L’AVENIR DE LA RÉVOLUTION
SYRIENNE
Par Jean CORCOS
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Les corps de Syriens tués après une frappe aérienne du régime de Bachar el-Assad dans le quartier al-Maysar d'Alep, le 18 Janvier 2014 |
Pour ma dernière émission nous avons
parlé à nouveau de la Syrie, de cette
guerre civile atroce qui a déjà fait plus de 100.000 victimes. Et
pourtant, malgré l'attention de tous les médias après le bombardement à l'arme
chimique de la banlieue de Damas, le 21 août dernier, et les menaces sans suites
des États-Unis et de la France, on a l'impression que cette guerre là n'intéresse
plus.
Humanitaire
et diplomate
Jean-Pierre Filiu |
J'avais comme invité l'universitaire
Jean-Pierre Filiu dont la formation et la carrière sont extrêmement riches. Diplômé
de Sciences Po Paris, docteur en Histoire, il a aussi étudié à l'INALCO et est
arabisant. Successivement humanitaire, conseiller du ministère des Affaires Étrangères,
membre de cabinets ministériels, il a beaucoup voyagé et écrit une douzaine
d'ouvrages. La Syrie est chère à son cœur, puisqu'il y a vécu dans le passé
comme diplomate, et il y est retourné pour nous donner un témoignage de terrain,
«Je vous écris d'Alep» publié aux Éditions Denoël. Ce livre
de 150 pages se lit vraiment comme un roman, dont le décor est souvent celui
des ruines d'une ville historique, et dont les héros peuvent tomber chaque jour
au hasard du tir des snipers.
Ma première question touchait au titre que
j'ai choisi pour notre entretien, «La révolution syrienne peut-elle encore
gagner ?» On a l'impression en effet que Bachar el Assad est en train de
l'emporter à la fois sur le terrain militaire, sur le terrain diplomatique et
sur le terrain de la propagande. Jean-Pierre Filiu pense que malgré un bilan
effroyable, un Syrien tué sur cent, un Syrien déplacé sur trois, la révolution
continue malgré ses parts d'ombre. Sa victoire se situe là.
Nous avons alors
abordé la situation stratégique actuelle en Syrie. En gros, les rebelles
tiennent la frontière avec Israël, sur le Golan, la banlieue-est de Damas, une
partie de la frontière libanaise, une grosse moitié nord-est du pays, avec
justement Alep, agglomération de deux millions d'habitants comme ligne de front
à une cinquantaine de kilomètres de la Turquie. Les zones frontalières avec la
Turquie et l'Irak sont aux mains des rebelles, en majorité des groupes armés
kurdes.
Vu le rapport
des forces, qui est écrasant en faveur du régime, les groupes de
révolutionnaires n'ont pas d'aviation, pratiquement pas de blindés ; vu aussi
qu'Assad n'a pas hésité à commettre les pires crimes de guerre pour mater la
rébellion, les bombardements à l'aveugle à coups de missiles, ou au contraire
très ponctuels par hélicoptères larguant des barils d'explosifs, le gaz sarin
utilisé à petite échelle, par exemple dans le quartier kurde de Cheikh Maksoud
en avril 2013, on se demande comment les révolutionnaires syriens arrivent à
résister. Pour mon invité, la résistance
des rebelles vient de leur enracinement populaire. Après 40 ans de souffrances
sous les Assad père et fils, après avoir vu disparaître tant des leurs, les
Syriens ne craignent plus le régime. Ceci étant, une victoire militaire ne se
dessine pas non plus.
Quartier de Cheikh Maqsoud |
Le bazar aux Katibas
Jean-Pierre
Filiu a côtoyé les rebelles au quotidien dans la moitié de la ville non
contrôlée par l'armée régulière. Il a ainsi intitulé un de ses chapitres «Le
bazar aux Katibas» (katiba signifie compagnie en arabe) et il dresse un
portrait coloré de leurs quatre chefs, tous obéissant en théorie au chef local
de l'Armée syrienne libre, un ancien officier déserteur qui commande une
brigade dite de l'unité (Tawhid), rassemblant environ 10.000 hommes. Et
pourtant, on a l'impression que chacun mène une guerre d'usure en parallèle aux
autres, sans coordination. L’un d'entre eux relève d'ailleurs d'une autre
organisation, le Front islamiste de libération de la Syrie. S'agissait-il
de djihadistes ? Non, dit mon invité.
Front islamique syrien |
Ceci étant, il a
rappelé le sens d'origine de la guérilla, la petite guerre, qui est
efficace dans des actions locales, mais qui se projette mal dans l'offensive.
Il a également indiqué à nos auditeurs qu'un des quatre chefs de milices qu'il
avait rencontrés était mort depuis, qui a échappé à l’armée régulière mais qui
a été tué par Al-Qaeda qui en fait mène une deuxième guerre ouverte, cette-fois
contre la rébellion. J'ai évoqué également les combats spectacles à la
lisière de la ligne de front, pour être filmés et envoyer des images à des mécènes
du Golfe qui financent chacun leur milice. Ces combattants ont-ils l'impression
d'être manipulés ? Pour Jean-Pierre Filiu, ce sont plutôt les combattants qui
manipulent les financiers plutôt que l'inverse.
L'épouvantail djihadiste
Al-Qaeda en Syrie |
Nous avons ensuite commenté son chapitre
intitulé «L'épouvantail djihadiste», titre clairement choisi pour
contrer la propagande du régime présentant la rébellion comme dominée par les
terroristes d'Al-Qaeda. J'ai évoqué les attentats suicide, les voitures piégées
faisant des dizaines de morts civils dans les grandes villes, et Moktar Lamani,
représentant de l'ONU à Damas qui estimait en septembre dernier qu'ils étaient
passés en l'espace d'un an de 5% de la rébellion à 40%. Mon invité estime que
le dictateur syrien mise d'abord sur la confusion, utilisant toujours le même discours
sur le complot international, avec comme acteurs, selon les époques, les
USA, Israël, l'Arabie Saoudite et le Qatar. Assad a sciemment mis en liberté
des terroristes d'Al-Qaeda, tandis qu'il faisait périr sous la torture des opposants
politiques non violents. Le représentant des Nations-Unies ne doit pas être libre
de ses jugements. Par ailleurs, Al-Qaeda s'est conduite de façon tellement
horrible à Alep qu'elle a été maintenant chassée de la ville.
Moktar Lamani |
Interrogé ensuite sur l'organisation de
la partie de la ville d'Alep libérée, où vit la moitié de la population,
soit environ un million de personnes, Jean-Pierre Filiu a rappelé qu'il y a eu
de vraies élections libres, qui se sont d'abord déroulées en Turquie puis en
décembre dernier en Syrie même. Les comités de quartier ont présenté des
listes. Ainsi des instances locales ont permis de donner une légitimité à la
mairie, au nouveau gouvernorat. En zone rebelle fonctionnent ainsi des écoles,
des autobus, un service de voirie.
Un des chapitres du livre évoque un point
de passage pour les civils, resté ouvert, et où s'échangent des marchandises,
le coût de la vie dans le secteur-Est libéré étant cinq fois moins élevé que
dans le secteur-Ouest encore loyaliste. D’après mon invité, ceci s'explique par
le fait que Bachar El Assad ne se soucie que de son armée, et absolument pas
des civils, alors que du côté des révolutionnaires, l'accès au marché turc a
permis de stabiliser les prix.
Unesco
Destruction de la grande mosquée d'Alep |
Faute de temps, il n'a pas été possible
d'évoquer plus en détail d'autres sujets : ainsi, ce livre est un témoignage
bouleversant sur les destructions qui ont défiguré Alep. Le centre historique
avait été classé au patrimoine mondial de l'Humanité par l'UNESCO. Aujourd'hui,
les souks ont été incendiés, le minaret de la Grande Mosquée omeyyade s'est
écroulé. Pas le temps non plus de parler de deux minorités peu présentes dans
la ville, les Chrétiens mis en avant par la propagande d'Assad, et les Kurdes
qui étaient opprimés par le régime.
Mais j'ai tenu à évoquer le spectre
politique français face à cette guerre civile, à la fois la tiédeur de la
droite pour aider la rébellion et l'engagement hystérique de l'extrême-droite
en faveur de la dictature, cela associé, pour des néo-nazis comme Alain Soral,
Dieudonné et leur mouvance, à une propagande antisémite présentant la
révolution syrienne comme un complot sioniste.
Pour Jean-Pierre Filiu, Bachar el Assad est selon l'extrême-droite le bon arabe, à la fois parce qu'il tue d'autres arabes et parce qu'il est anti-juif. Il a raconté à mon micro combien il était lui-même victime d'une cabale d'une violence incroyable, venant de ces milieux, l'accusant d'être un vendu aux Émirats du Golfe, et combien le complotisme avait du succès. L'extrême-droite s'est engouffrée dans ce créneau avec, comme motivation supplémentaire, une fascination pour la Russie de Poutine, fidèle alliée de la dictature syrienne. Et, hélas, la droite française la rejoint parfois aussi dans cette fascination.
Pour Jean-Pierre Filiu, Bachar el Assad est selon l'extrême-droite le bon arabe, à la fois parce qu'il tue d'autres arabes et parce qu'il est anti-juif. Il a raconté à mon micro combien il était lui-même victime d'une cabale d'une violence incroyable, venant de ces milieux, l'accusant d'être un vendu aux Émirats du Golfe, et combien le complotisme avait du succès. L'extrême-droite s'est engouffrée dans ce créneau avec, comme motivation supplémentaire, une fascination pour la Russie de Poutine, fidèle alliée de la dictature syrienne. Et, hélas, la droite française la rejoint parfois aussi dans cette fascination.
Merci Jean pour cet article, est merci Jacques pour l'avoir diffusé !
RépondreSupprimerLa SYRIE comme nombre d'états arabo-musulmans sont des créations artificielles crées principalement par les européens et placées sous le joug de dictateurs, aussi, nous ne pouvons que constater que ce n'est qu'un début de bouleversements dans cette région qui risque de durer un siècle ou plus. Nous ne pouvons choisir aucun camp, aucun dictateur car les alliances peuvent s'inverser à tout moment.
RépondreSupprimerIsraël soigne dans ses hôpitaux depuis un an, en toute discrétion des blesses de Syrie, sans distinction de tendances.
RépondreSupprimerLe fait que le président américain a recule au dernier moment devant une intervention militaire en Syrie contribue a prolonger le chaos dans la région.
Plus de renseignements sur les blesses dans les hopitaux israeliens ici : http://www.francogalil.com/blog/politique-generale/en-syrie-la-guerre-continue.html