EFFICACITÉ DOUTEUSE DES FRAPPES CONTRE L’É.I
Par
Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
Défilé nocturne de l'Etat islamique |
L’Occident a du mal à trouver la bonne mesure pour
s’attaquer aux djihadistes de l’État islamique. Après une longue période injustifiée
de neutralité, les États-Unis ont enfin décidé de les attaquer tout en suscitant l’émergence, contre eux, d’une levée de boucliers de la part des
sunnites. Le bien-fondé de leurs actions est mal compris des sunnites qui
estiment avoir été toujours maltraités, aussi bien en Syrie qu’en Irak, alors
qu’à présent ils peuvent relever la tête face à des chiites envahissants. Ces
nouveaux terroristes, pourtant sanguinaires, leur ont redonné un honneur bafoué
par des dictatures qui les ont ignorés, sinon écrasés.
Cliquer sur la suite pour voir et entendre le témoignage d'un Irakien
Erreur d’évaluation
Le président Barack Obama, dans une
interview à Radio Canada, a reconnu implicitement qu’il avait commis une erreur
dans l’évaluation de la menace posée par l’État islamique en Syrie et en Irak. Il
a surestimé les capacités militaires de l'armée irakienne. Il s’était totalement
trompé de stratégie en croyant pouvoir isoler les extrémistes, pour ensuite les
éradiquer. Il s’était montré optimiste en croyant qu’en aidant les rebelles
modérés, ceux-ci pourraient vaincre à la fois le régime de Bachar al-Assad et
les djihadistes.
Les Américains avaient pourtant obtenu un premier succès diplomatique avec le changement de premier ministre en Irak, l'ancien étant entièrement dévoué aux Iraniens ; Haider al-Abadi a été désigné pour remplacer Nuri al-Maliki. La nouvelle gouvernance irakienne a pour mission de modifier la politique suivie, totalement pro-chiite, afin de ramener à elle d’anciens hauts dirigeants et les sunnites mécontents qui ont déserté le pouvoir en Irak.
Haider al-Abadi |
Les Américains avaient pourtant obtenu un premier succès diplomatique avec le changement de premier ministre en Irak, l'ancien étant entièrement dévoué aux Iraniens ; Haider al-Abadi a été désigné pour remplacer Nuri al-Maliki. La nouvelle gouvernance irakienne a pour mission de modifier la politique suivie, totalement pro-chiite, afin de ramener à elle d’anciens hauts dirigeants et les sunnites mécontents qui ont déserté le pouvoir en Irak.
Mais les résultats n’ont pas été à la hauteur des
espérances car l’E.I s’est interposé pour briser ce projet. Au contraire, les Américains ont créé une union imprévisible entre anciens belligérants. Les milices d’al-Nusra, qui étaient en désaccord avec l’État
islamique il y a moins d’un an, l’ont rejoint à présent. Or, les avions de guerre américains frappent
al-Nusra en faisant peu de dégâts, donnant l’impression qu’ils favorisent le
régime d’Assad, également menacé par l’État islamique.
De nombreuses personnalités de l’opposition syrienne s’interrogent sur les intentions à long terme de l’administration américaine. Évaluées initialement à 10.000 combattants, les troupes de l’E.I alignent aujourd’hui 30.000 guerriers bien entraînés. Seul le général Sir David Richards, commandant de l’armée britannique, a le mieux appréhendé la situation en déclarant qu’il faudrait 100.000 soldats sur le terrain pour faire face à l’État islamique et en postulant «sinon la guerre va se poursuivre pour toujours».
Salut les copains ! Nous sommes en route pour l'Irak. Nous avons besoin de quelques tuyaux : comment bombarder en utilisant une méthode humanitaire chirurgicale. |
De nombreuses personnalités de l’opposition syrienne s’interrogent sur les intentions à long terme de l’administration américaine. Évaluées initialement à 10.000 combattants, les troupes de l’E.I alignent aujourd’hui 30.000 guerriers bien entraînés. Seul le général Sir David Richards, commandant de l’armée britannique, a le mieux appréhendé la situation en déclarant qu’il faudrait 100.000 soldats sur le terrain pour faire face à l’État islamique et en postulant «sinon la guerre va se poursuivre pour toujours».
La question de l’efficacité des frappes est soulevée
car les troupes de l’E.I sont à moins d’un kilomètre de Bagdad. Dans une
interview, Canon Andrew White, vétéran de Bagdad, a confirmé que les frappes
aériennes américaines se sont avérées inefficaces contre l'État islamique et qu’elles n'avaient frappé malheureusement que des civils qui ont peur : «Les troupes au sol sont nécessaires». À 80 kms au nord-ouest de la capitale, les terroristes de l’E.I assiègent une base de l'armée irakienne tandis qu’un certain nombre de
soldats de la base Albu Aytha se sont enfuis avant l’arrivée des troupes
djihadistes.
Action symbolique homéopathique
Les observateurs se demandent si la coalition occidentale
ne cherche pas uniquement à brandir une menace symbolique ou homéopathique. Six
avions de chasse britanniques sont retournés à leurs bases à Chypre sans tirer
un seul missile, parce qu’ils n’avaient pas été briefés sur la nouvelle localisation des
objectifs de l’État islamique à bombarder. Peut-être qu'après la décapitation d'un de ses citoyens, la Grande-Bretagne va s'impliquer de manière plus active dans la chasse aux terroristes.
Par ailleurs, les avions américains se sont aliénés les populations civiles en bombardant des silos à grains à Alep et une raffinerie à Deir Al-Zour, avec pour conséquence de priver les habitants de la région de pain et de carburant à l’approche de l’hiver.
Par ailleurs, les avions américains se sont aliénés les populations civiles en bombardant des silos à grains à Alep et une raffinerie à Deir Al-Zour, avec pour conséquence de priver les habitants de la région de pain et de carburant à l’approche de l’hiver.
Fidèles à leur stratégie, les djihadistes de l’E.I
se sont fondus parmi les habitants de Mossoul, de Deir ez-Zor, et de Rakka, afin
d’entraîner les Occidentaux dans une guerre de guérilla pour laquelle ils sont des
experts. Repoussé sur certaines zones, l’E.I a prospéré sur d’autres terres en
se rapprochant de plus en plus de Bagdad. L’enclave kurde d’Ain Al-Arab à la
frontière turque est d’ailleurs sur le point de tomber.
Des soldats turcs près du poste-frontière de Mursitpinar, donnant sur la ville syrienne de Aïn al-Arab, d'où une fumée s'échappe. |
Paradoxalement les actions américaines sont à
présent critiquées, d’une part parce qu’elles arrivent trop tard mais aussi parce
qu’au lieu de défaire le régime syrien, les frappes touchent les ennemis de
Bachar Al-Assad. Cette guerre est alors considérée comme une guerre contre
l’islam, en quelque sorte une guerre de religions ou une nouvelle croisade.
Ces critiques sont en particulier venues de l’organisation Harakat Hazzm, «Mouvement de fermeté», une alliance de rebelles syriens modérés auto-déclarés, constitué d’une douzaine de groupuscules. Alors qu’elle a reçu, par une «source occidentale», des missiles antichars BGM-71 TOW, elle est la plus critique à l’encontre des Américains parce qu’elle prétend, selon elle, que les frappes évitent les véritables cibles et touchent surtout des civils.
Ces critiques sont en particulier venues de l’organisation Harakat Hazzm, «Mouvement de fermeté», une alliance de rebelles syriens modérés auto-déclarés, constitué d’une douzaine de groupuscules. Alors qu’elle a reçu, par une «source occidentale», des missiles antichars BGM-71 TOW, elle est la plus critique à l’encontre des Américains parce qu’elle prétend, selon elle, que les frappes évitent les véritables cibles et touchent surtout des civils.
Jabhat Al-Nusra
Les États-Unis ont ignoré les appels à l’aide en
Syrie pendant trois ans et ont laissé prospérer une lèpre qui a réussi à
s’étendre impunément. Aujourd’hui, ils ont fait le projet de former et d’équiper
5.000 rebelles syriens mais aucun début de réalisation n’est en vue. À vouloir faire
une guerre propre contre des égorgeurs sanguinaires, sans foi ni loi, et éviter
les dégâts collatéraux contre les civils malgré des bombes à guidage de
précision, les frappes ne touchent pas les djihadistes qui narguent les Occidentaux sur toutes
les routes d’Irak à bord de leur matériel tout neuf. Il est vrai que l’E.I
avait anticipé ces frappes en déplaçant la totalité de ses forces dans de
nouvelles positions et que les avions n’ont eu à détruire que des pierres.
Jabhat Al-Nusra |
Certes, les États-Unis ont ciblé Jabhat Al-Nusra, le
groupe le plus puissant qui combat le régime de Syrie. Mais ce groupe, bien
qu’affilié à Al-Qaeda, est considéré comme l’un des plus modérés et des plus
efficaces contre l’armée de Bachar Al-Assad. La conséquence a été immédiate puisque, par solidarité sunnite, Jabhat
Al-Nusra s’est lié avec l’E.I pour affronter leur nouvel ennemi commun, les États-Unis.
Ces deux groupes parcourent la campagne irakienne pour encourager les civils à
rallier leur camp et leur réussite est étonnante ce qui explique la croissance
de l’effectif humain de l’E.I. Alors que la plupart des chiites font confiance à
l'armée irakienne, les sunnites sont restés extrêmement méfiants et ils
refusent de collaborer avec elle. L’intervention américaine dans le conflit a
réussi à fédérer les sunnites et les a poussés à combattre non pas l’E.I mais les
Américains.
Le groupe
Khorasan, qui regroupe quelques dizaines d'anciens membres d'Al-Qaeda opérant
dans la région de la frontière entre l'Afghanistan et du Pakistan, s’est
redéployé en Syrie. Les frappes aériennes américaines, menées en septembre
contre ce groupe, n'ont pas permis de
l’avis des responsables américains d'enregistrer de succès significatifs.
Malgré des frappes exécutées à l'aide de missiles Tomahawk, de nombreux
dirigeants et membres de cette organisation sont parvenus à s'échapper. Ces terroristes auraient même réussi à prendre la fuite avec des engins explosifs
perfectionnés qu'ils prévoyaient d'utiliser pour une attaque contre des avions
de ligne.
Scepticisme du Pentagone
Les frappes devaient, selon le contre-amiral John Kirby, porte-parole
du Pentagone, enrailler «un projet
d'attaque imminente contre les États-Unis et des cibles occidentales». Mais
James Comey, directeur du FBI, avait indiqué le 25 septembre qu'il n'était «pas confiant» sur la possibilité d’atteindre
cet objectif.
De son côté Israël, qui n’a pas rejoint la coalition
militaire contre l’E.I parce qu’il se sent peu impliqué directement dans ce
conflit, observe avec attention l’évolution de la situation. Le premier
ministre Benjamin Netanyahou a cependant salué les efforts du président Barack
Obama pour combattre l'État islamique : «tout le monde devrait le soutenir mais l'Iran est une menace plus
grave. Israël soutient pleinement vos efforts et votre leadership pour vaincre l’E.I».
C’était le minimum diplomatique que pouvait dire Netanyahou à un président
qui brandit sans cesse la menace contre l’État juif face à la poursuite des
constructions dans les implantations.
Je pense que les Américains n'ont pas changer,il fabrique des produits performants,mais s'en servent mal et le commandement est à coté de la cible car à trop vouloir en même temps on ne réussit rien.
RépondreSupprimerJe leur conseille d'écouter les Israeliens pour ce qui est des frappes chirurgicales.
A présent quand on attend trop la pourriture d'un conflit,la suite doit être sur le terrain si ou veut réussir.
Mon cher Jacques, il me semble que ton introduction comporte une erreur fondamentale. Tu dis« des sunnites qui estiment avoir été toujours maltraités, aussi bien en Syrie qu’en Irak »
RépondreSupprimerEn Irak tout d’abord, le seul pays à majorité chiite avec le Bahrein : 60% de la population. C’est le mandat britannique qui, en 1921, installe au pouvoir un souverain hachémite sunnite. Ce pouvoir a maintenu les chiites dans un état de sous développement et d’exclusion.
Sous le régime bassiste « laïque », la déportation des populations chiites qualifiées d’iraniennes, alors qu’elles sont arabes à 95%, est massive..
En 1991 il y a une double révolte kurde et chiite soutenue puis lâchée par les Américains. Bilan : 1 million de réfugiés et 300 000 morts avec utilisation de bombes au sarin.
Ce n’est donc qu’à partir de 2003 que la minorité sunnite est victime d’une politique sectaire.
Passons maintenant aux états à minorité chiite.
L’histoire de la Syrie est intimement liée à celle du Liban et à celle du mandat français qui a divisé la région en
Le Grand Liban, détaché de la Syrie.
L’Etat d’Alep.
Le territoire alaouite, placé sous l’administration directe de la France.
L’Etat de Damas.
L’Etat druze indépendant.
Si les maronites et les alaouites (chiites persécutés par les sunnites) sont satisfaits du morcellement qui a été fait, le reste de la population s’y oppose. Devant les troubles qui éclatent, la France, en 1924, réunit les Etats de Damas et d’Alep dans l’état de Syrie , le territoire alaouite devenant aussi un Etat.
Au moment de l’indépendance, il y avait deux tendances chez les Alaouites : l’une séparatiste (comprenant le père de Hafez al-Assad, ce qui explique peut être la politique sectaire des Assad) et l’autre unitaire qui l’emportera. C’est le parti laïque Baas qui prendra le pouvoir par la suite suivi par la dynatie Assad. Ce n’est qu’en 1964, lors de l’insurrection des frères musulmans accusant le régime d’athéisme, que le régime deviendra de plus en plus sectaire envers les sunnites.
Pour en finir avec d’autres pays musulmans à forte minorité chiite.
Au Liban, au moment de l’indépendance, le pouvoir a été partagé entre maronites et sunnites, la communauté chiite étant marginalisée tant dans la vie socio-économique que dans la vie politique.
Au début des années 70, est créé le mouvement Amal plutôt « laïque », qui va organiser le sous-prolétariat chiite ce qui contribuera à l’éveil communautaire des chiites jusqu’à l’émergence du Hezbollah après la prise du pouvoir par les Ayatolla en Iran.
Au Pakistan 1/5 des habitants sont chiites. A partir de 1995, les organisations sunnites islamistes entrent
dans une logique de crimes de masse visant à terroriser la communauté chiite : bombes à la sortie des mosquées ; attentats suicides causant des centaines de victimes.
Quand à l’état islamique barbare, il est urgent de l’éradiquer. Il me semble que tu es injuste avec les Américains en les accusant, à mots couvets, d’hypocrisie. Ils sont au milieu d’un sac de nœuds épouvantablement compliqué et qui fait, que quoi qu’ils fassent, personne ne sera content. Je crois que dans ce sac, il faut soutenir et armer fortement les Kurdes (y compris les « terroristes » laïques du PKK), contre exemple de tolérance religieuse dans un pays musulman et où chiites et sunnites vivent en paix. Ce sont les seuls, sur le terrain, capables de s’opposer à Daesh.