L’ACCORD NUCLÉAIRE BOULEVERSE
L’ORDRE ÉTABLI AU MOYEN-ORIENT
Par Jacques BENILLOUCHE
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Le scénario qui s’est joué à Vienne ne concernait pas fondamentalement le seul
problème du nucléaire iranien. Les États-Unis avaient pour objectif de
rééquilibrer les alliances de la région, voire de recomposer le paysage
politique du Moyen-Orient. Bien sûr, à la base, il fallait empêcher l’Iran
d’acquérir l’arme nucléaire en contre partie de la levée des sanctions. Mais,
le nucléaire iranien n’était pas la
seule préoccupation du groupe P5+1 comprenant les États-Unis, la France, la
Grande-Bretagne, la Russie, la Chine et l’Allemagne.
Chacun de ces pays y puisaient
ses propres intérêts, économiques et politiques. Certes la diminution du nombre
de centrifugeuses en fonctionnement et le contrôle des sites iraniens par
l’AIEA (Agence Internationale de l'énergie atomique) constituaient pour les
Occidentaux des gages de bonne volonté. Mais en réalité, ils entérinaient le retour
de l’Iran dans le concert des Nations non terroristes.
Face
au déferlement du Daesh, les Américains avaient besoin d’un nouveau partenaire
stratégique, celui qu’ils avaient perdu avec la révolution islamique de 1979. Cette volonté se profilait depuis plusieurs mois déjà, depuis la mainmise de l’État
islamique sur plusieurs pays arabes. Les gouvernements tombaient les uns après
les autres et il fallait trouver une parade à la gangrène djihadiste qui se
répandait.
Par ailleurs après les déconvenues qu’ils ont subies, les États-Unis
ne faisaient pas mystère de leur volonté de se désengager du Moyen-Orient trop
coûteux en hommes et en budget. Enfin, leur situation énergétique
s’était éclaircie puisqu’ils dépendaient moins du Moyen-Orient pour leur
approvisionnement en pétrole. Alors, les Américains n’attendaient que l’occasion.
Le président Hassan Rohani avait compris de son côté que le danger djihadiste,
à sa porte, labourait ses propres terres. L’avenir de son pays passait donc par
un rapprochement avec la première puissance mondiale.
Cela dit, la méthode brutale et cavalière
utilisée par les États-Unis à l’encontre de ses trois alliés naturels et
historiques, l’Arabie saoudite, l’Égypte et Israël avait choqué les
chancelleries. Ces trois pays ont donc estimé qu’ils devaient constituer un
front commun contre un Iran nucléaire dominateur. De nouvelles alliances se
sont nouées aux antipodes des stratégies arabes antérieures. Israël n’était
plus le petit Satan.
A priori, si l’on fait confiance aux
négociateurs européens, le danger d’une bombe nucléaire semble pour l’instant,
sinon écarté, au moins reporté. Mais Israël craint que la levée des sanctions
et la liberté retrouvée d’exporter son pétrole donnent à l’Iran une puissance
financière avec des implications certaines sur les conflits de Gaza, d’Irak, de
Syrie, du Yémen et du Liban. Certes Israël ne craint pas un retournement
d’alliance de la part des Américains car il fait partie intégrante du noyau dur
sécuritaire au Proche-Orient.
Mais l’accord engendrera une course aux
armements et, par conséquent, une volonté de certains pays de s’équiper en
nucléaire à l’instar de l’Arabie saoudite qui craint le plus l’Iran. L’accord aura
pour conséquence de générer de nouvelles peurs au sein des pays arabes. Un
autre aspect de cet accord n’est pas négligeable. Les Occidentaux attendent
avec impatience de lancer leurs entreprises à l’assaut d’un pays qui a été
boudé durant de nombreuses années et dont les équipements sont obsolètes. En
particulier, la France et les États-Unis retrouvent un client sérieux avec un
fort potentiel. Au-delà de la nécessité de neutralisation du nucléaire iranien,
la participation au développement de l’Iran est devenue une option non
négligeable.
La capacité de nuisance de l’Iran sera
réactualisée et par conséquent les fournisseurs d’armes reprendront du service.
L’Arabie saoudite s’est déjà empressée de signer avec la France un contrat de
446 millions d’euros pour l’achat de 23 hélicoptères militaires H145. Elle envisage
aussi d’acquérir une trentaine de vedettes garde-côtes pour la surveillance de
ses frontières. Enfin, la France est bien placée pour remporter un contrat pour
doter le Royaume de deux réacteurs nucléaires EPR. Mais l’Arabie saoudite,
prudente, n’a pas abandonné pour autant son fournisseur officiel américain.
Encore un petit effort |
Les États-Unis s’étaient appuyés sur l’Arabie
saoudite pour s’opposer à l’extrémisme sunnite mais à présent ils confient à
l’Iran le rôle de défenseur de l’islam chiite. Cette montée en puissance de
l’Iran inquiète l’Arabie saoudite qui est consciente qu’elle ne dispose pas d’une
puissance militaire et démographique comparables. L’Arabie interprète cet
accord sur le nucléaire comme le déclin hégémonique du monde arabe au profit
des Perses.
Les Américains et les Iraniens ne retrouveront pas pour autant les
liens étroits d’amitié du temps du Shah car le régime des mollahs n'a pas la même conception de la démocratie; il applique encore
une politique répressive et expansionniste. La confiance n’est pas rétablie et
elle mettra du temps à se mettre en place. A priori rien ne changera dans la
région mais de nombreux conflits seront impactés par la nouvelle donne politique.
Téhéran entend profiter de l'accord signé pour reprendre toute sa place dans
son environnement régional et, voire, pour bousculer certains voisins sunnites.
Le pari américain est risqué car la politique
étrangère iranienne ne subira de changement que si des réformes internes sont
mises en œuvre. L’Iran, réintégré au concert des Nations, ne donne cependant aucune
garantie sur le respect des règles régissant la communauté internationale. Les
Américains misent cependant sur l’aile modérée et réformatrice de l’Iran représentée
par le président Hassan Rohani et le ministre des affaires étrangères Mohammad Zarif
qui semblent prendre de l’ascendant sur les conservateurs symbolisés par le
général Qassem Soleimani. Ils comptent aussi sur le peuple iranien en espérant
qu’il ne restera pas inactif après cet accord.
Général Qassem Soleimani |
Les Iraniens, qui ont trop souffert des
sanctions, pourraient se montrer réticents à dilapider la nouvelle manne financière
au profit d’un financement des conflits étrangers alors qu’ils souhaitent l’amélioration
de leurs conditions matérielles. Cela suppose que l’Iran mette fin à sa
stratégie d’expansion idéologique en Irak, en Syrie, au Yémen et au Liban. Tout
dépendra du rôle que jouera à l’avenir le général Qassem Soleimani, commandant
d'al-Qods, l'unité des Gardiens de la révolution chargée des opérations
militaires et du renseignement à l'extérieur de l'Iran depuis 1998, devenu le principal
représentant du soutien aux gouvernements irakien et syrien. Habituellement
homme de l'ombre, Qassem Soleimani est récemment apparu à Tikrit aux côtés de
milices chiites, ce qui fait de lui une des principales figures de la lutte
contre l'État islamique.
Le paysage politique au Moyen-Orient sera en
complète recomposition après l’accord nucléaire iranien. Il pourrait avoir des
conséquences plus tranchées que les révolutions du «printemps arabe».
Je comprends les Américains qui veulent se débarrasser de leurs encombrants alliés saoudiens ou égyptiens... Une date, 11 septembre 2001. Ce n était pas des Iraniens qui se se sont faits exploser.
RépondreSupprimerLes Américains ne peuvent pas se débarrasser (pour autant qu'ils en auraient l'envie... ) de leur encombrant allié égyptien car seuls les millions de dollars déversés sur l'Egypte permettent à ce pays ,aujourd'hui surpeuplé ,de survivre ,en important massivement nourriture et biens de consommation
RépondreSupprimerL'Iran veut être reconnue comme une Puissance qui compte dans le monde et je suis convaincu que les menaces contre Israël sont pure rhétorique .Je trouve affligeant que beaucoup continuent de les prendre pour des imbéciles irresponsables
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