LE MALENTENDU ENTRE HAMAS ET FRÈRES MUSULMANS
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Haniyeh et Mechaal à Gaza |
Khaled Mechaal, 56 ans, a été réélu par les membres du Conseil, le
1er avril 2013, à la tête de l’organisation islamique Hamas. Sa
candidature avait été un certain moment contestée par quelques dirigeants de
Gaza qui n’appréciaient pas son exil doré à Doha au Qatar. Conscient de ce
paradoxe, il avait annoncé le 21 janvier 2012 qu'il ne se représenterait pas à
sa propre succession. Il en avait informé ses amis de Gaza, lors de sa visite en
décembre 2012, en mesurant sur place le risque d’éclatement du mouvement car
les ambitions étaient nombreuses.
Sa candidature a été fortement soutenue par l’Égypte, le Qatar et
la Turquie qui jugeaient que le moment n’était pas opportun pour lui de se
retirer. Pourtant les règles du Hamas interdisent plus de deux mandats. Mais
il n’y avait pas de consensus sur un
éventuel remplaçant charismatique capable de recevoir l’agrément des pays parrains.
Une solution juridique a été trouvée pour prolonger son mandat.
Il a donc été maintenu à son poste car ses bonnes introductions auprès de l’Égypte
le désignaient comme le seul dirigeant capable d’assainir les relations avec le
président égyptien Morsi. Il a été
chargé d’atténuer le malentendu grandissant entre le Hamas et les Frères
musulmans. En effet la grogne se développe à Gaza sur le reniement des
engagements de la Confrérie. La révolution d’Égypte, qui s’était concrétisée
par la démission d’Hosni Moubarak le 21 février 2011, avait créé l’espoir d’un
changement de politique à l’égard de la bande de Gaza.
L’ancien président avait verrouillé le poste frontière de Rafah lors de l’«Opération Plomb durci» en 2009, interdisant aux gazaouis de se réfugier en Égypte. Avec l'arrivée de Morsi, le Hamas avait donc rêvé à une suppression totale du blocus du coté égyptien, à une remise en cause du traité de paix avec Israël, signé en 1979 à Camp David, et même à l’aide militaire égyptienne pour débloquer le blocus maritime.
Poste-frontière de Rafah entre l'Egypte et Gaza |
L’ancien président avait verrouillé le poste frontière de Rafah lors de l’«Opération Plomb durci» en 2009, interdisant aux gazaouis de se réfugier en Égypte. Avec l'arrivée de Morsi, le Hamas avait donc rêvé à une suppression totale du blocus du coté égyptien, à une remise en cause du traité de paix avec Israël, signé en 1979 à Camp David, et même à l’aide militaire égyptienne pour débloquer le blocus maritime.
Pas de changement de stratégie
Or aucun signe n’est venu du
président égyptien Morsi montrant qu’il avait l’intention de changer de
stratégie, à la fois à l’égard d’Israël mais aussi à l’égard du Hamas et des
palestiniens. Il avait au contraire prouvé qu’il était fortement dépendant des États-Unis,
au moins sur les questions économiques. Le Hamas appréciait peu le pragmatisme
des Frères musulmans et de leur émanation, le parti Liberté et Justice, qui
estiment qu’il faut d’abord consolider le régime, à tout prix, même au prix d’un
reniement. Le Hamas ne comprend pas que l’Égypte respecte encore l’accord de
2006 qui interdit aux personnes figurant sur une liste noire fournie par Israël
de traverser le poste frontalier égyptien à Rafah et, qui impose à certaines marchandises bien définies de passer obligatoirement par le poste israélien
de Kerem Shalom pour être contrôlées.
Par ailleurs, le Hamas a été surpris par la
réaction violente contre les centaines de tunnels souterrains qui permettent à
certaines marchandises interdites, les armes et le ciment en particulier,
d’entrer à Gaza et à certains produits alimentaires d’être achetés en Égypte à
un prix nettement inférieur au prix israélien. Mohamed Morsi, profondément choqué par l’assassinat en août de seize gardes-frontières égyptiens, avait donné
l’ordre à son armée de démolir des dizaines de tunnels. Ainsi 400 tunnels ont
été rendus inutilisables après avoir été inondés avec des eaux usées. Mais Morsi
sait manier le chaud et le froid. Il a compensé cette décision par une
ouverture quotidienne de Rafah avec une augmentation de 400 à 1.000
palestiniens autorisés chaque jour à passer la frontière et par l’autorisation
donnée à Moussa Abou Marzouk, membre du bureau politique du Hamas basé à Damas,
de s’installer au Caire.
Moussa Abou Marzouk |
Discrétion du Hamas
Les dirigeants du Hamas n’osent pas se plaindre ouvertement de
leurs déconvenues auprès de leurs frères idéologiques. Ils ont adopté un profil bas. Moussa Abou Marzouk a en effet timidement
déclaré : «Nous ne voulons pas de tunnels par principe. Ce que nous voulons,
c’est que les marchandises vers Gaza puissent passer par le poste frontière de
Rafah, ce qui n’est pas le cas.»
Les dirigeants du Hamas, organisation à l'idéologie calquée sur celle des
Frères musulmans, ne comprennent la méfiance égyptienne qui leur interdit un
accès direct aux ministres islamistes. Ils doivent utiliser le canal des
services égyptiens de renseignements, comme du temps de l’ancien régime. Ces
services supervisent les postes frontaliers de Rafah en Égypte et de Kerem
Shalom en Israël, et définissent la politique appliquée au Sinaï. Selon Gehad
El-Haddad, porte-parole des Frères musulmans, «les services de renseignements
égyptiens sont entièrement sous le commandement du président, et exécutent ses
ordres».
Un bémol cependant car des matériaux de construction en provenance du Qatar ont traversé la frontière de Rafah à la suite de la décision de l’émir qatari Hamad bin Khalifa, cautionnée par Benjamin Netanyahou, de lancer la reconstruction civile à Gaza pour plusieurs millions de dollars. L’Égypte a été contrainte à cette exception en acceptant que le Qatar marche sur ses plates-bandes au risque d’accroitre son influence régionale.
Un bémol cependant car des matériaux de construction en provenance du Qatar ont traversé la frontière de Rafah à la suite de la décision de l’émir qatari Hamad bin Khalifa, cautionnée par Benjamin Netanyahou, de lancer la reconstruction civile à Gaza pour plusieurs millions de dollars. L’Égypte a été contrainte à cette exception en acceptant que le Qatar marche sur ses plates-bandes au risque d’accroitre son influence régionale.
Le Hamas est à présent convaincu que la question palestinienne
n’est plus une priorité pour les Frères musulmans. Il a pour preuve la mollesse
de la réaction égyptienne au moment de la courte guerre contre Gaza, en
novembre 2012, qui n’a entrainé qu’une réaction symbolique égyptienne avec le
rappel de l’ambassadeur d’Égypte en Israël. Mais même si le Hamas a cependant été partie
prenante avec le Djihad islamique dans les discussions de cessez-le-feu qui se
sont tenues au Caire, l’absence du président de l’Autorité, Mahmoud Abbas, a été très remarquée.
Mohamed Morsi avait ainsi entériné la rupture entre les deux clans palestiniens dans le cadre de sa stratégie. Il n’a rien tenté pour unifier le Hamas et le Fatah qui auraient pu présenter un front uni contre Israël. Les palestiniens de Gaza se considèrent les gêneurs d’une entente avec les occidentaux. D’ailleurs les dirigeants de Cisjordanie ont laissé se répandre la rumeur que le Hamas cherchait un terrain d’entente avec l’Égypte pour annexer à son profit une partie du Sinaï, afin d’agrandir la bande de Gaza. Cela a immédiatement entrainé une campagne violente anti palestinienne de la presse égyptienne.
Mohamed Morsi avait ainsi entériné la rupture entre les deux clans palestiniens dans le cadre de sa stratégie. Il n’a rien tenté pour unifier le Hamas et le Fatah qui auraient pu présenter un front uni contre Israël. Les palestiniens de Gaza se considèrent les gêneurs d’une entente avec les occidentaux. D’ailleurs les dirigeants de Cisjordanie ont laissé se répandre la rumeur que le Hamas cherchait un terrain d’entente avec l’Égypte pour annexer à son profit une partie du Sinaï, afin d’agrandir la bande de Gaza. Cela a immédiatement entrainé une campagne violente anti palestinienne de la presse égyptienne.
En fait le Hamas n’arrive pas à accepter le fait que sa cause ait
été reniée par l’Égypte et il claironne la condamnation d’une politique égyptienne
fondée sur le pragmatisme. Il regrette que les Frères musulmans n’aient pas
adopté une attitude révolutionnaire justifiée par le soulèvement populaire.
Khaled Mechaal devra, durant son mandat de quatre années, lever le malentendu
avec le grand frère égyptien. Il pourrait y parvenir s’il s’engageait dans une
solution originale et courageuse en ouvrant un dialogue réel avec les pays occidentaux pour satisfaire les intérêts égyptiens.
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