L’ÉTAT ISLAMISTE PREND DES RISQUES
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
Les miliciens de Daesh n’ont
jamais cherché à affronter directement Israël au Golan ou indirectement à la
frontière jordanienne car ils savent que la réaction de Tsahal serait immédiate
et destructive. Daesh sait mesurer ses risques. Jusqu’à présent Israël
intéressait peu ces djihadistes dont l’idéologie les pousse à islamiser d’abord
les terres musulmanes, et de préférence les États faibles. Ils n’ont jamais
soutenu la cause palestinienne et n’ont pas appelé à combattre l’État Hébreu en
précisant que «Dans le saint Coran,
Allah ne nous a ordonné de combattre Israël ou les Juifs qu’après avoir
combattu les renégats et les hypocrites». Daesh n'a donc pas pris part au conflit palestinien et a engagé une guerre
confessionnelle dans le monde musulman.
Mais le paradoxe tient dans sa position
contradictoire quand il déclare la guerre totale «aux Juifs et aux Chrétiens».
Il est accusé de disloquer le monde arabe dans le plus grand intérêt
d’Israël. Les pays arabes accusent Daesh
de lâcheté puisqu’il n’ose pas se frotter aux Israéliens qui sont pourtant à un
jet de pierre de ses positions. Cela démontre surtout la limite du fanatisme
des djihadistes qui savent jusqu’où ne pas aller trop loin. S’ils s’amusaient à
tirer quelques obus sur les positions israéliennes, leur disparition de la
région serait assurée. Certains analystes arrivent ainsi à la conclusion
simpliste que la neutralité d’Israël pourrait être considérée comme une
complicité de fait dès lors que Daesh fait une partie du boulot incombant à l’État
juif.
Mais leur stratégie semble
subitement avoir changé puisqu’ils ont décidé de s’attaquer à l’Égypte qui
dispose d’un régime fort et d’une armée bien équipée. L’État islamique prend
même le risque de s’approcher des frontières d’Israël totalement surveillées
par Tsahal. Les motivations de Daesh sont
difficiles à comprendre. Il donne l’impression de suivre à présent les
directives d’Abu Bakr Al-Baghdadi qui avait annoncé l’an dernier la création du
califat de l’État islamique depuis sa chaire de Mossoul. Il avait donc demandé
cette année à ses partisans de marquer cette même période de Ramadan par une
vague d’attentats qui devaient marquer les esprits.
Miliciens tués au Sinaï |
Finie ainsi la légende du
terroriste isolé qui agit de son plein gré. Simultanément, le 26 juin, un
kamikaze a tué 25 fidèles et blessé 200 personnes dans une mosquée chiite du Koweït.
En Tunisie, à Sousse, 39 étrangers ont été tués dans un hôtel de touristes.
Enfin, en Égypte, une bombe a explosé dans le train Le Caire-Alexandrie.
Al-Adnani, porte-parole de l’État islamique a confirmé cette stratégie en
précisant qu’il voulait faire «de Ramadan un mois de catastrophes pour les
infidèles».
Renforts égyptiens au Sinaï |
En s’attaquant
directement à l’armée égyptienne au nord du Sinaï, à Sheikh Zuwaid, proche de
la frontière israélienne et en menant une opération militaire de grande
envergure, Daesh prend le risque de pousser Israël à sortir de sa neutralité.
Il s’agit d’une opération planifiée à grands renforts de moyens, de
lance-missiles, de mitrailleuses lourdes et de dizaines de 4x4. De son côté, l’armée
égyptienne a riposté avec des hélicoptères Apache et des avions de combat F-16.
Les forces égyptiennes et les assaillants ont subi de lourdes pertes, une
centaine de morts et de nombreux blessés de chaque côté.
Plusieurs thèses expliquent ce
changement de tactique de Daesh. Des déconvenues sur le terrain en Syrie poussent
les djihadistes à rechercher des victoires sur d’autres terres de conquête. En
effet, les combattants kurdes ont chassé de la ville syrienne de Tall Abyad,
frontalière de la Turquie, les djihadistes
qui l’occupaient depuis plus d’un an. Par ailleurs, le groupe terroriste Etat islamique a perdu, à la suite de l'intervention de la coalition dirigée par les Etats-Unis, 26% du territoire qu'il contrôlait en Irak et en Syrie à l'apogée de l'offensive lancée l'an dernier. Daesh cherche donc à inscrire une
victoire pour remobiliser ses troupes. Toutes les méthodes sont bonnes
puisqu’il pourrait aussi contraindre les États-Unis à intervenir si la Force
Multinationale, située dans le Sinaï et constituée d’une majorité de militaires
américains, était attaquée. En ouvrant un nouveau front, Daesh espère par
ailleurs soulager ses troupes en Syrie et en Irak qui subissent les frappes de
la coalition.
L’offensive islamiste dans le
Sinaï a été menée par les djihadistes du groupe Ansar Al-Maqdis, qui viennent
de faire allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi. Ils ont été rejoints par des
éléments venus de Libye. À noter que les attaques surviennent au lendemain de
l'assassinat du procureur général d'Égypte dans un attentat à la bombe contre
son convoi au Caire. Il s’agit du plus haut représentant de l'État tué depuis
le début de la vague d'attentats islamistes. Le président al-Sissi avait refusé
d’intervenir militairement au sol en Libye contre l’État islamique. Il
craignait d’être pris en étau par des djihadistes qui pouvaient radicaliser
encore les Frères musulmans. Il s'était cependant placé en première ligne de la
lutte contre le terrorisme et il en paie une certaine conséquence.
Djihadistes européens |
L’État islamique ne représente
pas uniquement un groupe d’assassins chargé de semer la terreur mais une
organisation dont le but est de réinstaller l’islam à travers le monde, comme du temps de Mahomet. Il a compris qu’il
doit exploiter la fougue et la naïveté des jeunes musulmans des pays arabes et d'Europe pour faire remonter
son idéologie depuis la base, par la violence s’il le faut puisque c’était la
méthode utilisée par le Prophète. Totalement intoxiqués, il est difficile de
raisonner des miliciens à qui on a inculqué que, par principe, un musulman laïc
est un hérétique qui mérite la décapitation. Ils arrivent ainsi à communiquer
la peur dans tous les pays musulmans qui n’entrevoient plus leur salut qu’à
travers Israël, le seul pays disposant d’une armée capable de combattre et de détruire
ces hordes barbares.
La Jordanie, l’Arabie saoudite
et même l’Égypte ont compris la finalité de ceux qui veulent les détruire. Le
rapprochement d’Israël avec ces trois États a poussé Daesh à envisager
d’affronter Israël, de manière indirecte via l’armée égyptienne. Les Israéliens
ne sont pas tombés dans le piège d’une intervention au Sinaï. En revanche, ils
fournissent toutes les informations satellitaires dont ils disposent et ont
autorisé l’Égypte à introduire plus de soldats dans la péninsule et plus de
matériel lourd, limités par les accords de 1979. L’armée égyptienne est capable
d’endiguer l’implantation terroriste au Sinaï après avoir isolé la bande de
Gaza du Sinaï.
F-16 égyptien |
L’Égypte doit réagir au drame
douloureux subi par l'armée égyptienne dans sa guerre contre la terreur
islamiste. Elle a constaté que cette attaque avait été bien planifiée, à la
manière d’une opération militaire. Pour éviter toute infiltration de commandos
à l’intérieur d’Israël, Tsahal a décidé
d'augmenter ses moyens le long de la frontière à titre de message aux
djihadistes. L’Égypte a payé un lourd tribut dans sa lutte contre l'organisation
terroriste ce qui met un doute sur les capacités opérationnelles de l'armée
égyptienne qui a besoin d’Israël pour les informations sécuritaires provenant
des drones de Tsahal. L’attitude ambiguë du Hamas est à souligner car l’organisation
qui a mené l’opération est Ansar Bayit al-Maqdes, bras armé d’Al-Qaeda et
sous-traitant du Hamas. Ce groupe a abandonné Al-Qaeda pour faire allégeance à Daesh.
Cela risque de compromettre le rétablissement des liens entre l’Égypte et le
Hamas.
Nasser Al-Hafi |
Il est fort probable que cette
grave attaque n’entamera pas la détermination d’Al-Sissi qui devrait donc
intensifier sa guerre totale contre les terroristes du Sinaï. Le président
égyptien semble déjà avoir pris des mesures puisque, le 1er juillet,
neuf cadres des Frères musulmans, tous avocats et parmi eux Nasser Al-Hafi ancien
membre de l'Assemblée du peuple dissoute en 2012, ont été éliminés par la
police égyptienne. Ils étaient accusés de participer à une réunion pour planifier
un certain nombre d'actes de sabotage. Pour se justifier, le ministère de
l'Intérieur a déclaré que «les forces sécuritaires ont trouvé dans l'appartement des fusils
automatiques et des munitions de balles, en plus d'un certain nombre de
documents dont l'un avait pour titre «le combat décisif », et dans lequel figurait
un plan intitulé " le jour décisif" comprenant des recommandations
adressées aux cadres de la Fraternité,
les appelant à être patients et déterminés dans la poursuite du Jihad».
Israël surveille les événements de très près et évitera toute provocation de la part des bandes armées du Sinaï tant qu'elles concentreront leurs actions en dehors du pays. Tsahal a dépêché des troupes en renfort à la frontière égyptienne dans une démonstration de force à destination de Daesh. Par mesure de sécurité, la route 12 qui longe la frontière égyptienne a été fermée provisoirement aux civils.
Pour reprendre ta citation:
RépondreSupprimer«Dans le saint Coran, Allah ne nous a ordonné de combattre Israël ou les Juifs qu’après avoir combattu les renégats et les hypocrites».
Autrement dit ils purifient les leurs avant de s'attaquer aux autres, c'est à dire à nous.
Dans ce contexte pourquoi attendre et regarder passivement ce qui se passe de l'autre côté sachant qu'un jour ils attaqueront le nôtre.
A mon avis il vaut mieux être dans l'offensive que dans la défensive car si par malheur Israël devait être attaqué, il ne faudra pas beaucoup compter sur l'aide des occidentaux.
"A la fin, disait Martin Luther King, nous ne nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis, mais des silences de nos amis".
Bien cordialement
Véronique Allouche
Excellent article. Merci.
RépondreSupprimerBonne analyse
RépondreSupprimerMille regrets, cher monsieur Benillouche, l'EI est devenu le cadet des soucis de notre classe médiatico-politique, depuis que la menace de la suppression des Guignols de l'info plane sur le PAF !
RépondreSupprimerCordialement.
... A la place de Bibi, je proposerais d'éradiquer définitivement Daesh en une semaine au plus, à condition de ne plus considérer Israël comme un pays barbare, comme le conçoit actuellement l'occident...
RépondreSupprimerDans le cas contraire, ce même occident va comprendre ce que subit Israël depuis 68 ans...
Claude.
Ps : Véronique n'a pas tout à fait tort !
@marianne Arnaud
RépondreSupprimer.....sans oublier les consignes de sécurité extrêmes diffusées en boucle concernant la canicule et les bouchons des premiers départs en vacances, bien plus dramatiques que Daech et consorts...
Bien à vous
Véronique Allouche