SINAÏ : CONNIVENCES ENTRE ANSAR BEIT AL-MAQDES, LE HAMAS ET LES FRÈRES
Par Jacques BENILLOUCHE
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L’attentat contre le bus des Coréens, à la frontière de
Taba, a mis en évidence l’influence au Sinaï d’Ansar Beit Al-Maqdes (Les
partisans de Jérusalem), groupe djihadiste créé en 2011 près de la frontière
avec Gaza, pendant le chaos qui a suivi la chute du président Moubarak. Mais la
destitution de Mohamed Morsi lui a donné
une plus grande importance dans la péninsule du Sinaï.
Attentats spectaculaires
Al-Sissi et Mohamad Ibrahim |
Ce groupe a revendiqué à son actif de nombreux attentats spectaculaires qui ont
forgé son image de marque. Le 5 septembre, il avait raté de peu l’assassinat au Caire du
ministre de l’intérieur Mohamad Ibrahim, à l'aide d’une voiture piégée qui avait causé la destruction de quatre
voitures du convoi et fait de nombreux blessés parmi les gardes du corps. En
revanche, le 17 novembre, ils ont réussi à toucher leur cible, Mohamad Mabrouk, responsable de la lutte
contre les Frères musulmans à la sécurité nationale.
Attentat contre Ibrahim |
Les attaques n’ont jamais cessé contre la police, le 24
décembre à Mansoura et le 24 janvier au Caire. Mais la situation s’est aggravée
avec la destruction en vol d’un hélicoptère militaire au Sinaï le 25 janvier. Le
général Mohammad Saeed, chef du bureau technique du ministre de l'Intérieur, a
été ciblé le 28 janvier par des hommes à moto qui lui ont tiré dessus. Il est
certain que les terroristes font preuve d’audace et ils prouvent qu’ils doivent
leur réussite à une bonne source d’informations.
Général Mohamed Saeed |
Le groupe Ansar Beit Al-Maqdes avait pour
vocation de s’attaquer aux intérêts d’Israël en particulier. Il a ainsi détruit
au nord-Sinaï le gazoduc qui alimentait en gaz Israël et la Jordanie. Plus
récemment le 31 janvier, il a été responsable de l’envoi d’une roquette tirée
sur la ville d’Eilat qui a été heureusement interceptée par Dôme de fer.
Mais après la destitution de Mohamed Morsi, le groupe a réorienté ses attaques
contre l’armée et la police égyptiennes car il considérait ses membres comme
des «infidèles». Constitué au départ uniquement d’Égyptiens, il a diversifié
son recrutement avec l’apport de djihadistes internationaux issus d’Al-Qaeda,
en particulier d’anciens combattants de la guerre d’Afghanistan qui ont apporté
avec eux leur armement sophistiqué et leur expérience au combat dans d’autres terrains
d’opération. Cette nouvelle technicité a permis de détruire en vol un
hélicoptère égyptien.
Communauté d’intérêts
Depuis la chute de Mohamed Morsi, l’organisation des
djihadistes-salafistes s’est trouvée en communauté de destin et d’intérêts avec
les Frères musulmans et ses alliés du Hamas. Ils ont alors, sinon organisé des
opérations conjointes, au moins partagé une logistique commune. Ces relations n'étaient pas inédites puisque, historiquement, Ansar Beit
Al-Maqdes est né dans la bande de Gaza avec le soutien officiel du Hamas.
Aujourd’hui les Frères musulmans, qui veulent faire tomber le régime des généraux dirigé certes par un président intérimaire qui était la plus haute autorité judiciaire du pays, apportent leur soutien financier à tous ces
groupes terroristes tandis que le Hamas se charge de la formation des
combattants et de la fourniture de matériel militaire par l’intermédiaire des
tunnels de contrebande.
Mahmoud Ezzat |
Les partisans de Mohamed Morsi ne désarment pas et ils
n’ont pas l’intention d’accepter le changement de gouvernance qui leur a été
imposé par l’armée. Alors ils ont recherché celui qui, dans un lieu de repli, pouvait continuer le combat. Ils sont accepté toutes les
alliances, même les plus improbables, pour retrouver le pouvoir qu’ils ont
laissé échapper. Il ont trouvé leur exilé en la personne de Mahmoud Ezzat, 62 ans, professeur de
médecine à l'Université de Zaqaziq et secrétaire général des Frères musulmans,
habitué des geôles égyptiennes depuis 1965. Ses états de service le qualifiaient
pour mener le combat de la Confrérie contre le nouveau pouvoir égyptien.
Devant les
poursuites engagées par le nouveau pouvoir, six responsables des Frères
musulmans, avaient décidé de quitter l'Égypte pour créer une tête de pont,
au-delà des frontières, afin d’organiser à la fois le combat politique mais
aussi une révolte militaire au Sinaï contre les nouveaux dirigeants. Quelques hauts dirigeants des Frères
musulmans ont donc réussi à mettre en place un poste de commandement au Beach
Hôtel à Gaza pour s’organiser et préparer la reconquête militaire. Ils ont
obtenu le concours de la branche armée du Hamas, les brigades Azzedine al-Qassam,
et même de leurs concurrents, les salafistes affiliés à Al-Qaeda au Sinaï. Il s'agit pour eux de mettre à feu et à sang le nord Sinaï, sans négliger d’impliquer au passage Israël dans le conflit.
Bras armé des Frères
Ces Frères dirigés par le guide suprême, Mahmoud
Ezzat, ont alors utilisé Ansar Beit Al-Maqdes comme leur aile armée pour déstabiliser le régime et pour assurer le retour au pouvoir des partisans
de Morsi. L’armée égyptienne a assimilé ce danger et elle s’est donc acharnée à
compliquer les liens entre Gaza et le Sinaï en détruisant des centaines de
tunnels pour tarir le transfert de matériel militaire et en installant un no man's land à sa frontière.
Poste égyptien |
La connivence entre le Hamas et Ansar Beit Al-Maqdes n’est
pas nouvelle. On en veut pour preuve la revendication qui a suivi l’assassinat
de l’officier de la sécurité nationale Mohamed Mabrouk. Dans un communiqué, le
groupe a précisé que la brigade d’el-Moetassem Bellah avait assassiné le chef du département de l’extrémisme religieux en réponse à
l’arrestation des femmes appartenant à la Confrérie et leur interrogatoire dans
des commissariats de police et les sièges de la sécurité de l’État.
Un autre
élément confirme ce rapprochement. Ansar Beit Al-Maqdes a refusé de fusionner
avec EIIL (État islamique en Iraq et au Levant), un groupe djihadiste affilié à Al-Qaeda, parce qu’il voulait concentrer son action sur l’Égypte
et sur Israël, en s’opposant ainsi à la stratégie internationaliste d’Al-Qaeda.
EIIL |
L’Égypte est
entrée dans le cercle vicieux de la violence. Plus elle réprime les Frères
musulmans et plus elle pousse les éléments les plus radicaux à se tourner vers
les organisations terroristes. Par ailleurs, la fermeture des tunnels a
entraîné un manque à gagner pour de nombreux Égyptiens qui en vivaient et qui
se sont trouvés contraints de grossir les rangs des djihadistes du Sinaï qui sont
les seuls à leur assurer le minimum vital.
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