MAITRE APRÈS DIEU, LE SULTAN ERDOGAN RESTE
AUTISTE
Par Jacques BENILLOUCHE
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La jeunesse turque ne désarme pas et elle
a fait face le 11 juin à plusieurs dizaines de policiers, en tenue anti-émeute,
qui ont pénétré dans le parc Gezi, site principal de la contestation. La police
se prépare à démanteler le campement de tentes et à enlever les banderoles et les
drapeaux installés par les protestataires. Elle avait déjà pris le contrôle, la
veille, de la place Taksim, près du parc.
Bras de fer
Manifestants au parc Gezi |
Les manifestants donnent l’impression
de s’en prendre uniquement à Tayyip Erdogan. La personnalité même du premier
ministre est en cause et surtout son orgueil déplacé qui l’éloigne de la
base. Nombreux sont ceux qui le critiquent parce qu'il se prend pour l’envoyé de Dieu, chargé
de présider aux destinées de son pays. Son autisme face à la mobilisation du pays
reste déconcertante. Il est vrai qu’il bénéficie d’un soutien populaire parmi la classe
défavorisée peu occidentalisée. Il est vrai aussi qu’il a réussi à s’installer
au pouvoir en maitre absolu après avoir éliminé politiquement l’opposition,
avoir neutralisé l’armée et avoir placé ses pions islamistes dans tous les
rouages de l’État. C’est pourquoi il ne craint pas le bras de fer pour s’opposer aux manifestants
de la place Taksim.
Il n’a cependant pas réussi à
décourager la contestation malgré tous les garde-fous qu’il a mis en place. Il
a menacé l’armée en l’accusant de complot contre l’État, il a intimidé les
médias et le cas échéant il y a mis ses hommes, il a lancé des poursuites
judiciaires contre les principaux opposants. Mais il a réussi "l’exploit" de
s’éloigner de ses compagnons de route de l’AKP, déçus par ses méthodes autoritaires. Les troubles
actuels prouvent qu’il s’est totalement coupé de la jeunesse laïque, ouverte à
l’Europe et à l’occident et très sensible à la démocratie.
Les tentes au parc Gezi |
Le «sultan», surnom acquis du
temps où il était maire d’Istanbul dans les années 1990, a cherché à calmer le
jeu en s’envolant pour le Maghreb durant quelques jours pour éviter
l’affrontement. Il a mandaté le vice-premier ministre Bülent Arinç et le
président Abdullah Gül de tenter l’apaisement. Mais rien n’y a fait et tous les
slogans des manifestants étaient concentrés sur sa personne et non sur le
gouvernement.
Entêtement
Le sultan Selim 1er |
Sûr de lui, il a maintenu des
décisions contestées et considérées provocatrices par les laïcs. Il a maintenu
l’interdiction de la vente d’alcool après 22h ; il a confirmé les plans
d’aménagement de la place Taksim ; il a imposé la construction sur le
Bosphore d’un pont baptisé Selim 1er dit le terrible, du nom
du sultan qui avait persécuté la minorité alévie. Selim était entré en
rébellion contre son père qu'il finit par contraindre à l'abdication. Il tua
ses frères et neveux pour éliminer tout prétendant au trône et donna la preuve
de son intransigeance en exécutant devant leurs hommes, deux officiers ayant
montré des signes d'insubordination. La jeunesse voit mal les motivations qui
justifient de rappeler le nom de ce sultan sanguinaire, certes le père de Soliman le Magnifique.
Erdogan se sent fort car il puise ses
soutiens parmi les habitants de la périphérie d’Istanbul où il est né et qui
l’ont aidé à s'élever au sein du parti islamo-nationaliste, Milli Görüs. Il avait
alors fait ses premières armes contre le pouvoir kémaliste pour lequel il a
gardé un fort ressentiment jusqu’à tenter d’éradiquer son souvenir. Alors il
compte sur cet électorat modeste et conservateur qu’il pourrait, si nécessaire,
mettre face aux contestataires.
Mausolée Ataturk |
Calculateur politique, il ne prend
pas ses décisions à la légère. Il inscrit son programme dans une suite logique
tendant à effacer certains faits historiques douloureux qui l’ont façonné. Il
tient en fait à réaménager la place Taksim pour masquer le monument érigé en
1928 en l’honneur de la république kémaliste. Il veut punir les partisans de la
gauche qui manifestent dans ce quartier taxé d’européen car il concentre à la
fois le lieu de la vie nocturne de la jeunesse, le rendez-vous des touristes
occidentaux, et l’espace des bistrots cosmopolites à l’esprit peu
islamiste. Il s’agit pour lui
d’islamiser la place en construisant des centres commerciaux géants à destination des touristes à tchador, venus
d’Iran et des pays du Golfe.
Solitude autoritaire
Même ses amis ne comprennent plus sa
stratégie politique. Ils n’ont pas approuvé le soutien apporté à l’opposition
syrienne dont les effets se sont répercutés en Turquie. En effet, cet activisme
y a réveillé le communautarisme des arabophones, des kurdes, des chiites et des
alévis qui pratiquent un islam rationaliste et mystique. La paix fragile avec
les kurdes risque par ailleurs d’exploser au contact de certains manifestants
kurdes qui voudraient encore en découdre.
Eric Edelman |
WikiLeaks a révélé en 2010 le
portrait précis d’Erdogan fait par l’ambassadeur des Etats-Unis de 2003 à 2005. Eric Edelman
le trouvait : «Orgueilleux, convaincu d’avoir été choisi par Dieu pour
mener son pays, avec une tendance à la solitude autoritaire qui l’empêchait de
constituer un cercle de conseillers forts et avisés, de s’assurer un important
flux d’informations fraîches et de développer une communication efficace entre
la tête du parti, le gouvernement et les groupes parlementaires». Le
portrait était certes acide mais il avait anticipé cette solitude de l’autocrate
responsable des évènements actuels. Coupé de l’opinion, il a voulu s’appuyer
sur sa légitimité démocratique pour
ordonner la répression des premiers jours, sans se rendre compte qu’il
radicalisait en fait la contestation et même ses propres partisans.
Il a ainsi prouvé qu’il était un
homme seul au sein de son parti même s’il bénéficie de l’absence
d’une opposition crédible. Cela le pousse à faire preuve d’une intransigeance
qui n’est plus de mise lorsque la rue gronde, la même intransigeance qui l'a
caractérisé face aux israéliens dans l’affaire de la flottille de Gaza
lorsqu’il n’avait jamais voulu reconnaître une quelconque responsabilité
turque. Il fait preuve de la même intransigeance dans les négociations sur le
règlement d’indemnités aux familles des victimes. Il est certain d'avoir raison et de ne devoir des comptes qu’à Dieu.
L’opposition est
inexistante car elle a perdu de sa crédibilité sous les coups de butoir du
pouvoir. Le Parti républicain du peuple n’a rien fait pour exister en amenant
à lui les contestataires car il agrège autour de lui en majorité des kurdes qui
se trouvent neutralisés par l’accord signé avec le PKK.
Fethullah Gülen |
Pour l’instant
il faut se contenter du silence de l’éminence grise de la politique turque,
l’imam exilé Fethullah Gülen, dont la secte est réputée pouvoir assurer
quelques millions de voix au candidat de son choix. Il a pris clairement ses
distances avec la dérive autoritaire du premier ministre. Il vit actuellement
en Pennsylvanie, aux États-Unis, où il enseigne une version de l’islam
modernisé. Gülen a exprimé sa croyance en la science, au dialogue
interconfessionnel et en la démocratie. Il a amorcé ce dialogue avec des
différents représentants de la religion, le plus emblématiques est la rencontre
avec le Pape Jean Paul II.
Gülen a déploré
le détournement déplorable de l'islam par les terroristes qui ont revendiqué
être des musulmans et agissant en dehors de toute conviction religieuse. Il a
critiqué la flottille pour Gaza menée par la Turquie pour essayer d’apporter de
l'aide sans le consentement d'Israël : «L’échec des organisateurs à
chercher une entente avec Israël avant la tentative d’apporter de l'aide est un
signe de résistance envers l'autorité et ne donnera pas lieu à des discussions
fructueuses.» Il a été décrit dans les médias anglophones comme «l’une
des personnalités musulmanes les plus importantes au monde.».
Gülen a soutenu
le développement d’un groupe bancaire (Bank Asya), tourné initialement vers
l’Asie centrale, mais largement diversifié. Il a également contribué au
développement d’un groupe de presse, Feza,
qui publie entre autres le quotidien turc à grand tirage Zaman et
contrôle plusieurs chaînes de télévision en plusieurs langues, diffusant des
entretiens de Gülen. Populaire en Turquie, mais menacé par certains milieux
défenseurs de la laïcité, il s’est installé aux États-Unis d’Amérique en 1999,
où il a accéléré le développement d’activités inspirées de sa pensée.
La répression par le gaz |
Certains voient
en lui une alternative au pouvoir actuel, une alternative à la dérive
autoritaire d’Erdogan. D’ailleurs, depuis plusieurs mois, le président Abdullah Gül, fait preuve d’une
certaine réserve à l'égard de Tayyip Erdogan qui reste pour l’instant toujours le plus
fort. Une seule certitude cependant, l'armée contrairement à la Syrie ne pourra pas lui prêter main forte en raison du fort contentieux qui existe entre eux.
Même si l'on espère de tout coeur que l'opposition chassera du pouvoir Erdogan le belliqueux, on se demande quand même ce qui bout dans la marmitte turque. Car là-bas, les islamistes autoritaires étant déjà au pouvoir, ils ne risquent pas de tierer les marrons du feu laïc. L'appel au peuple d'Erdogan,qui voudrait lancer lescouches de la population qui lui sont encore favorables contre ses détracteurs, rappelle quand même un peu ce qui s'était passé en Roumanie, après la chute des Causescu. Ca rappelle aussi la repression brutale d'Ahmadinejad contre les démocrates iraniens. mais ça ne rappelle que des mauvais souvenirs. Et l'on est saisi de perpléxité en repensant au grand crédit, à la quasi amitié que Barack Obama accorde à ce type imbû de lui même, arrogant et ignare. La leçon provisioire que l'on peut tirer des évènements en Turquie,n'est pas à proprement parler une leçon de politique interieure turque. On ne sait pas ce qui va se passer. Pour l'instant on peut juste constater que le président américain ne comprend rien, mais alors rien du tout, au monde arabo-musulman. Espérons aussi que les laïcs turcs chasseront le chouchou d'Obama sans qu'il n'y ait le même bain de sang en Turquie qu'en Iran.
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