TUNISIE : LA CONFIANCE MIEUX QUE L’IDÉOLOGIE
Par Jacques BENILLOUCHE et Jean SMIA
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Le nouveau gouvernement
tunisien entérine l’échec des islamistes au pouvoir. Il prouve que l’idéologie
ne suffit pas à gérer un pays qui a faim et que seule la confiance permet de
faire la différence. Les Tunisiens ont fait preuve de patience, dans le calme
et la discipline, mais ils ont été récompensés au final par un gouvernement
apolitique, dirigé par le premier ministre Mehdi Jomaa, qui veille dorénavant
aux destinées du pays.
Nouvelles
orientations
Parce que la confiance
est revenue et que le nouveau gouvernement a clarifié les grandes orientations
qu’il compte suivre, alors quelques pays étrangers ont décidé d’aider la
nouvelle équipe mais c'est encore insuffisant. Les jeunes technocrates appelés au pouvoir ont retroussé leurs
manches, loin des sunlights des médias contrairement à ceux qui les ont
précédés. Ils ont écarté l’esbroufe au profit de méthodes pragmatiques payantes.
Ils ont décidé de privilégier la composante économique qui avait fait défaut
avec les islamistes, suivant en cela le programme annoncé par le premier
ministre à l’Assemblée et axé sur «la lutte contre le terrorisme et pour la
reprise économique».
L'ancienne équipe dirigeante en prières |
Le nouveau gouvernement est caractérisé par moins de
parlote, d’idéologie et de "cinéma" et plus d’action. Bien sûr il bénéficie de
la mise à l’écart, à leur propre demande des islamistes, échaudés par l’expérience négative
en Égypte, qui ont accepté de se mettre en retrait pour ne pas effrayer les
investisseurs étrangers dont l’économie tunisienne a grandement besoin.
Les premières décisions
ont donné le ton pour corriger les effets des précédents gouvernements qui
avaient noyauté les administrations en y plaçant des fonctionnaires titulaire
de la carte du parti islamique plutôt que de diplômes adéquats à leur fonction.
Première visée, la Ligue pour la protection de la révolution (LPR), créée en
mai 2012, faisant fonction de commissaire politique appuyée sur une milice
islamiste tunisienne.
Militants syndicaux pris à partie par la LPR |
Elle avait pour
objectif de préserver «les acquis de la révolution» de 2011 et de «renforcer
l'identité arabo-musulmane» de la Tunisie. Les membres de cette ligue
visaient particulièrement le parti Nidaa Tounes accusé d’être constitué d'anciens
des régimes de Bourguiba et de Ben Ali. Elle était soutenue par les deux partis
au pouvoir, le Congrès pour la République et Ennahda, très proches des salafistes.
Il est fort probable que la Cour de justice entérinera à présent la dissolution de cette
ligue qui bénéficiait par ailleurs de financement public.
Situation
apaisée
Le nouveau gouvernement,
qui souhaite que la campagne électorale, pour les élections législatives et
présidentielles de cette année, se déroule de manière démocratique, s’est
appliqué à assainir la situation. La nomination des hauts fonctionnaires, des
gouverneurs et des responsables locaux sera remise en question pour éliminer
les nominations de connivence. Sur le plan diplomatique Mehdi Jomaa veut choisir
une nouvelle stratégie axée d’abord sur les relations étroites avec les pays
voisins et le Maghreb en particulier.
Jomaa avec Bouteflika en Algérie |
Son premier voyage officiel
a été en Algérie qui sert de refuge à des terroristes qui agissent ouvertement
contre l’armée tunisienne. Le premier ministre a tenu à rappeler que «l'Algérie et la Tunisie ont une histoire,
une lutte et une coopération commune». D’ailleurs la coopération des deux
armées à Raoued et à Borj Louzir a été efficace pour marquer des points en
matière de sécurité. Le deuxième déplacement a eu lieu au Maroc.
Jomaa avec le roi du Maroc |
Le point fort des
nouveaux technocrates du gouvernement tunisien est marqué par la compétence
économique qui a rassuré les organismes internationaux. Le FMI a immédiatement
débloqué une provision de 500 millions de dollars qu’aucun précédent
gouvernement n’avait réussi à obtenir. La France n’est pas en reste puisque
François Hollande a promis, après son voyage, une aide de 500 millions d’euros.
Le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu, en déplacement à
Tunis, a promis lui aussi des aides conséquentes.
Cette situation apaisée
aura un effet conséquent sur la saison touristique qui devrait être boostée par
la nouvelle ministre du tourisme, Amel Karboul, qui avait défrayé la chronique
parce qu’elle avait visité Israël, il y a 8 ans. Des bruits avaient circulé sur
la nomination à ce poste d’un Juif, René Trabelsi, mais il n’avait aucune
légitimité, sauf à servir d'alibi, pour représenter la population juive, qui comptait 110.000 âmes à la veille
de l’Indépendance et qui est réduite aujourd'hui à 1.200 habitants.
Amel Karboul |
Assainir
la situation économique
Enfin la confiance
reviendra totalement lorsque le gouvernement prendra les mesures nécessaires
pour empêcher les assassinats politiques qui font mauvais effet sur l’opinion
internationale. Les partis politiques ont pour tâche aujourd’hui de laisser le
nouveau gouvernement travailler pour assainir une situation économique
désespérée et une situation sécuritaire à la limite de l'explosion. Le monde a assisté avec
soulagement et admiration à la naissance et à l'adoption de la toute première
constitution démocratique dans un pays arabo-musulman, bien que la majorité des
médias n’ait pas salué cet avènement à sa juste mesure.
Jusqu’alors seul le
Qatar avait investi à fonds perdus dans l’avènement d'un gouvernement
théocratique. Il faut comprendre que cette naissance représente, en cas de
succès, un formidable danger pour toutes les dictatures arabo-musulmanes qui
prétendent détenir la direction de leurs États par «droit Divin». Les
ennemis de la Tunisie ne sont pas seulement le Qatar, mais aussi tous les autres
pays musulmans à savoir les royautés, les émirats, les dictatures et les États
à parti unique.
L'assemblée tunisienne |
Les pays riches du G20 ont
peut-être pris conscience que l’échec de la tentative tunisienne pour accéder à
une réelle démocratie sera aussi un échec pour le prosélytisme démocratique
face au prosélytisme théocratique. Il entre dans le cadre de leurs
responsabilités de soutenir activement et concrètement le succès de cette
entreprise qui doit faire face aux graves problèmes suivants:
-
Un secteur du tourisme,
criblé de dettes par une guerre des prix, doit retrouver une viabilité durable.
-
Un secteur agricole (longtemps
autosuffisant en matière alimentaire) qui agonise, les paysans dépeuplent les campagnes, les
sables avancent. Toutes les productions sont en recul.
-
Des matières premières
(hydrocarbures et phosphates) où les règles de partage des concessionnaires,
souvent domiciliés dans des paradis fiscaux, sont floues et sans retombées
significatives sur les populations.
-
Une industrie
manufacturière qui tourne à vide, dont la croissance masque une valeur ajoutée
réduite, une création d’emplois non qualifiés et précaires exclusivement en
sous-traitance et dépendance d’intrants étrangers, sorte de réexportation
d’importations. Avec pour seule variable d'ajustement : les salaires et les
emplois.
-
Une majorité des
diplômés qui se retrouve en déshérence (2 doctorants sur 3 indiquent ne pas
avoir d’avenir dans le pays).
Pour remettre la Tunisie, vite, en
état de marche, il lui faut un appui financier considérable de la part des Occidentaux, encore
plus considérable que le financement d'un échec par le Qatar et autres
potentats.
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