L'ÉCONOMIE ISRAÉLIENNE VA BIEN MAIS LA PAUVRETÉ
AUGMENTE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Yossef Shapira |
Dans ce petit pays, qui défie les économies des grandes puissances par son
dynamisme et ses résultats éloquents, le paradoxe est grand. En effet,
parallèlement aux grandes fortunes, on peut facilement rencontrer des classes
défavorisées qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Effectivement la pauvreté
existe en Israël et la constatation vient d'une personnalité éminente du pays, le contrôleur de l’État qui est indépendant du gouvernement et de la Knesset. Sa fonction principale est de vérifier la légalité, la régularité, l'efficacité, l'économie et l'éthique des institutions publiques.
Rapport du Contrôleur
de l’État
Le Contrôleur de l’État,
Yossef Shapira, vient de publier son rapport sur la pauvreté qui relève que
près de 900.000 Israéliens font face à la malnutrition. Il pointe du doigt la
passivité et l’inaction d’un gouvernement qui laisse parfois des enfants sans
nourriture durant la journée parce qu’ils ne peuvent s’offrir les produits de
base : «La responsabilité des lacunes dans la sécurité alimentaire
incombe au gouvernement qui a laissé le traitement de ce problème entre les
mains d'organisations de charité. La pauvreté n'est pas le résultat du hasard».
Bien sûr cela ne se
voit pas dans les grandes villes et en particulier au centre du pays, à
Tel-Aviv où l’on vit dans une bulle qui déforme le prisme de la réalité
économique. Mais le contrôleur est sévère dans son jugement car il estime qu’«une
société qui s'adresse aux plus pauvres et aux plus démunis améliore non
seulement son sens de la dignité et des droits, mais aussi son image». Bien
sûr il n’existe pas de famine dans le pays mais les restrictions alimentaires sur
des produits de base peuvent en effet avoir «des effets négatifs sur la
santé mentale et physique».
Le gouvernement avait
bien tenté de créer une structure en 2009 pour trouver des solutions à cette
question mais le budget alloué s’est élevé à 12% du montant promis. Les restaurants du cœur,
le Maguen David Adom (la Croix-Rouge en Israël) et autres organisations
religieuses sont débordées à la veille de la fête de Pessah, la Pâque juive.
Les plus démunis sont condamnés à vivre d’une aide ponctuelle grâce à la
générosité de la population et dans l’indifférence du gouvernement. Le
contrôleur a pointé du doigt l’impossibilité pour certaines familles d’acheter
des fruits et des légumes, se bornant à vivre de pommes de terre et de choux.
La promesse du ministre des finances Yaïr Lapid d’allouer une aide alimentaire
de 200 millions de shekels (43 millions d’euros) n’a pas vu le début d’une
quelconque réalisation.
Le seuil
le plus bas de l’OCDE
Le Bureau central des
statistiques (CBS) précise que 31% des Israéliens sont tombés dans la pauvreté
alors que la moyenne est de 17% dans l’Union européenne. Et pourtant les
chiffres économiques sont éloquents puisque le taux du chômage en Israël n’est que
de 5,9% contre 7% dans les pays de l’OCDE. C’est ce paradoxe qui choque car il
s’agit du taux de chômage le plus bas qu’Israël ait connu depuis 20 ans.
Mais
la lecture détaillée des statistiques montre un creusement des écarts de
revenus entre les riches et les pauvres, exigeant de la part de gouvernement de
protéger les plus vulnérables dans une économie ultra-libérale. Nombreux sont
les économistes qui estiment qu’on ne pourra pas se passer d’une réforme des
systèmes fiscaux si l’on veut abonder dans le sens de la justice. Ils critiquent
la réduction de moitié des allocations familiales et l’augmentation de la TVA qui
ont qui ont touché fortement 40.000 familles.
Révolution des tentes |
Le mouvement de contestation sociale de 2011 n’a débouché sur aucune mesure
concrète et pourtant les louanges ne manquent pas sur une économie dynamique,
calquée sur celle de la Californie, au
point que la majorité des sociétés israéliennes préfèrent être cotées au Nasdaq
plutôt qu’à la Bourse de Tel-Aviv. La politique économique
mise en place par le ministre des finances du gouvernement Sharon en 2003,
Benjamin Netanyahou, a donné naissance à une génération d’oligarques née sur le
modèle russe. Une grande similitude existe entre la politique israélienne de
réformes et la politique de privatisation de Boris Eltsine de l’époque.
Réformes
brutales
Le premier ministre
actuel avait décidé à l’époque d’audacieuses réformes profondes, qui perdurent
aujourd’hui, souvent impopulaires parce que marquées du sceau du libéralisme.
Netanyahou décida alors une baisse importante des impôts, couplée avec la
refonte du système des retraites et de l’assurance maladie. Il décida en
particulier des réductions drastiques du budget avec une révision à la baisse
des allocations de chômage afin de forcer les gens à travailler plutôt qu’à
recevoir des aides de l’État. Les populations arabes et les juifs
ultra-orthodoxes furent les premières victimes de ces mesures.
Cependant à son actif, il
avait réussi à mener l’économie à une croissance impressionnante : 1.3% en
2003, 4,8 % en 2004, 5,2 % en 2005, 5,1 % en 2006 et 4% en 2010. Mais le
chiffre de 3,3%, le plus faible depuis 2009, a été atteint en 2013. Certes on
était loin de l’économie israélienne bâtie à l’origine sur le modèle soviétique
des premiers dirigeants travaillistes historiques, avec pléthore de
bureaucratie.
Exploitation du gaz au large de Haifa |
Le choc imposé à l’économie par Netanyahou fit entrer le pays de plain pied
dans le système capitaliste moderne, sauvage pour certains, caractérisé en
Israël par un grand secteur public doublé d’un secteur industriel en forte
croissance, faisant d’Israël le second pays en nombre de sociétés cotées au
Nasdaq. D’ailleurs, la dernière crise économique mondiale n’a pas été ressentie
en Israël avec la même intensité qu’en Europe et seules les entreprises, ayant
uniquement axé leur développement sur les États-Unis, ont souffert.
Odes à la réussite
Magnats israéliens |
Le rapport du
contrôleur de l’État jette une suspicion sur les odes à la réussite d’Israël
dans le domaine de l'informatique, des drones et de la biotechnologie et impose
de parler de l'autre Israël: celui du vrai pouvoir économique détenu par une
dizaine de familles, expliquant ainsi les similitudes avec l’histoire
économique russe. Israël a réussi à fonder une dynastie d’oligarques qui ont profité de
l’aubaine des privatisations en touchant alors le jackpot mais, pour être
objectif, les privatisations se sont déroulées en Israël de manière
transparente et sous contrôle d'une autorité de régulation indépendante.
Ainsi, une dizaine de
familles gère l’économie israélienne, en toute transparence. Trois gros
distributeurs se partagent 60% de la grande distribution avec Supersol qui
contrôle à lui seul 40% du marché, imposant ainsi les prix des denrées et les
bas salaires de son personnel. Les groupes ne se contentent pas d’une activité
unique mais ils se diversifient dans tous les domaines entrainant des revenus
qui se comptent en milliards de dollars sans que la classe moyenne israélienne
ne profite de cette manne.
Dix familles détiennent
ainsi le pouvoir économique en Israël. La première avec 5,2 milliards d’euros
de patrimoine et la dixième avec 1,10 milliards d’euros. Aucune d’entre elles
n’a choisi d’entrer en politique pour participer aux décisions de l’État mais,
tacitement, le pouvoir politique leur appartient déjà. Fidèle à son option
économique ultra-libérale, le gouvernement a une marge de manœuvres très
étroite, à moins de légiférer pour imposer des décisions favorables aux
salariés avec une hausse du salaire minimum ou, comme en France, l’application
d’une forme de participation.
Moshe Kahlon aux côtés de Netanyahou |
C’est d’ailleurs au lendemain de la publication du rapport du contrôleur de
l’État que Moshé Kahlon a annoncé son retour en politique estimant que la
situation était propice politiquement. Longtemps député du Likoud et étoile
montante de la droite, il avait annoncé trois mois avant les élections anticipées de janvier
2013, qu’il faisait une pause politique en ne se présentant pas aux élections
législatives. Il n’avait pas apprécié alors la droitisation de son parti et l’absence
de mesures sociales pour les défavorisés.
Il a précisé cependant qu’il ne réintégrerait
pas son parti d’origine car «le gouvernement dirigé par le Likoud a été mis
en place depuis presque cinq ans, et tout ce que nous voyons sont les résultats
négatifs: résultats négatifs concernant le coût de la vie, résultats négatifs
en ce qui concerne la fuite des cerveaux, résultats négatifs en ce qui concerne
la nourriture et les coûts».
La politique israélienne, qui ronronnait
depuis quelque temps, va ainsi connaitre de nouveaux soubresauts car Moshé Kahlon va
impulser des idées centristes originales qui vont réveiller la classe politique israélienne et s'opposer à la poussée de droite des partis nationalistes. Le balancier politique va donc se déplacer vers des options plus sociales.
Où est le vivre-ensemble des premières alyoth ? La lecture de cet article laisse un goût plus qu'amer.
RépondreSupprimerComment se fait-il que nous soyons devenus indifférent à ceux qui se définissent, ontologiquement, comme "notre prochain" ? Il faut tout reprendre, tout recommencer depuis le début, et remonter bien avant la création de l'Etat. Sinon, c'est l'implosion. (YN)