ARAK : LA FILIÈRE
OUBLIÉE DE LA BOMBE IRANIENNE
Par Jean CORCOS
copyright © Temps et Contretemps
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Jean Corcos, qui a été dans une précédente vie ingénieur dans le domaine nucléaire, domine les problèmes qui hantent aujourd’hui les dirigeants politiques internationaux. Il estime que les médias publient «trop d'approximations ou d'erreurs sur le sujet». C’est pourquoi, sans être trop technique, il essaie d’être précis pour nos lecteurs. Ce texte de vulgarisation, très clair et très abordable à tout néophyte, permettra de dissiper les fausses idées transmises par les médias. Cet article permet de démontrer que les Iraniens tentent d’enfumer les Occidentaux avec leur taux d’enrichissement alors que le danger mortel se situe à Arak, qui ne figure pas au programme des négociations.
Usine nucléaire d'Arak |
Jusqu'à la rupture, temporaire, des
négociations entre l'Iran et le groupe des grandes puissances dit «P5 + 1»,
pratiquement personne n'avait évoqué la future centrale à eau lourde d'Arak.
Aussi bien dans les grands médias nationaux que sur les sites communautaires
juifs, tout le monde ne parlait que de l'enrichissement de l'uranium dans les usines
de Natanz, puis de Fordow, évaluant les pourcentages d'enrichissement déjà
atteints, les quantités de matière fissile obtenues, et en déduisant de manière
mécanique le nombre de bombes atomiques que la République Islamique pouvait
produire.
Notions
d’enrichissement
Quelques rappels à propos de cette première
filière industrielle:
-
le taux d'enrichissement est le pourcentage en isotope U-235, la matière
fissile susceptible d'être utilisée, soit dans une application civile (les
réacteurs nucléaires produisant de l'électricité), soit dans une application militaire
;
-
pour la première application civile, l'uranium utilisé dans les pastilles de combustible
est dit faiblement enrichi, typiquement à des taux de 3 à 5 % dans
les réacteurs à eau légère, comme celui de la centrale nucléaire de Bushehr en
Iran - qui ne constitue pas un objectif militaire potentiel, contrairement aux
âneries que l'on a pu lire ici ou là ;
-
des réacteurs de recherche peuvent utiliser un taux d'enrichissement compris
entre 12 et un peu moins de 20 %; les dirigeants iraniens se sont d'ailleurs
abrités derrière un de leurs réacteurs de recherche pour justifier la
concentration d'U-235 à 20 % déjà obtenue ;
-
pour mémoire aussi, des enrichissements de 15 à 20% sont utilisés pour les
réacteurs dits «à neutrons rapides» (du type du défunt réacteur français
Superphénix, en cours de démantèlement), mais l'Iran n'en possède pas et
n'a aucun projet de telles centrales nucléaires ;
-
l'uranium dit militaire ou hautement enrichi a un taux d'U-235 de
85 %, plus généralement de 90 % ce qui permet de réduire la masse critique,
donc le poids de la bombe.
Le
risque d’Arak
Quel est le discours iranien par rapport
à ce fameux droit à l'enrichissement qu'ils clament à tout vent ? Ils
prétendent que la matière fissile produite si chèrement dans leurs usines
servira uniquement dans des réacteurs nucléaires, d'où la proposition - qui
devait servir de base à l'accord avorté la semaine dernière - de limiter
l'enrichissement à 20 %. Ne rentrons pas dans les détails techniques des
contrôles à mettre alors en œuvre, ou de l'évacuation des matériaux moyennement
enrichis déjà réalisés, etc...
Laurent Fabius aux négociations de Genève |
La question fondamentale à leur opposer,
celle soulevée publiquement par Laurent Fabius après l'échec des négociations
de Genève, est celle de la construction du réacteur d'Arak. Et là, la réponse
est claire, aveuglante : cette centrale a une vocation uniquement militaire ;
elle ne sert à rien dans le cadre d'un programme civil, surtout au regard des
usines d'enrichissement par ailleurs construites à grands frais ; et sa seule
utilité est de produire du plutonium de qualité militaire, comme cela a été le
cas dans le passé pour plusieurs pays ayant développé l'arme nucléaire.
Filière
plutonium
Quelques rappels à nouveau, à la fois
historiques, et à propos de cet autre jalon vers la bombe iranienne que
beaucoup font semblant de découvrir aujourd'hui :
-
Le Canada a exporté, sans grands soucis de prolifération, des réacteurs dits de
la filière «CANDU», utilisant des barres d'uranium naturel comme
combustible - donc ne nécessitant pas d'usines d'enrichissement pour le
produire - et de l'eau lourde comme liquide caloporteur. À partir des
transformations subies par les barreaux de combustible, l'uranium se transforme
en un mélange d'isotopes du plutonium, dont le Pu-239, matière fissile utilisée
dans la deuxième filière de production de la bombe ; deux pays, l'Inde et le
Pakistan ont ainsi pu obtenir la matière nucléaire pour produire leur propre
arme nucléaire ;
Centrale de Dimona |
-
La France a utilisé également la filière plutonium pour devenir une
puissance atomique, avec une petite différence au niveau des réacteurs plutonigènes
: sur le site de Marcoule, en effet, l'usine militaire avait comme centre
névralgique deux réacteurs dits graphite / gaz (uranium naturel comme
combustible, modérateur de la réaction en chaine en graphite, gaz sous
pression utilisé comme caloporteur) ; le plutonium récupéré était soumis à un
retraitement pour concentrer l'isotope militaire. Et pour la petite
histoire, c'est un mini Marcoule qui a fait l'objet du fameux transfert
des secrets de la bombe dans les années 50 - 60, l'installation de Dimona comprenant
à la fois un réacteur (celui-là à eau lourde), et une usine pour la production
de plutonium militaire.
Le
danger d’Arak
Autant dire que les Israéliens connaissent
parfaitement le sujet, et la dangerosité potentielle du réacteur en
construction à Arak. Un projet pour lequel la République Islamique a déjà
énormément investi en amont, en ayant déjà construit une usine de production
d'eau lourde près de la même ville du Nord Ouest du pays.
À propos
maintenant de la soit disant découverte du site : on en connait
l'existence depuis en fait une dizaine d'années ; le réacteur a un nom de code
(IR40), et une recherche sur Internet révèle que l'on sait aussi où est déjà
fabriqué son combustible (à Ispahan, centre névralgique important de
l'industrie nucléaire du pays).
Thérèse Delpech |
La regrettée
Thérèse Delpech, ancienne directrice des affaires stratégiques du CEA et
décédée l'année dernière, avait été mon invitée sur Judaïques FM. Elle en parle
comme d'un élément du programme militaire de la République Islamique dans un
ouvrage paru en 2006 [1]. Construit en surface,
il serait une cible accessible pour une attaque aérienne, mais à condition que
le réacteur ne soit pas déjà en fonctionnement. Comme le dit Ephraim Asculai, senior
research fellow de l'Institut national pour les Etudes de Sécurité de Tel
Aviv [2], «une fois chargé en combustible, la
destruction du réacteur pourrait produire un désastre nucléaire du type Tchernobyl
et donc il serait invulnérable». Avec à la clé, la production de 5 à 10
kilos de plutonium militaire par an, soit autant de bombes atomiques que
d'années de fonctionnement ...
Pr Uzi Even |
Dans un
remarquable article intitulé «Le diable est dans les détails nucléaires»,
le journal The Times of Israël insiste fortement sur ce maudit réacteur
à eau lourde. J'ai proposé sur mon propre blog une traduction de cet article [3]. On notera ce que dit le professeur Uzi Even, un
des fondateurs du réacteur nucléaire israélien de Dimona : «le réacteur à
eau lourde doit être en tête de la liste des installations définie par le
groupe des puissances "P5 + 1" comme devant être démantelées».
Cela ne te gène pas si nous travaillons pendant que nous négocions ? |
Et la montre
tourne à toute allure, car ce réacteur doit entrer en fonctionnement en
2014, et alors comme on l'a vu ... on ne
pourra plus rien faire !
[1] "L'Iran, la bombe et la démission
des nations", Editions CERI / Autrement
[2] :
article du "Financial Time", 12 novembre 2013
[3] :
blog "Rencontrejudaiquesfm", 11 novembre 2013
Merci pour cette information détaillée et référencée.
RépondreSupprimerCependant, il est impossible que des nations de l'avancée technologique de celles qui « négocient » avec l'Iran n'en soient pas déjà informées. Elles le sont certainement et se comportent comme si cela n'avait aucune importance.
La plupart de ces nations s'annoncent comme « prendre en compte les menaces qui pèseraient sur la région. » Mais en fait, la seule chose qui semble prise en compte par ces négociateurs, c'est le marchandage, en parallèle, d'accords économiques spécifiques en échange d'un vote favorable.
Ce qui, pour Israël, revient au vieil adage : «Mon Dieu, protèges moi de mes amis, mes ennemis je m'en charge ».
D'autre part, cette tentative de rapprochement des États-Unis avec l'Iran fait que tous leurs alliés de la région se sentent dé-sécurisés : L’Égypte, qui, menacée d'avoir ses aides suspendues, se rapproche de la Russie, l'Arabie Saoudite a besoin de la visite de monsieur Kerry pour qu'il ré-affirme son amitié verbalement. La Turquie, mise sur la touche, ne fait plus entendre son opinion. L'inquiétude des Émirats et du Koweit ne fait aucun doute.
Il en ressort qu'Obama laisse apparaître les États-Unis comme un pays aux engagements peu fiables dont le comportement reste versatile et imprévisible.
Il n'est pas illogique de penser que le centre d’intérêt énergétique des États-Unis s'étant déplacé vers le pole nord par l'exploitation de gisements permise par la fonte des glaces, ils n'accordent plus la même importance stratégique au moyen orient qui commence à leur couter plus qu'il ne rapporte.