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lundi 10 février 2014

L’AVENIR DE LA RÉVOLUTION SYRIENNE Par Jean CORCOS



L’AVENIR DE LA RÉVOLUTION SYRIENNE

Par Jean CORCOS
copyright © Temps et Contretemps
            
Les corps de Syriens tués après une frappe aérienne du régime de Bachar el-Assad dans le quartier al-Maysar d'Alep, le 18 Janvier 2014

          Pour ma dernière émission nous avons parlé à nouveau de la Syrie, de cette  guerre civile atroce qui a déjà fait plus de 100.000 victimes. Et pourtant, malgré l'attention de tous les médias après le bombardement à l'arme chimique de la banlieue de Damas, le 21 août dernier, et les menaces sans suites des États-Unis et de la France, on a l'impression que cette guerre là n'intéresse plus.



Humanitaire et diplomate

Jean-Pierre Filiu

J'avais comme invité l'universitaire Jean-Pierre Filiu dont la formation et la carrière sont extrêmement riches. Diplômé de Sciences Po Paris, docteur en Histoire, il a aussi étudié à l'INALCO et est arabisant. Successivement humanitaire, conseiller du ministère des Affaires Étrangères, membre de cabinets ministériels, il a beaucoup voyagé et écrit une douzaine d'ouvrages. La Syrie est chère à son cœur, puisqu'il y a vécu dans le passé comme diplomate, et il y est retourné pour nous donner un témoignage de terrain, «Je vous écris d'Alep»  publié aux Éditions Denoël. Ce livre de 150 pages se lit vraiment comme un roman, dont le décor est souvent celui des ruines d'une ville historique, et dont les héros peuvent tomber chaque jour au hasard du tir des snipers.

Ma première question touchait au titre que j'ai choisi pour notre entretien, «La révolution syrienne peut-elle encore gagner ?» On a l'impression en effet que Bachar el Assad est en train de l'emporter à la fois sur le terrain militaire, sur le terrain diplomatique et sur le terrain de la propagande. Jean-Pierre Filiu pense que malgré un bilan effroyable, un Syrien tué sur cent, un Syrien déplacé sur trois, la révolution continue malgré ses parts d'ombre. Sa victoire se situe là.

Nous avons alors abordé la situation stratégique actuelle en Syrie. En gros, les rebelles tiennent la frontière avec Israël, sur le Golan, la banlieue-est de Damas, une partie de la frontière libanaise, une grosse moitié nord-est du pays, avec justement Alep, agglomération de deux millions d'habitants comme ligne de front à une cinquantaine de kilomètres de la Turquie. Les zones frontalières avec la Turquie et l'Irak sont aux mains des rebelles, en majorité des groupes armés kurdes.
Vu le rapport des forces, qui est écrasant en faveur du régime, les groupes de révolutionnaires n'ont pas d'aviation, pratiquement pas de blindés ; vu aussi qu'Assad n'a pas hésité à commettre les pires crimes de guerre pour mater la rébellion, les bombardements à l'aveugle à coups de missiles, ou au contraire très ponctuels par hélicoptères larguant des barils d'explosifs, le gaz sarin utilisé à petite échelle, par exemple dans le quartier kurde de Cheikh Maksoud en avril 2013, on se demande comment les révolutionnaires syriens arrivent à résister.  Pour mon invité, la résistance des rebelles vient de leur enracinement populaire. Après 40 ans de souffrances sous les Assad père et fils, après avoir vu disparaître tant des leurs, les Syriens ne craignent plus le régime. Ceci étant, une victoire militaire ne se dessine pas non plus.
Quartier de Cheikh Maqsoud


Le bazar aux Katibas

Jean-Pierre Filiu a côtoyé les rebelles au quotidien dans la moitié de la ville non contrôlée par l'armée régulière. Il a ainsi intitulé un de ses chapitres «Le bazar aux Katibas» (katiba signifie compagnie en arabe) et il dresse un portrait coloré de leurs quatre chefs, tous obéissant en théorie au chef local de l'Armée syrienne libre, un ancien officier déserteur qui commande une brigade dite de l'unité (Tawhid), rassemblant environ 10.000 hommes. Et pourtant, on a l'impression que chacun mène une guerre d'usure en parallèle aux autres, sans coordination. L’un d'entre eux relève d'ailleurs d'une autre organisation, le Front islamiste de libération de la Syrie. S'agissait-il de djihadistes ? Non, dit mon invité.
Front islamique syrien

Ceci étant, il a rappelé le sens d'origine de la guérilla, la petite guerre, qui est efficace dans des actions locales, mais qui se projette mal dans l'offensive. Il a également indiqué à nos auditeurs qu'un des quatre chefs de milices qu'il avait rencontrés était mort depuis, qui a échappé à l’armée régulière mais qui a été tué par Al-Qaeda qui en fait mène une deuxième guerre ouverte, cette-fois contre la rébellion. J'ai évoqué également les combats spectacles à la lisière de la ligne de front, pour être filmés et envoyer des images à des mécènes du Golfe qui financent chacun leur milice. Ces combattants ont-ils l'impression d'être manipulés ? Pour Jean-Pierre Filiu, ce sont plutôt les combattants qui manipulent les financiers plutôt que l'inverse.

L'épouvantail djihadiste

Al-Qaeda en Syrie

Nous avons ensuite commenté son chapitre intitulé «L'épouvantail djihadiste», titre clairement choisi pour contrer la propagande du régime présentant la rébellion comme dominée par les terroristes d'Al-Qaeda. J'ai évoqué les attentats suicide, les voitures piégées faisant des dizaines de morts civils dans les grandes villes, et Moktar Lamani, représentant de l'ONU à Damas qui estimait en septembre dernier qu'ils étaient passés en l'espace d'un an de 5% de la rébellion à 40%. Mon invité estime que le dictateur syrien mise d'abord sur la confusion, utilisant toujours le même discours sur le complot international, avec comme acteurs, selon les époques, les USA, Israël, l'Arabie Saoudite et le Qatar. Assad a sciemment mis en liberté des terroristes d'Al-Qaeda, tandis qu'il faisait périr sous la torture des opposants politiques non violents. Le représentant des Nations-Unies ne doit pas être libre de ses jugements. Par ailleurs, Al-Qaeda s'est conduite de façon tellement horrible à Alep qu'elle a été maintenant chassée de la ville.
Moktar Lamani

Interrogé ensuite sur l'organisation de la partie de la ville d'Alep libérée, où vit la moitié de la population, soit environ un million de personnes, Jean-Pierre Filiu a rappelé qu'il y a eu de vraies élections libres, qui se sont d'abord déroulées en Turquie puis en décembre dernier en Syrie même. Les comités de quartier ont présenté des listes. Ainsi des instances locales ont permis de donner une légitimité à la mairie, au nouveau gouvernorat. En zone rebelle fonctionnent ainsi des écoles, des autobus, un service de voirie. 
Un des chapitres du livre évoque un point de passage pour les civils, resté ouvert, et où s'échangent des marchandises, le coût de la vie dans le secteur-Est libéré étant cinq fois moins élevé que dans le secteur-Ouest encore loyaliste. D’après mon invité, ceci s'explique par le fait que Bachar El Assad ne se soucie que de son armée, et absolument pas des civils, alors que du côté des révolutionnaires, l'accès au marché turc a permis de stabiliser les prix.

Unesco

Destruction de la grande mosquée d'Alep

Faute de temps, il n'a pas été possible d'évoquer plus en détail d'autres sujets : ainsi, ce livre est un témoignage bouleversant sur les destructions qui ont défiguré Alep. Le centre historique avait été classé au patrimoine mondial de l'Humanité par l'UNESCO. Aujourd'hui, les souks ont été incendiés, le minaret de la Grande Mosquée omeyyade s'est écroulé. Pas le temps non plus de parler de deux minorités peu présentes dans la ville, les Chrétiens mis en avant par la propagande d'Assad, et les Kurdes qui étaient opprimés par le régime.

Mais j'ai tenu à évoquer le spectre politique français face à cette guerre civile, à la fois la tiédeur de la droite pour aider la rébellion et l'engagement hystérique de l'extrême-droite en faveur de la dictature, cela associé, pour des néo-nazis comme Alain Soral, Dieudonné et leur mouvance, à une propagande antisémite présentant la révolution syrienne comme un complot sioniste

Pour Jean-Pierre Filiu, Bachar el Assad est selon l'extrême-droite le bon arabe, à la fois parce qu'il tue d'autres arabes et parce qu'il est anti-juif. Il a raconté à mon micro combien il était lui-même victime d'une cabale d'une violence incroyable, venant de ces milieux, l'accusant d'être un vendu aux Émirats du Golfe, et combien le complotisme avait du succès. L'extrême-droite s'est engouffrée dans ce créneau avec, comme motivation supplémentaire, une fascination pour la Russie de Poutine, fidèle alliée de la dictature syrienne. Et, hélas, la droite française la rejoint parfois aussi dans cette fascination.

3 commentaires:

  1. Merci Jean pour cet article, est merci Jacques pour l'avoir diffusé !

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  2. La SYRIE comme nombre d'états arabo-musulmans sont des créations artificielles crées principalement par les européens et placées sous le joug de dictateurs, aussi, nous ne pouvons que constater que ce n'est qu'un début de bouleversements dans cette région qui risque de durer un siècle ou plus. Nous ne pouvons choisir aucun camp, aucun dictateur car les alliances peuvent s'inverser à tout moment.

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  3. Israël soigne dans ses hôpitaux depuis un an, en toute discrétion des blesses de Syrie, sans distinction de tendances.
    Le fait que le président américain a recule au dernier moment devant une intervention militaire en Syrie contribue a prolonger le chaos dans la région.
    Plus de renseignements sur les blesses dans les hopitaux israeliens ici : http://www.francogalil.com/blog/politique-generale/en-syrie-la-guerre-continue.html

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