupes de l’État islamique mais de consolider les
troupes syriennes tout en s’interposant sur le terrain pour devenir des éventuels arbitres dans le cadre d’une solution négociée. Toute décision politique ne peut
être envisagée que si Bachar Al Assad maintient sa position au sommet du pays.
En fait, Poutine a manœuvré pour devenir le personnage clef capable d’imposer une
paix aux couleurs russes. Il avait anticipé sa stratégie en ne prenant jamais
de position ferme à l’égard de l’un ou l’autre camp et en agissant pour le
rapprochement entre puissances régionales.
Poutine et le prince Bin Salman à Moscou |
Il a certes défendu avec vigueur le régime de Damas
mais il a parallèlement collaboré avec l’Arabie saoudite sur le problème du
nucléaire iranien. Des responsables saoudiens, le prince Bin Salman en particulier, et russes se sont rencontrés
régulièrement et les liens tissés ont d’ailleurs permis de planifier une visite
du roi Salman à Moscou en fin d’année. L’Arabie saoudite y voit aussi son
intérêt puisque l’entrée de la Russie dans l’éventuel processus de paix minimiserait
en conséquence la participation de l’Iran à la table des négociations. Les
Russes n'ont pas négligé de prendre langue avec des responsables de l’opposition syrienne pour tenter
de les impliquer dans un processus de paix.
Poutine a la part belle dans cette affaire syrienne.
Il surfe sur le refus des Occidentaux d’envoyer des troupes sur le terrain
parce qu’ils gardent en mémoire le souvenir de l’échec irakien. Ils apprécient
donc l’aide qu’apportent les Russes à combattre Daesh après avoir convaincu les
pays arabes à participer à leurs actions, certes avec leurs moyens limités. Les
Occidentaux trouvent un intérêt à la participation des Russes aux combats car
ils limitent le rôle des troupes iraniennes dans la défense d’Assad et celui de
la Turquie d’Erdogan.
F16 en action |
La Russie a réussi à placer au second rang les
rivalités entre Arabes et Iraniens ce qui est positif pour trouver une solution
agréée par les deux bords. Poutine se place donc en parrain d’une reprise
pacifique des relations entre l’Iran et l’Arabie. Mais il est prudent et il ne
donne pas l’impression de vouloir en découdre avec l’État islamique. D’ailleurs,
selon des informations occidentales, son aviation ménage Daesh en ciblant en
particulier les rebelles syriens. Il veut éviter une implication militaire
profonde de son armée pour ne pas compromettre son rôle de médiateur.
Les frappes russes ont pour but d’abord de sécuriser
la base de Tartous tout en rassurant les minorités, en particulier alaouites,
face à l’expansion des djihadistes de Daesh. Poutine veut profiter de la
passivité occidentale pour forcer une solution à sa propre mesure, une solution
consistant à découper la Syrie sur des bases communautaires, celles d’avant
1920, pour faire disparaître les frontières actuelles et pour mieux instiller
son influence.
Une fois la situation sécurisée sur le terrain, sans
toutefois éradiquer Daesh, Poutine proposerait alors son plan en deux étapes.
Bachar al-Assad resterait à la présidence du pays mais une présidence
honorifique, une présidence pour inaugurer les chrysanthèmes. Pendant
six mois il se bornerait à remplir des fonctions protocolaires, non politiques,
aux termes desquels des élections législatives et présidentielles seraient
organisées par un gouvernement de transition. Bachar Al-Assad serait ainsi
assuré de quitter le pouvoir la tête haute et surtout en vie.
Mais pour que son scénario fonctionne, Poutine doit
s’assurer de la neutralité d’Israël. Lors de ses entretiens avec Netanyahou, il
a réitéré sa volonté de garantir la sécurité d’Israël en échange d’un arrêt des
frappes israéliennes contre l’armée syrienne car elles affaiblissent Al-Assad.
En effet, Israël réagit violemment à toute action militaire provenant du coté
syrien. Il en a été ainsi après le tir de deux roquettes tombées au Golan. La
réaction immédiate de Tsahal a consisté à frapper le poste de commandement de l’artillerie
de la 90ème brigade de l’armée syrienne. À cette occasion, Le
ministre israélien de la défense a bien confirmé qu’Israël imposait une «tolérance
zéro». Les services de renseignements confirment que ces tirs sont une
provocation délibérée du général iranien des Gardiens de la révolution, Saeed
Azadi, coordonnateur en Syrie des opérations contre Israël. Le général Azadi a
remplacé le général Ali Allah Dadi, éliminé le 18 janvier par une frappe d’Israël
alors qu’il se déplaçait près de Quneitra avec des chefs du Hezbollah. Le général Azadi veut ainsi prouver son indépendance vis-à-vis des Russes.
Général Dadi |
Les frappes russes ouvrent une nouvelle ère dans la
région. Paradoxalement, elles ont été critiquées par les États-Unis parce
que la Russie impose sa présence militaire et politique dans la région alors
que les gendarmes, jusqu’alors, étaient américains. La Russie exige par ailleurs que les avions
américains restent en dehors de ciel syrien ce qui est inacceptable pour Barack
Obama qui juge les frappes «inutiles». Israël y voit de son côté une
atteinte à sa liberté de lancer son aviation militaire à travers le Liban et la
Syrie, si des zones d’exclusion aérienne sont instituées. Par ailleurs, il y a
risque de télescopage des aviations américaine, russe et israélienne.
Le
ministre israélien de la Défense Moshe Yaalon a nié qu'Israël coordonnait ses
opérations avec l'armée russe, soulignant que Tsahal avait toute liberté
d’action en Syrie et continuera d'empêcher les livraisons d'armes aux
organisations terroristes et au Hezbollah. Mais il n’a pas nié avoir été surpris
par cette accumulation de moyens russes en Syrie. Il est certain qu’en se
désengageant du Moyen-Orient, les Américains ont laissé une place libre qui a
été vite comblée par les Russes.
L'Iran, s’étant arrangé avec les USA, se dégage de la Syrie; Assad , isolé demande et trouve le soutien de Poutine. C'est l'Orient
RépondreSupprimerCher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerAprès la Pax Romana, la Pax Americana, verra-t-on une Pax Russiana ?
Quoi qu'il en soit, on ne peut nier que Poutine est le maître incontesté du jeu. Il reprend la main là où les Occidentaux n'ont réussi qu'à semer le plus grand désordre depuis des années. L'Afghanistan ne leur a pas servi de leçon pour l'Irak. L'Irak ne leur a pas servi de leçon pour la Libye, et la Libye ne leur a pas servi de leçon pour la Syrie.
Il était temps de mettre fin à cette course au désastre planétaire. Il faut souhaiter le succès des opérations qui se préparent et l'éradication de ce nouveau nazisme qu'est l'État islamique.
Très cordialement.